16 avril 2015 | Mise à jour le 13 mars 2017
On supprime des emplois à tour de bras dans le secteur du commerce, véritable laboratoire de déréglementation du travail. Entretien avec Amar Lagha, secrétaire général de la fédération CGT Commerce et services.
Amar Lagha,
secrétaire général de la fédération CGT
Commerce et services.
Le 31 mars, les Galeries Lafayette annonçaient la fermeture de trois magasins de province qui comptent 300 salariés et près de 200 démonstrateurs. Une semaine plus tard, c'était au tour du groupe Vivarte – La Halle, Kookai, André, Naf Naf… – de communiquer la suppression de 1600 emplois et au groupe HBI – Dim, Playtex… – de faire peser la menace sur 400 postes. Des exemples médiatisés qui montrent «un secteur particulièrement sous tension» et préfigurent des conséquences de la loi Macron.
NVO: Aux Galeries Lafayette, à La Halle… Quels sont ces plans de restructuration qui bouleversent le commerce?
Amar Lagha: Soulignons en préambule que le secteur du commerce connaît des plans de restructuration en rafale et des taux de ruptures conventionnelles qui explosent. Nous allons donc évoquer des parties émergées de l'iceberg.
Le 31 mars, les Galeries Lafayette annonçaient la fermeture, dès 2015, de leurs magasins de Béziers et de Thiais, (Centre commercial de Belle Epine, 94). Bilan: casse de 192 emplois aux Galeries et de de démonstrateurs (salariés des marques). Le magasin de Lille – 150 salariés et 70 démonstrateurs – devrait suivre. Cette annonce est d'autant plus choquante qu'elle s'accompagne d'un plan d'investissement de grande envergure au Qatar en 2016 et de l'implantation des Galeries sur les Champs-Élysées en 2018. Au repositionnement dans le très haut de gamme, on sacrifie quelques magasins de province et 300 emplois… alors que le chiffre d'affaires du groupe a augmenté de 28,5% entre 2010 et 2013 et que les bénéfices ont, eux, carrément fait un bond de 34%. Cette stratégie est pour nous inadmissible: elle montre que c'est le coût du capital qui détruit l'emploi et non le coût du travail.
Une semaine plus tard, le groupe Vivarte (La Halle, André, Kookai, Naf Naf…) qui compte 17000 salariés en France annonce la fermeture de 244 magasins et la suppression de 1600 emplois dans sa principale enseigne, La Halle aux vêtements. 35 magasins et 105 emplois seront éliminés chez André et Kookai supprimera 35 postes au Siège. C'est la plus violente coupe du secteur de l'habillement de ces dernières années, en France. Elle s'explique par l'augmentation des marges réclamées par les actionnaires. Pour satisfaire leur appétit de bénéfices toujours plus grands, l'ancienne direction a modifié la cible marketing, augmenté les gammes, les prix, les marges et a fini par éloigner la clientèle populaire qui venait chercher un rapport qualité-prix abordable et caractéristique des enseignes du groupe. Nous n'avons cessé de dénoncer cette stratégie et d'alerter sur les risques qui pesaient sur les salariés. Nous n'avons pas été entendus. En revanche, l'ancien PDG qui a lancé ce plan de restructuration est parti, lui, avec 3 millions d'euros d'indemnités. Cherchez l'erreur.
L'État a pourtant versé des aides publiques à travers le CICE ?
C'est le plus scandaleux. Vivarte a perçu plus de 40 millions d'euros d'aides publiques au titre desdits Pacte de responsabilité, ANI, CICE… pour soi disant développer l'entreprise, sa compétitivité, ses emplois. Les contreparties ne sont pas là. La situation de La Halle préfigure des futures conséquences du projet de loi Macron et montre pourquoi nous la combattons avec force – pas plus tard que le 9 avril dernier dans la rue. Ouverture dominicale, petits salaires, emplois précaires, temps partiels récurrents, plannings hyper-flexibles… C'est comparable au contrat zéro en place en Angleterre et qui suppose une totale disponibilité du salarié vis-à-vis de l'employeur sans aucune garantie. Cette enseigne fonctionnait déjà selon le système Macron et voilà le résultat. Ça ne marche pas. Pis, avec l'argent publique, c'est-à-dire nos impôts, on a fait des cadeaux au patronat qui continue de développer sa logique de destruction de l'emploi visant à générer toujours plus de profits à verser aux actionnaires. Nous avons écrit au ministre de l'Emploi, aucune réponse.
Le secteur du commerce et des services vous semble-t-il particulièrement touché?
Bien sûr. Notre secteur regroupe les métiers où le gouvernement expérimente ses politiques de flexibilité du travail. Deux autres exemples: les plateformes logistiques de grandes surfaces comme Carrefour, Intermarché, etc. Jadis elles fonctionnaient avec plusieurs centaines de salariés manutentionnaires. Aujourd'hui, le patronat a trouvé la parade: sous prétexte d'améliorer les conditions de travail, et avec l'aide de l'État, il a tout mécanisé et n'a gardé que quelques dizaines d'emplois. Les caisses automatiques ou les drive sont du même acabit. C'est l'histoire bien connue de l'évolution des usines Renault. Le patronat du commerce a transposé ces avantages et s'en sert pour satisfaire les exigences insatiables de leurs actionnaires.