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HISTOIRE

Années Giscard, la modernisation, vraiment ?

8 décembre 2020 | Mise à jour le 9 décembre 2020
Par | Photo(s) : DR
Années Giscard, la modernisation, vraiment ?

Avec la disparition de Valéry Giscard d'Estaing ce 2 décembre, c'est avant tout le « modernisateur » que veulent saluer une partie des médias ou de ses héritiers politiques. Le monde du travail en garde pourtant une autre mémoire. Retour sur un septennat marqué par l'austérité et le début du chômage de masse.

Valéry Giscard d'Estaing, troisième président de la Ve République, s'est éteint ce 2 décembre 2020 à l'âge de 94 ans, des suites de la Covid selon son entourage. Un deuil national est décidé pour le 9 décembre, et un hommage solennel au Parlement européen de Strasbourg le 2 février.

Une grande partie de la presse et ses héritiers veulent d'abord voir en lui un « modernisateur ». C'est faire peu de cas des scandales qui ont émaillé son septennat, et d'une politique économique et sociale déjà libérale et au service du grand patronat, contre laquelle les syndicalistes, particulièrement les militants CGT, ont dû mener bataille. Faut-il s'étonner qu'à l'Élysée Emmanuel Macron lui rende un vibrant hommage ?

Élu président de la République en mai 1974, celui qui avait été secrétaire d'État aux Finances de 1959-1962, puis ministre de l'Économie et des Finances entre 1962-1966 puis à partir de 1969, se présente, six ans à peine après mai-juin 1968, comme l'homme du changement.

Face aux exigences puissantes de la jeunesse et des mouvements féministes, il prend en effet des décisions non négligeables, telles que l'abaissement de la majorité de 21 à 18 ans, ou le droit au divorce par consentement mutuel. Il crée un secrétariat à la condition féminine dont Françoise Giroud aura la charge, et laisse sa ministre Simone Veil mener le combat pour la légalisation de l'avortement (loi de janvier 1975). Il élargit aussi le droit de saisine du Conseil constitutionnel, qui peut dès lors être saisi par 60 députés ou sénateurs

Le temps des scandales

Mais les années Giscard, ce sont aussi celles de multiples scandales. D'abord, du fait de morts brutales dont les circonstances ne sont toujours pas toutes aujourd'hui officiellement résolues. En octobre 1980, le sénateur (de droite) de la Charente, Pierre Marcilhacy écrivait ainsi dans Le Matin de Paris : « On meurt beaucoup et beaucoup trop mystérieusement sous la Ve République et je n'aime pas ça. »

Ainsi de l'ancien député Jean de Broglie, suspecté d'éventuelles malversations financières, assassiné à Paris le 24 décembre 1976, de Robert Boulin, alors ministre du Travail et de la Participation, retrouvé mort le 30 octobre 1979 en forêt de Rambouillet (78), de l'ancien ministre Joseph Fontanet, assassiné d'une balle dans la nuque à Paris le 1er février 1980.

En juillet 1975, c'est le juge d'instruction François Renaud, qui enquêtait sur les relations entre le « gang des Lyonnais » (à l'origine d'une trentaine de vols à main armée) et le Service d'action civique (SAC, créé sous De Gaulle) qui est assassiné à Lyon. En décembre 1977, Laïd Sebai, gardien de nuit de l'amicale des Algériens à Paris, est lui aussi assassiné, un an avant Henri Curiel, militant internationaliste, à Paris en mai 1978. En septembre 1979, Pierre Goldman est tué à Lyon.

Giscard, c'est aussi le refus de mettre un terme à la peine de mort. Et le refus de gracier Christian Ranucci, Jérôme Carrein et Hamida Djandoubi, derniers guillotinés de la République.

