Hôpital public : un démantèlement programmé ?
Samedi 14 septembre, à Nantes (Loire-Atlantique), près de 300 personnes se sont mobilisées pour dénoncer « le démantèlement du service public de santé ». Un appel... Lire la suite
«Dieu est en colère contre le Libéria, et Ebola est un fléau. Les Libériens doivent prier et demander le pardon de Dieu pour leur dépravation et leurs actes immoraux tels l'homosexualité, qui continuent de pénétrer notre société. » Fin juillet, une centaine de dignitaires chrétiens d'Afrique de l'Ouest signait une résolution, publiée dans The Liberian Observer et appelait à trois jours de jeûnes et de prières. Dans les années 1980, beaucoup virent dans l'apparition du sida le signe d'un châtiment divin, y compris la brave Mère Teresa, qui ouvrit plusieurs foyers pour accueillir des malades sans-abris. Le prédicateur américain Jerry Falwell déclarait, lui, que « le sida est le jugement de Dieu sur une société qui ne vit pas selon ses Lois » (1).
Face aux nouvelles épidémies, les vieilles rengaines réapparaissent, aussi absurdes que mortifères. Avant-hier, les juifs étaient accusés d'empoisonner les puits et d'apporter la peste (900 furent brûlés vifs à Strasbourg en 1349) ; lors des épidémies de choléra ou de tuberculose, on désigna les classes laborieuses comme dangereuses (2) en insistant sur leurs vices présumés : ivrognerie, saleté, débauches en tous genres. En temps de syphilis, ce furent les prostituées qu'on pourchassa.
Au début des années 1980, avec l'apparition des premiers cas de sida, nombre de théories fumeuses tentaient d'expliquer le phénomène. Ainsi, on évoquait un cancer gay ou le club des 4 H : homosexuels, héroïnomanes, Haïtiens et hémophiles. Plus que des pratiques à risques, on désignait des groupes, victimes naturelles du sida.
Et la bataille pour lutter contre la maladie passait autant par la recherche médicale que par la mise à mal des préjugés. Bien que les facteurs de transmission du HIV furent très tôt détectés – sang, sperme, sécrétions vaginales –, les phénomènes d'exclusion se développaient. Là, des enfants exclus des écoles, ici, des salariés licenciés de leur entreprise. Comme le déclarait alors le docteur Jonathan Mann, responsable du programme sur le sida de l'Organisation mondiale de la santé, il fallait s'attaquer à la « troisième épidémie » de sida, celle des réactions d'exclusion.
Phénomène sans précédent, face à l'épidémie de sida, les malades eux-mêmes organisèrent la riposte. Aux États-Unis, les militants de la communauté gay menèrent des campagnes pour l'usage du préservatif et manifestèrent contre le silence du gouvernement Reagan face à l'hécatombe. Le slogan d'Act Up, association phare américaine, porté sur des triangles roses, en référence aux stigmates imposés aux homosexuels par les nazis : « Silence = Death » (« Silence = Mort »).
Le silence des pouvoirs publics qui tardent à mettre en place une réponse médicale mais aussi le silence autour d'une maladie honteuse et de ses victimes. Comme le déclarait en 1988 le philosophe Jean-Paul Aron dans un documentaire sur Antenne 2 : « En toute franchise, je suis incapable de vous avouer que j'éprouve le sida comme un châtiment. Ça me paraît scandaleux, simplement, cette guigne affreuse. » La bataille contre les discriminations fut centrale. Ainsi, aux États-Unis mais aussi en France, d'immenses patchworks furent déployés en place publique pour rendre hommage au combat des malades.
En France, c'est sous l'impulsion du sociologue Daniel Defert, compagnon du philosophe Michel Foucault, décédé du sida en juin 1984, que l'association Aides va voir le jour. Comme il le raconte dans le formidable documentaire Passeurs (voir encadré), alors qu'il vient d'apprendre la cause du décès de son conjoint, le médecin lui dit : « Ne vous inquiétez pas, la cause de sa mort sera effacée. » « Comme si c'était un scandale. Pour moi, le scandale, c'était la maladie et non la chose sociale. » Dès lors, pour lui, qui avait milité avec Foucault dans le Groupe d'information sur les prisons, l'enjeu était le droit d'un malade d'être informé de son état de santé. Ce sera bien des années plus tard, le 4 mars 2002, en fait, que la loi Kouchner en la matière sera adoptée.
Comme le rappelle Michel Bourrelly, pharmacien, qui créa la deuxième antenne d'Aides à Marseille, en 1985, il s'agissait de combattre les discours nauséabonds des adeptes du fichage des « sidaïques », les fausses informations sur la salive ou les moustiques, susceptibles de transmettre le virus. Car, dès lors, pourquoi utiliser un préservatif ou une seringue à usage unique ?
Mais il fallait aussi se battre pour que tous les malades puissent bénéficier d'un traitement, pour qu'ils soient écoutés, pour pousser les pouvoirs publics à mettre en œuvre des campagnes de prévention efficaces. Il faudra attendre l'arrivée de Michèle Barzach, en 1986, au ministère de la Santé, pour que les choses changent. Mais ce ne fut pas une mince affaire pour autoriser la publicité sur les préservatifs ou la vente libre des seringues. Et Michel Bourrelly de raconter qu'il vendait, avant que loi ne l'y autorise, des seringues à prix coûtant. L'ancienne ministre a dû s'opposer au ministre de la Justice de l'époque, Albin Chalandon, pour qui « les toxicomanes sont des délinquants » (3).
