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Vieillesse - L’autonomie a besoin d’une loi

5 mai 2014 | Mise à jour le 3 mai 2017
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Les faits. La loi d'orientation et de programmation pour l'adaptation de la société au vieillissement est en débat depuis plusieurs mois. Sa présentation en conseil des ministres, prévue le 9 avril, a été reportée sine die. Le contexte. En 2030, les personnes de plus de 60 ans seront 20 millions. Pour la première fois dans l'histoire, la France va compter deux générations de retraités. Les enjeux. L'adaptation de la société au vieillissement constitue un chantier ambitieux, nécessaire et urgent au regard de cette « révolution de l'âge ». Le financement des mesures prévues par le projet de loi doit être à la hauteur du défi – ce qui n'est pas le cas pour le moment.

Le 26 mars dernier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) rendait son avis sur le projet de « loi d'orientation et de programmation pour l'adaptation de la société au vieillissement », le jugeant ambitieux mais pas à la hauteur en ce qui concerne le financement prévu. C'est pourtant « l'un des grands chantiers du quinquennat », selon l'ex-premier ministre Jean-Marc Ayrault. Car la France, comme ses voisins européens, vit une transition démographique marquée tout à la fois par une croissance continue des classes d'âge les plus avancées et par une augmentation de la longévité, fixée à 80 ans en moyenne contre 47 ans en 1900. Les personnes de 60 ans et plus sont aujourd'hui 15 millions ; d'après les projections de l'Insee, elles seront 20 millions en 2030 et 24 millions en 2060, et le nombre de plus de 85 ans va quadrupler dans le même temps.

 

1. Les orientations principales du projet de loi
Le projet de loi repose sur trois piliers indissociables : l'anticipation, pour prévenir la perte d'autonomie, l'adaptation de toute la société à l'avancée en âge et l'accompagnement de la perte d'autonomie, avec comme priorité de permettre à ceux qui le souhaitent de rester à domicile dans de bonnes conditions le plus longtemps possible. Le financement reposera exclusivement sur la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA), dont le rendement est estimé à 645 millions d'euros par an.
C'est une première étape législative. Un second volet portera sur l'accompagnement et la prise en charge des personnes âgées dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

 

La prévention
On parle de « perte d'autonomie » dès lors qu'une personne rencontre des difficultés dans sa vie quotidienne, dues à des limitations de ses capacités motrices, mentales, psychiques ou sensorielles, qu'elle ne parvient pas seule à compenser. L'âge est certes un facteur d'accélération des inégalités sociales et de santé qui entraîne un risque accru de perte d'autonomie, mais celle-ci n'est pas inéluctable et il s'agit donc d'anticiper, au lieu de le subir, le vieillissement.
Ce premier pilier du projet de loi concerne la politique de santé. Il se décline principalement en deux volets :

  • l'expérimentation et le financement de nouvelles pratiques professionnelles pour optimiser le parcours de santé des personnes de plus de 75 ans ;
  •  l'amélioration de l'accès à des aides techniques et aux actions collectives de prévention : aides financières pour que les plus modestes bénéficient à domicile de dispositifs de télé­assistance et de domotique ; campagnes de sensibilisation, de promotion et de formation sur des sujets comme le sommeil, le bon usage du médicament, l'activité physique ou l a nutrition ; et plan de prévention du suicide, qui passe par la lutte contre l'isolement social et le traitement de la dépression.

Une enveloppe de 140 millions d'euros par an serait consacrée à ce volet, par des moyens alloués à des « conférences départementales des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie » rassemblant les caisses de retraite, l'agence régionale de santé (ARS) et les mutuelles, sous la présidence du conseil général.

