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TRAVAIL

Londres. Zéro heure 
cette semaine...

14 octobre 2014 | Mise à jour le 19 avril 2017
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Londres. Zéro heure 
cette semaine...

Des jobs, à Londres, il y en a. Des emplois, moins. En s'imposant comme ville-globale et place financière, Londres est devenu une cité onéreuse. L'emploi figure en tête des préoccupations des Londoniens.

On présente souvent Londres comme un Eldorado de l'emploi. On se souvient d'ailleurs de reportages télévisés suivant de jeunes Français partis chercher fortune de l'autre côté de la Manche. Et le fait est que l'offre de petits boulots y est pléthorique. L'emploi, en revanche, se fait plus rare et plus spécifique. « Le TUC (Trade Union Congress) rappelle systématiquement la différence existant entre job et employment, indique Laurie Heselden, en charge des politiques et campagnes régionales au TUC. En termes statistiques, Londres a connu cette dernière décennie un fort développement de l'emploi. Oui, c'est une ville où il est facile de trouver un job. Non, ce n'est pas un eldorado de l'emploi, loin s'en faut. »

LA PRODUCTIVITÉ DES SALARIÉS A EXPLOSÉ

Certes, l'économie se porte bien, mais pour de mauvaises raisons, selon lui. Les ressources humaines sont exploitées au maximum pour produire le maximum. En d'autres termes, la productivité des salariés a explosé. Ensuite, ce qui a été gagné en quantité s'est fait au détriment de la qualité de l'emploi. De fait, les emplois sont souvent sous-qualifiés, à mi-temps ou – comble de la flexibilité – sous contrat zéro heure. Le contrat de travail zéro heure n'oblige pas l'employeur à fixer un temps de travail minimal et un salaire minimum. Aussi, d'une semaine sur l'autre, le temps de travail et la rémunération fluctuent.

…AU DÉTRIMENT DE LA QUALITÉ DES EMPLOIS

Laetizia travaille comme serveuse dans un restaurant branché du quartier de Shoreditch. Certaines semaines, elle a du temps pour elle. D'autres non. « Normal, j'ai un contrat zéro heure, explique-t-elle. Cela signifie que ce n'est qu'à la fin du week-end que je reçois, par e-mail ou par téléphone, mon planning pour la semaine suivante. Parfois, il y a beaucoup de travail et je fais jusqu'à 60 heures dans la semaine, parfois ils n'ont pas besoin de monde en salle et je ne fais qu'une soirée ou deux. »

Elle indique que globalement, elle travaille entre 30 et 50 heures par semaine. Et que le niveau de son salaire varie d'autant, c'est-à-dire 8 livres de l'heure plus les pourboires. Laetizia n'a pas trouvé d'emploi dans sa branche et à son niveau de diplôme à l'issue de ses études. Elle devrait conduire des projets dans la mode. Or, à 26 ans, elle ne fait qu'enchaîner les petits boulots, trouvés de bouche à oreille ou dans le job center (agence pour l'emploi) de son quartier, mal payés et très précaires. « Je n'ai pas encore tout à fait renoncé, mais difficile d'avancer et de se construire ainsi. Pour biaiser, je suis en train d'élaborer mon blog sur la mode et pour l'avenir, je réfléchis à monter une micro-entreprise », finit-elle. Ce qui, à Londres, est finalement plus facile que de trouver un emploi.

28 % DES LONDONIENS SONT DANS LA PAUVRETÉ

La conjugaison de la baisse de l'emploi industriel et de l'explosion du tertiaire a changé la donne. Ce sont les services aux multinationales, aux banques, au secteur financier qui ont le vent en poupe, esquissant finalement une structure de l'emploi un peu binaire : soit qualifié en lien avec la finance, soit sous-qualifié en divers petits boulots. Le résultat de ces glissements est sans appel à en croire ces quelques chiffres.

28 % des Londoniens sont dans la pauvreté, soit 7 points de plus que dans le reste de l'Angleterre. 57 % des adultes et des enfants pauvres appartiennent à des familles qui travaillent. Le nombre de travailleurs pauvres explose, celui du chômage également : de 2007 à 2012, le taux de chômage a augmenté de 40 %. Quant aux données sur les salaires, le même genre de constats y est livré. En 2012, quelque 600 000 emplois étaient rémunérés sous le London Living Wage (minimum vital à Londres), établi à 8,55 livres de l'heure, 40 % des temps partiels et 10 % des emplois à temps plein également.