L'ancien locataire de l'Élysée a en outre entretenu avec l'Histoire un rapport très particulier. Pas seulement parce que plusieurs des assassinats officiellement non résolus des années 70 seraient imputables à des anciens de l'Algérie française. Mais aussi parce qu'il a décidé dès 1975 de ne plus célébrer le 8 mai 1945, date de la capitulation de l'Allemagne nazie (le 8 mai étant jusqu'alors un jour férié, il le sera de nouveau après 1981). On lui reproche aussi son long silence après l'attentat antisémite de la rue Copernic à Paris, en octobre 1980. Ou un autre, après la condamnation de son ancien ministre du Budget Maurice Papon, (qui avait été préfet de Paris lors du massacre des Algériens manifestant pacifiquement le 17 octobre 1961) en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité pour son rôle dans la déportation de juifs sous Vichy.

Deux autres scandales d'une autre nature ont émaillé son septennat. En octobre 1979, Le Canard Enchaîné révèle qu'il a reçu des diamants en cadeau du dictateur centrafricain Jean Bedel Bokassa. Quelques années plus tard est révélée l'affaire dite des « avions renifleurs » : Elf, entreprise pétrolière publique, a été concernée, avec l'accord de l'État, par le financement d'avions présentés comme pouvant détecter des gisements à plusieurs milliers de mètres sous terre. Une totale escroquerie.

Giscard le libéral

En juin 1974, la CGT et la CFDT publient une déclaration commune. En jeu : l'élévation de l'unité d'action.

Parmi les revendications syndicales (alors détaillées par La Vie Ouvrière) : l'augmentation des salaires à commencer par les plus bas, la défense de l'emploi contre l'arbitraire patronal, avec droit de contrôle des organisations syndicales face aux risques de licenciements, la retraite à 60 ans (avec 75 % du salaire des dix meilleures années), la remise en cause d'une fiscalité de classe, la lutte contre la spéculation, l'égalité des droits entre travailleurs français et immigrés, la défense de la Sécurité sociale et des libertés syndicales…

Mais au nom du choc pétrolier, et derrière le slogan « la France n'a pas de pétrole, mais elle a des idées », les années Giscard seront celles de l'austérité pour le monde du travail, et du début du chômage de masse.

En 1976, à l'issue du départ de Jacques Chirac, Raymond Barre devient Premier ministre. Ultralibéral, qualifiant les fonctionnaires de « nantis », il appelle les salariés à « se serrer la ceinture » jusqu'à la sortie du tunnel de la crise. Pour le gouvernement, pas question d'augmenter les salaires, qui seraient cause d'inflation.

Les entreprises qualifiées de « canards boiteux » sont abandonnées. Les privés d'emplois, qui sont 400 000 en 1974 seront quelque 1 700 000 à l'issue du septennat. L'intérim se développe au détriment des CDI. Des secteurs entiers sont touchés, dans les TPE et PME, dans les cuirs et peaux, la métallurgie, le bâtiment, la construction, les transports… Le France est désarmé.

Et le textile et la sidérurgie sacrifiés, au prix de la désertification de régions entières. Les luttes syndicales, importantes, doivent faire face à une intense répression. C'est le temps des bastonnades de la « confédération française du travail » (CFT) contre les militants syndicaux, en particulier de la CGT, et contre les travailleurs immigrés, et de la répression des manifestations. Dans ce contexte, la loi Peyrefitte dite « Sécurité et Liberté » est adoptée en 1981 avant d'être abolie la même année par le nouveau président de la République, François Mitterrand, qui abandonnera aussi le projet de camp militaire sur le Larzac où s'étaient développées d'importantes mobilisations paysannes et citoyennes.

Après son échec à la présidentielle de 1981, Valéry Giscard d'Estaing poursuivra la même orientation libérale, notamment au niveau européen. Il sera chargé de la rédaction d'un projet de Constitution européenne, plaidant notamment la concurrence libre et non faussée, et rejeté à plus de 54 % en France par référendum en 2005.

« Les orientations qu'il avait données à la France guident encore nos pas », a proclamé Emmanuel Macron à l'annonce de la disparition de Valéry Giscard d'Estaing, saluant un chef d'État dont « le septennat transforma la France ». Une évolution libérale, que lui-même entend accélérer…

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