 

L'adaptation
Le deuxième pilier, celui de l'« adaptation » vise la prise en compte de l'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé pour penser autrement la cohésion sociale. Il s'agit d'inciter les collectivités territoriales à prendre des initiatives en matière de transports, d'urbanisme et d'habitations collectives. Mais aussi d'encourager la participation citoyenne des âgés et l'intergénérationnel. Les principales mesures sont :
c un plan pour adapter 80 000 logements privés d'ici 2017. Ce projet serait porté par l'Agence nationale de l'habitat (Anah), avec un budget augmenté de 40 millions d'euros en 2015 et 2016. Le crédit d'impôt existant pour certaines dépenses d'adaptation des logements serait étendu aux nouvelles technologies de soutien à l'autonomie ;

  • la rénovation des foyers-logements, rebap­tisés « résidences autonomie », via un plan exceptionnel d'aide à l'investissement de 40 millions d'euros par an : le projet de loi entend diversifier ces solutions de logements « intermédiaires » (aujourd'hui 109 000 places au sein de 2 200 établissements) entre le domicile et la maison de retraite. Un « forfait autonomie » serait créé, également pour un montant de 40 millions d'euros ;
  •  la création d'un « volontariat civique senior » pour valoriser le bénévolat des personnes âgées.

Le projet de loi prévoit également de développer la cohabitation intergénérationnelle entre étudiants et personnes âgées isolées et la protection de leurs droits et libertés.

 

L'accompagnement
Ce troisième et dernier pilier envisage l'ensemble des réponses à la perte d'autonomie une fois qu'elle est là. Il est sous-tendu par l'objectif du maintien à domicile autant que possible et concerne :

  • l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), qui bénéficie actuellement à 700 000 personnes, pour un budget de 375 millions d'euros par an. Les plafonds d'aide mensuels seraient relevés (entre 100 et 400 euros mensuels selon le degré de perte d'autonomie) et les allocataires pourraient bénéficier de davantage d'aides à domicile. En fonction du degré de dépendance et des ressources, le ticket modérateur pourrait diminuer jusqu'à 60 % de son montant actuel ; les personnes assujetties au « minimum vieillesse » (allocation de solidarité aux personnes âgées) ne l'acquitteraient plus. Au total, 375 millions d'euros supplémentaires seraient consacrés chaque année à l'APA ;
  • la professionnalisation des aides à domicile ;
  • le projet de loi prévoit une hausse des salaires les plus bas des intervenants à domicile et une compensation financière de leurs déplacements ;
  • l'amélioration des dispositifs locaux et natio­naux d'information sur les droits ;
  • la reconnaissance du rôle des aidants : une aide au « répit » est prévue pour ces 4,3 millions de personnes – en très grande majorité des femmes, épouses ou filles – qui s'occupent régu­lièrement d'un proche âgé ou dépendant. Le montant de cette aide pourrait aller jusqu'à 500 euros par an ;
  • enfin, la création d'un Haut Conseil de l'âge, organe consultatif compétent sur tous les sujets concernant la vieillesse.

 

2. L'esprit et la lettre de la loi

L'avis du CESE
Le CESE a rendu un avis positif sur ce qui fonde ce projet : le respect des droits fondamentaux des personnes âgées, la priorité donnée à leur maintien à domicile, la volonté de rompre leur isolement, de les insérer pleinement dans la société. Mais il souligne en premier lieu que son financement par la seule CASA « n'est pas à la hauteur des ambitions du projet et de la réponse à apporter aux besoins ». La CASA, cette taxe de 0,3 % instaurée en 2013 sur les pensions des retraités imposables a rapporté 645 millions d'euros cette année. Elle est destinée à financer notamment une revalorisation de l'APA. Une mesure jugée positive, mais insuffisante.

Le CESE estime également que le « baluchonnage » (le relais à domicile assuré par un professionnel intervenant plusieurs jours consécutifs), destiné à proposer un répit aux aidants familiaux, « déroge au droit du travail et pose le problème de l'équilibre des droits des salariés, ceux de la personne aidée et ceux de l'aidant ». Un tel sujet ne peut être tranché par la loi sans négociation préalable avec les partenaires sociaux. Il préconise par ailleurs de renforcer l'effort d'adaptation des logements existants, jugeant que l'objectif de 80 000 logements d'ici à 2017 est « de faible portée ». Il regrette enfin que la barrière d'âge des 60 ans, qui génère une situation inégalitaire au détriment des personnes handicapées, n'ait pas été supprimée. Les personnes handicapées de moins de 60 ans peuvent en effet actuellement prétendre à la prestation de compensation du handicap, mais lorsqu'elles atteignent 60 ans, cette prestation est automatiquement remplacée par l'APA, moins avantageuse.