DES SALAIRES EN BERNE

C'est une réalité objective, les salaires sont en berne. En atteste le nombre croissant de Londoniens venus, par exemple, vendre quelques subsides sur les marchés aux puces et autres marchés improvisés. Pas ceux de Portobello ou de Camden, devenus bien trop chics, mais plutôt des quartiers un peu moins courus.

Aux puces de Shoreditch, par exemple, sur Brick Lane, on vient vendre ses vieilles fringues, ses objets et même ses confitures. Ce n'est pas la misère noire, mais beaucoup de jeunes ont recours aux puces pour gagner un peu d'argent. Kim a 23 ans, elle n'est pas diplômée, mais dit avoir toujours travaillé et « toujours sous contrat zéro heure ou carrément au noir ». Trois semaines auparavant, pour la première fois, elle n'a pu se rendre disponible du jour au lendemain pour aller travailler au Subway (restauration rapide) qui l'emploie. « Depuis, je ne suis plus au planning et je dois me débrouiller autrement, raconte-t-elle. Pas de problème, les contrats zéro heure courent les rues. »
Enfin, pour le moment, elle vend des vêtements récupérés jusque, parfois, dans les poubelles. Le coût de la vie est tel dans la capitale que le système D est une option viable. Voire incontournable.

Le TUC rapporte que l'inflation est de 2,7 % par an et la hausse des salaires seulement de 0,9 %. Joel Kosminsky, du syndicat des transports TSSA, estime que les modes de calcul et les index changent continuellement, selon les besoins politiques : « Mais si l'on utilise les index européens, des éléments objectifs montrent qu'il y a un décalage considérable entre l'inflation, la hausse des prix et l'évolution des salaires ». Selon lui, « les travailleurs pauvres sont particulièrement touchés puisqu'ils essuient l'inflation, la hausse du coût des transports, de l'énergie (eau, gaz, électricité) et des produits de consommation courante, dont l'alimentation ». Il parle à leur propos de « pression massive ».

« BRITAIN NEEDS A PAY RISE »

C'est pour toutes ces raisons que, le 18 octobre prochain, le TUC appelle à une manifestation dans les rues de Londres : « Britain needs a pay rise » (la Grande Bretagne a besoin d'une hausse des salaires). Selon les termes de l'appel à manifester, les salariés britanniques seraient en train de subir la plus forte dégradation de leurs standards de vie depuis près d'un siècle.

Le TUC indique qu'en 2013, par rapport à 2010, les revenus annuels des salariés auraient chuté de 2 164 livres (2 776 euros) dans l'Est de l'Angleterre, de 2 500 livres (3 208 euros) dans le Sud-Est et de 3 151 livres (4 043 euros) à Londres. Pour calmer le jeu, en janvier dernier, le ministre des Finances proposait de relever le salaire horaire minimum de 11 % de façon échelonnée d'ici 2015. De 6,13 livres (7,60 euros), il passerait ainsi à 7 livres. Une forte progression, sauf qu'il suffit de consulter la Living Wage Foundation (association à but non lucratif portée par le mouvement de citoyens Citizens UK) pour prendre conscience de ce que « le salaire pour vivre ne saurait être inférieur à 8,80 livres à Londres et 7,65 livres dans le reste du pays. Ce qui n'est somme toute pas grand-chose. Un simple minimum vital ».

Le salaire horaire minimum est un revenu déconnecté de l'actualité et des réalités, même s'il a augmenté de 75 % entre sa création par Tony Blair, en 1999, et 2014. Laurie Heselden s'agace : « Je ne comprends pas comment les bas revenus peuvent continuer à s'en sortir à Londres. »

De fait, les jeunes, les travailleurs pauvres, les sans-emploi rencontrés durant l'été admettent ne plus pouvoir s'en sortir. Pendant ce temps-là, l'augmentation du salaire minimum fait débat. Ses détracteurs avancent les éternels arguments selon lesquels cela détruirait l'emploi, ferait exploser le chômage, donc la pauvreté et grèverait de fait les dépenses sociales. Ses soutiens arguent du contraire. Les Anglais aussi connaissent la chanson.