Ainsi, il fallut des associations comme Aides pour contribuer à changer la société, pour que les homosexuels comme les toxicomanes soient soignés sans être jugés. Il a fallu encore qu'elles se battent pour pousser au dépistage systématique lors des collectes de sang.
Autre combat, et non des moindres, mené par les associations : se battre pour faire avancer au plus vite la recherche. Ainsi, en 1992, un petit groupe interassociatif, le TRT 5, voit le jour pour accélérer la mise sur le marché de nouveaux traitements, multiplier les essais et contrôler le travail des laboratoires. De même, le bras de fer engagé notamment par l'Afrique du Sud, dès 1997, pour commercialiser des médicaments génériques. « Aujourd'hui encore, la bataille continue avec les traitements de l'hépatite C, rappelle Michel Bourrelly. Leurs coûts avoisinent les 84 000 dollars, alors que l'association Médecins du monde évoque une cure à 500 euros pour huit semaines de traitement. »
Grâce à la mobilisation des scientifiques mais aussi des malades, trente ans après les premiers cas diagnostiqués, le sida est devenu une maladie chronique qui ne tue plus en quelques mois. L'arrivée des trithérapies et le traitement précoce des personnes infectées empêchent les contaminations. Ainsi, la transmission de la mère à l'enfant, dès lors qu'elle est traitée, est devenue quasiment nulle.
Maintenant, tous les malades ne sont pas logés à la même enseigne, même si un combat contre la corruption a permis que 80 % des subventions étrangères en direction des pays africains soient consacrées à la prise en charge des malades contre 20 % précédemment.
Lors de la 20e conférence internationale sur le sida qui s'est tenue en juillet à Melbourne (Australie), les bonnes nouvelles étaient au rendez-vous et notamment l'exceptionnel développement de l'accès aux traitements antirétroviraux. Entre 2002 et 2012, le nombre de personnes qui en bénéficient a été multiplié par 40 ! Cette diffusion croissante a permis de faire baisser la mortalité de 35 % depuis 2001. Face à de tels résultats, l'Onusida estime que « mettre fin à l'épidémie de sida est possible » d'ici 2030.
Mais les chercheurs ont pointé aussi les résistances toujours à l'œuvre dans certaines régions du monde quand, à l'heure actuelle, 17 pays représentent à eux seuls 75 % des nouvelles contaminations.
Ainsi, le Moyen-Orient, le Maghreb, l'Asie orientale et l'Europe de l'Est notamment connaissent une recrudescence des nouvelles infections et de la mortalité, due au durcissement des lois contre les populations à risque comme les homosexuels, les toxicomanes et les femmes victimes de la prostitution. Ces populations stigmatisées, de peur d'être identifiées voire arrêtées n'osent plus contacter les organismes de santé et se faire dépister. Les organisateurs de la conférence ont ainsi lancé la « Déclaration de Melbourne » pour dénoncer les multiples discriminations ou législations répressives qui entravent la lutte contre le sida.
Comme aux premières heures de l'épidémie de sida, les rumeurs vont bon train, freinant la prise en charge des malades. Aujourd'hui encore, des pseudo-scientifiques affirment que le virus du sida n'a jamais été observé, que nous serions face à « la plus grande supercherie du XXe siècle ».Quant au virus Ebola, il serait une nouvelle arme bactériologique ou un virus inventé par les Blancs, des théories fumeuses déjà à l'œuvre à propos du HIV.
Alors que le virus Ebola a fait à ce jour plus de 2 000 morts, la défiance des populations fait obstacle. Le virus serait véhiculé par les Blancs via les centres médicaux. Si on dénonce un besoin criant de matériels, de personnels médicaux formés, on en appelle aussi à l'intervention d'anthropologues. Tous sont appelés à la rescousse pour panser les plaies, prévenir les contaminations en rappelant encore et toujours les voies de transmission – un contact direct avec les sécrétions corporelles – et tenter d'éviter certains rituels funéraires à risque. Comme le résume Peter Piot, codécouvreur du virus en 1976 et qui dirigea l'Onusida jusqu'en 2008, pour lutter contre cette épidémie, « il faut rétablir la confiance », alors que la population se méfie des autorités comme des systèmes de santé (4).
Les châtiments divins, les croyances en des contaminations intentionnelles comme le bannissement des malades font le nid des épidémies, en condamnant au silence et en freinant la prise en charge médicale. Si le sida est devenu un nom commun sans majuscules alarmistes, grâce notamment aux combats des malades eux-mêmes, il continue à résonner de multiples leçons qu'il faut sans cesse rappeler.
(1) Cité par Susan Sontag, Le sida et ses métaphores, Christian Bourgois Éditeur, 1989.
(2) Peurs et terreurs face à la contagion, ouvrage collectif. Fayard, 1988.
(3) Nos années Sida. 25 ans de guerres intimes, d'Éric Favereau. La Découverte, 2006.
(4) Libération du 26 août 2014.
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