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ÉVASION FISCALE

Affaires et coups tordus

12 février 2015 | Mise à jour le 23 mars 2017
Par
Affaires et coups tordus

L’histoire se répète. Une semaine après les révélations de «l'affaire Swissleaks», un thriller nous plonge dans les eaux troubles de l’affaire Clearstream. Comme le livre de Denis Robert et la BD dont le film s’inspire, «L’Enquête» donne des frissons dans le dos…

Un énième coup de tonnerre dans le monde de la finance – «nouveau volet de l'affaire Swissleaks» – révélait en début de semaine les noms de personnalités fortunées ayant bénéficié des services d'évasion fiscale proposés par la filiale suisse de la banque HSBC.Une semaine avant, un amendement de la loi Macron – « le secret des affaires » – prévoyant d'empêcher le travail d'enquête des journalistes sous couvert de lutte contre l'espionnage industriel, avait été écarté de justesse grâce, entre autres, à une forte mobilisation de la profession. Et voilà que sort, aujourd'hui, «L'Enquête», thriller mediatico-politique de Vincent Garenq, inspiré de la BD «L'affaire des affaires» et de «La Boîte noire», qui reprend la complexe affaire Clearstream mise au jour par le journaliste d'investigation Denis Robert. La concordance des temps… est frappante.

«L'ENQUÊTE»,
UN THRILLER MEDIATICO-POLITIQUE

Il le dit lui-même. Si, au départ, il avait su qu'il aurait la police, les huissiers, les juges, les multinationales, les banques, etc. après lui, il n'y serait peut-être pas allé. Mais il ne savait pas. Quand le journaliste d'investigation Denis Robert tire les fils des frégates de Taïwan, des rétro-commissions afférentes, des financements des partis politiques, il ne se doute pas sur quoi il va tomber…

Au cœur de l'essor de la finance, au cœur de la mondialisation, au cœur de l'Europe, il découvre «la boîte noire des banques» : au début des années 2000, il déchaîne une vraie tempête judiciaire et médiatique en révélant le financement opaque de Clearstream, affaire majeure par celle des listings manipulés qui éclate en 2011. Le scénario de Vincent Garenq, Stéphane Cabel et Denis Robert, lui-même, coupe, tranche, manie l'ellipse avec minutie.

Il parvient à ne pas se perdre dans cette affaire infernale de labyrinthes, de non-dits, de témoins cachés et de coups tordus. C'est une des grandes réussites du film: sous une charpente de vrai polar politico-financier, il révèle avec pédagogie les arcanes de la finance de haut vol à hauteur d'homme. Au milieu de ces grands bureaux aux baies vitrées, des halls des grands palais de la République, un homme essaie de comprendre. Pour écrire, faire savoir et changer le cours des choses. Mené tambour battant mais sans effets de manches, le corps du récit reste fidèle aux faits.

La réalisation mise sur la sobriété et met en scène un Gilles Lellouche ferrailleur et habité en homme à abattre. C'est un thriller politique maîtrisé, haletant. Et un constat glaçant.

L'AFFAIRE CLEARSTREAM EN BULLES

Quelques semaines avant la sortie du film «L'Enquête», les éditions Dargaud ont sorti «L'intégrale de L'Affaire des affaires, Clearstream», soit les quatre tomes de la BD de Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier, réunis en un seul volume.

«Ceci n'est pas une bande dessinée, ni une autobiographie, ni une enquête. C'est un peu tout ça. C'est surtout l'histoire d'une contagion.» La quatrième de couverture annonce la couleur. «L'Affaire des affaires» est un livre sans équivalent en BD. Le journaliste et romancier Denis Robert y raconte à la première personne sa vie – agitée – depuis l'époque où il travaillait au quotidien «Libération» pendant les années 90 jusqu'à sa mise en examen dans l'affaire Clearstream.

C'est un beau et gros pavé en noir et blanc qui ne recule devant aucune complexité. Et il y en a quelques-unes, pour ainsi dire. Pour circuler dans cette affaire aux multiples rebondissements et ramifications, le livre suit méthodiquement un découpage chronologique précis, ce qui en fait presque un document d'investigation. En même temps, il dévoile, explique et insiste sur les mécanismes qui permettent aux plus riches de devenir encore plus riches et au crime organisé de prendre ses aises dans la nouvelle économie.

Tout y est: les grandes banques, les paradis fiscaux – en l'occurrence le Luxembourg –, les comptes offshore, l'impuissance de la justice du fait de la non-coopération entre les États. Et partout, des hommes aux intérêts contraires et une démocratie sérieusement ébranlée. Avec son trait noir large et vif, Laurent Astier dessine un thriller politico-financier passionnant, sculptural. Planche après planche, il brosse un portrait angoissant et réaliste de notre société actuelle. C'est au final une réflexion édifiante qui prend corps sur l'opposition entre les intérêts d'une petite minorité dominante et ceux, piétinés, d'une majorité engourdie.

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EN SAVOIR +

«L'Enquête»,
réalisé par Vincent Garenq,
sortie nationale le 11 février 2015. 1h46

 

«L'Affaire des Affaires»,
de Denis Robert, Yan Lindingre (scénario) et Laurent Astier (dessinateur).
Éditions Dargaud, 34,90€

 

 

«La Boîte noire», de Denis Robert. Éditions Les Arènes, 2002. 396 p. 20€