 

Pour la CGT, l'esprit mais pas la lettre

La CGT partage les réserves émises par le CESE sur le financement prévu dans le cadre de la CASA. Selon le rapport du groupe 4 des « débats Bachelot » organisés par la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale de l'époque, la prise en charge de la perte d'autonomie a été évaluée à 34 milliards d'euros en 2010. Les aides financières, les dépenses d'hébergement et de prévention de la dépendance en représentent déjà plus de la moitié. Par comparaison, les 645 millions de la CASA semblent dès lors un chiffre dérisoire.
La CGT soutient cependant l'avis dans sa préconisation de rééquilibrage entre la participation financière de l'État et celle des départements. Pour elle, l'amélioration de l'habitat et les multiples solutions innovantes traitées dans l'avis et le projet de loi vont également dans le bon sens. Mais avec seulement 6 % de logements adaptés à l'avancée en âge actuellement, les moyens à mobiliser sont importants, et les crédits envisagés restent trop modestes pour rendre un maintien à domicile possible et confortable pour tous.
Françoise Vagner, membre de la direction de l'Union confédérale des retraités (UCR) et du collectif confédéral autonomie de la CGT, précise que la première qualité de ce projet de loi est qu'il inverse le point de vue sur la place des seniors dans la société. « L'UCR travaille sur ce sujet depuis quinze ans : pour la première fois dans notre histoire, deux générations de retraités vont se côtoyer. On assiste à une véritable transformation de la société. » Avec, ajoute-t-elle, « en arrière-plan, le problème du recul de l'âge de la retraite en France et en Europe ». Et de rappeler qu'en 2011, la CGT avait participé aux « débats Bachelot », qui concluaient notamment que « la société française a tendance à nier le vieillissement et la dépendance, ce qui explique pour une large part l'insuffisance des politiques de prévention ». Depuis, le terme de « dépendance » a été heureusement remplacé par « perte d'autonomie ». « On ne veut plus entendre parler de dépendance. Nous sommes tous interdépendants. Nous avons gagné là-dessus. » Le projet de loi actuel se situe dans la continuité d'un travail collectif de réflexion qui a notamment abouti à refuser le recours aux assurances privées, que le gouvernement précédent souhaitait instaurer.

 

Aller plus loin

La CGT, souligne la responsable de l'UCR, va plus loin. Elle demande la suppression de la barrière d'âge à 60 ans pour les personnes handicapées et la révision de la grille d'évaluation du degré de perte d'autonomie. Surtout, elle propose l'intégration de l'aide à l'autonomie à la Sécurité sociale, non par la création d'une cinquième branche qui mettrait les retraités à part, mais au sein même de l'assurance maladie. Un nouveau droit pour un risque qui n'existait pas en 1945, lorsque la Sécurité sociale a été créée. Et elle réclame un grand service public de l'autonomie. Le projet de loi n'aborde pas ces questions.
La loi est dite « d'orientation et de programmation », c'est-à-dire qu'elle fixe une politique globale bien plus qu'une réalité juridique. Elle n'a en tout cas pas été présentée en conseil des ministres le 9 avril, comme le prévoyait le calen­drier initial. Depuis, Laurence Rossignol a été nommée secrétaire d'État chargée de la Famille, des Personnes âgées et de l'Autonomie, en remplacement de Michèle Delaunay, qui a conduit ce projet de loi. « Nous sommes dans l'expectative », conclut Françoise Vagner, qui s'inquiète de ce délai imprévu et du silence qui l'entoure. La loi sera-t-elle mise au rencart ? Revue à la baisse ? L'UCR prévoit de demander un rendez-vous à la secrétaire d'État pour en avoir le cœur net.