Les madeleines Jeannette ne disparaîtront pas. Le tribunal de commerce de Caen a donné son feu vert à Georges Viana pour la reprise de la biscuiterie caennaise. Sa spectaculaire levée de fonds sur Internet – 100 000 euros récoltés en deux mois – a convaincu la cour de lui confier l'entreprise. De plus en plus d'entreprises ont recours au crowdfunding.
Mise en liquidation judiciaire il y a un an, l'entreprise Jeannette est occupée depuis dix mois par une vingtaine de salariés qui produisent et vendent des madeleines afin d'intéresser un repreneur. L'union locale CGT de Caen les soutient ardemment. Convaincu par la lutte des biscuitiers, Georges Viana, 49 ans, se porte candidat pendant l'été.
L'entrepreneur au parcours international voit dans Jeannette « un produit typiquement français qui cartonnerait à l'étranger ». Il aurait besoin de 1 800 000 euros pour emménager dans une usine neuve, acheter une nouvelle ligne de production et pérenniser les emplois. Mais comme les précédents repreneurs, il se heurte au refus des banques de lui accorder un crédit. « Les banques locales m'ont dit ne plus croire à cette entreprise, que Jeannette, c'était mort, qu'elles avaient perdu trop d'argent avec cette entreprise. »
La cyber-campagne des Jeannette
Georges Viana se voit obligé de revoir à la baisse son projet. Avec 600 000 euros de crédit, il pourrait conserver 15 salariés sur 23, acheter de nouvelles machines et créer un magasin d'usine. Mais cette fois-ci, il s'y prend différemment. En septembre, il lance un appel aux dons sur Internet version 2.0. Il dépose son projet de relance de l'usine Jeannette sur Bulb In Town, un site Internet permettant aux citoyens de soutenir financièrement les entreprises et les associations de proximité.
LE BLOCAGE DU CRÉDIT BANCAIRE EXPLIQUE
CET ENGOUEMENT POUR LE FINANCEMENT PARTICIPATIF
Cette démarche, c'est le crowdfunding, littéralement le financement par la foule, le financement participatif. Georges Viana espère collecter 50 000 euros de dons auprès des internautes. Cette somme lui servira à convaincre le tribunal de commerce de la viabilité de son projet et les banques de la nécessité de débloquer des fonds. Le résultat de cette levée de fonds dépasse toutes les espérances : le projet récolte 100 000 euros en deux mois, le double de la somme escomptée !
Plus de 2 000 citoyens ont donné entre 10 et 100 euros en moyenne. Des centaines de messages de soutien sont postés sur la page Facebook du projet. Le succès de ce nouveau mode de financement réside dans le pouvoir donné aux internautes d'agir directement sur l'économie et de financer des projets auxquels ils croient.
Crowdfunding, mode d'emploi
De l'album d'un jeune artiste à un voyage caritatif en passant par la PME de sa région peut être aujourd'hui financé par crowdfunding. Le principe est toujours le même. Après avoir choisi le site ou la « plateforme de financement participatif » qui lui convient, le porteur de projet explicite sa démarche sur la page web qui lui est attribuée : quelle est son entreprise, son histoire, à quoi va servir l'argent collecté, quelle est la santé financière de l'entreprise, etc. Il définit une somme d'argent et une échéance à atteindre.
Dans le cas de Jeannette, Georges Viana s'était donné 40 jours pour collecter 50 000 euros de dons. Enfin, le porteur de projet choisit un mode de financement : le don (avec ou sans contreparties), le prêt (avec ou sans intérêts) ou la participation au capital de l'entreprise. Georges Viana a opté pour la première solution : le don avec contreparties. « Pour un don de 15 euros, vous recevrez à domicile une belle boîte contenant 12 madeleines chocolat noisette », peut-on lire sur la page web de son projet. Pour 150 euros, c'est un abonnement d'un an qui est offert aux contributeurs, soit un paquet de 12 madeleines par mois, etc.
Dernière étape : faire campagne ou plutôt « faire le buzz » et convaincre les internautes de donner de l'argent. Avec 100 000 euros récoltés en novembre et en 70 jours, les Jeannette ont réussi leur campagne de crowdfunding.
En France, 44 % des projets de crowdfunding financent des entreprises
Le financement d'entreprises représente presque la moitié des projets sur ces plateformes françaises. On y vient pour financer du matériel agricole, agrandir sa boutique, former des salariés… Les entreprises en difficulté sont rares car beaucoup de sites trient les projets en amont en fonction de leur viabilité. Le blocage du crédit bancaire explique cet engouement. « Depuis la crise, les grandes banques internationales doivent avoir beaucoup plus de fonds propres. Pour vous donner un ordre d'idée, hier, les banques pouvaient prêter 100 euros, aujourd'hui 62 euros », décrypte Nicolas Lesure, jeune président de Financement participatif France (FPF), l'association regroupant les 50 plateformes de crowdfunding hexagonaux.
C'est le prêt avec intérêt qui est privilégié pour les entreprises. « L'argent placé auprès des banques ne rapporte pas grand-chose : la bourse, c'est le yoyo, les assurances-vie rapportent à peine 2 % d'intérêts et les livrets 1 % », explique Nicolas Lesure. Avec des taux d'intérêt allant jusqu'à 9 %, prêter aux entreprises devient attractif. De plus en plus d'internautes franchissent le pas malgré le risque de ce type d'investissement non garanti.
Génération système D comme débrouille
Le crowdfunding français est en plein boom, à l'image de celui du commerce électronique à la fin des années 1990. Les montants collectés doublent chaque année. Le gouvernement prend l'affaire au sérieux, y voyant un levier de croissance économique à fort potentiel. Entrée en vigueur cet automne, une nouvelle loi encadre désormais le secteur. Sept ans après la création de la première plateforme de financement participatif française, My Major Company, les acteurs de cette nouvelle filière planent sur leur petit cloud…
Sauf que voilà, il manque un personnage à ce scénario parfait : les banques. « Si elles jouaient leur rôle, c'est-à-dire collecter les fonds des gens qui ont de l'épargne et les mettre à disposition de ceux qui en ont besoin, le crowdfunding n'existerait pas. Les banques ont le pouvoir énorme de créer et gérer la monnaie à partir de rien. En contrepartie, on devrait les obliger à accorder un pourcentage de leurs bilans à l'économie réelle », plaide Jean-Marie Roux, de la CGT Banque de France.
Les banques doivent prendre leurs responsabilités
Même avis pour Franck Merouze, de l'union locale CGT de Caen. Il rappelle que c'est précisément le refus des banques qui a précipité la chute de Jeannette en 2013. « Si leur rôle, c'est de spéculer, de faire des rendements à deux chiffres parce que l'économie réelle est trop risquée, que les banques le disent tout de suite. On perdra moins de temps et les gens trouveront des solutions alternatives. En attendant, elles doivent prendre leurs responsabilités. »
Nicolas Lesure rêve, lui, d'un nouveau système, non pas révolutionnaire mais complémentaire à celui des opérateurs traditionnels. « On assiste à une crise de représentativité des corps intermédiaires. Les gens n'attendent plus rien des institutions, comme les banques, l'État ou même les syndicats. Alors, ils se prennent en main. »
Le 24 novembre, Georges Viana est devenu l'heureux repreneur de Jeannette. Ses 2 000 précommandes, son financement de la débrouille et le soutien des salariés pour son projet ont convaincu le tribunal de commerce de Caen. Prochaine étape : obtenir un crédit bancaire et ouvrir le capital à des petits actionnaires. Par crowdfunding, bien sûr…
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EN CHIFFRES
LA FRANCE DU CROWDFUNDING
Avec 150 millions d'euros récoltés pour 44 000 projets au total, la France est championne d'Europe du crowdfunding (CF) et numéro 3 mondial. Sont loin devant, les États-Unis (l'équivalent de 8 milliards d'euros) et la Grande-Bretagne (2,5 milliards d'euros)
48 millions d'euros de prêts accordés en France par CF en 2013 (2 millions en 2011) contre 20 millions d'euros de dons (5 millions en 2011)
44 % des projets financent des entreprises et 21 % vont à des associations diverses.
Plus d'un million de Français ont déjà donné par financement participatif.