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Areva-La Hague : un futur Fukushima ?

1 juin 2014 | Mise à jour le 2 mai 2017
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Areva-La Hague : un futur Fukushima ?

L'usine de retraitement de déchets nucléaires Areva La Hague a été plusieurs fois à l'arrêt ces dernières semaines suite aux mouvements de grève lancés par l'intersyndicale CGT, CFDT, UNSA, FO. Objectif : dénoncer des projets de réorganisations et de sous-traitance d'activités stratégiques du site qui concentre le plus fort taux de matière radioactive en Europe.

Ils sont encore un peu sonnés, mais ils continuent à se battre. Parce qu'ils ne sont « ni suicidaires, ni irresponsables ». Les 22 et 29 avril derniers, les installations de l'usine de retraitement de déchets nucléaires Areva de La Hague (Manche) étaient à l'arrêt. La direction a beau communiquer sur le fait que le mouvement de grève n'a pas empêché la tenue d'un exercice de crise prévu dans l'usine, « rien n'est sorti pendant ces deux jours, ce qui est exceptionnel », affirme Éric Vernel, secrétaire du syndicat CGT Areva NC La Hague.

FORTE MOBILISATION

La mobilisation, lancée à l'appel de l'intersyndicale CGT, CFDT, UNSA, FO, pour dénoncer « des suppressions de postes, des projets de restructuration et de sous-traitance directement liées à la sûreté et à la sécurité des installations de l'environnement, des salariés et donc de la population » a été massivement suivie par les 3 200 salariés de l'usine qui renferme l'équivalent d'une centaine de réacteurs nucléaires. Et pour cause, ce site, qui fait également travailler 2 500 salariés sous-traitants, vise au traitement des déchets radioactifs.

Au-delà de la dénonciation des dangers potentiels à hauts risques qu'entraîneraient les réorganisations programmées, « les anciens se sont mobilisés parce que ça fait vingt-cinq ans qu'ils sont là et qu'ils se battent pour que ça tourne, explique le syndicaliste. Les jeunes, eux, étaient là parce qu'ils en ont marre d'être traités comme des numéros, qu'ils rejettent les conditions de travail de l'entreprise et les salaires de misère – 1 625 euros brut par mois pour un bac+2 – qu'on leur réserve. »

C'EST DE 
LA SOUS-TRAITANCE 
EN CASCADE
QUI VISE 
À RÉDUIRE 
LES STATUTS DES SALARIÉS

Car, pour salariés et syndicats, ce sont bien les raisons économiques qui président aux choix de réorganisations, de suppressions d'emplois et d'externalisation de la direction. Sous la pression de la forte mobilisation des salariés, les syndicats ont obtenu de la direction un CE exceptionnel pour mieux connaître la stratégie industrielle à moyen et long terme et obtenir des éléments comptables précis sur les coûts et les recettes de l'établissement « puisqu'on nous fait croire qu'on coûte cher et qu'on ne rapporte rien ! », s'indigne Éric Vernel, convaincu, comme d'autres, qu'on leur fait payer la construction chaotique de l'EPR finlandais dont « la fin du chantier a été repoussée aux calendes grecques ».

RENTABILITÉ CONTRE SÉCURITÉ

L'injonction de rentabilité au détriment de la contrainte de sécurité, c'est ce que légitimait insidieusement l'exigence d'« une marge à deux chiffres le plus rapidement possible » de l'ancien ministre du budget, François Baroin, fin 2011. C'est précisément la logique que conteste la CGT depuis trois ans, dans le combat juridique mené contre l'externalisation de DI/PE (direction industrielle de production d'énergie), soit : « l'activité d'exploitation et de distribution des utilités, de l'électricité et de tous les fluides, le système nerveux de l'usine indispensable au fonctionnement, à la sécurité et la sûreté de nos installations », détaille un récent tract de la CGT. Or, le 6 mars dernier, la cour d'appel de Paris validait le projet d'Areva de sous-traiter la production d'énergie pour son usine de La Hague, et infirmait la décision prononcée en première instance qui donnait raison à la CGT. La liberté d'entreprendre a mis KO la sûreté nucléaire. C'est un coup de massue pour les salariés et les syndicats qui craignent des suppressions de postes, la dégradation des conditions de travail, ainsi qu'« un scénario d'horreur à la Fukushima » pour la population du Nord Cotentin. C'est un feu vert pour la direction d'Areva qui « se sent pousser des ailes » et espère concrétiser ce projet dès 2017. FO et la CGT ont annoncé leur décision de se pourvoir en cassation. En attendant, la direction déroule sa stratégie et annonce au cours du CE du mois de mars « sept réorganisations dont deux externalisations ». Elle prévient également, lors d'une information des ingénieurs et cadres, le 25 avril, qu'aucun service ne sera épargné par une restructuration ou une externalisation. Après l'externalisation du traitement des fluides (air respirable…), c'est maintenant au tour du traitement des réactifs (produits chimiques, acides…) d'être sous-traités.

LA LOGIQUE DE LA SOUS-TRAITANCE

« La démarche est bien huilée, on la connaît maintenant », explique le syndicaliste. D'autant qu'elle s'est intensifiée depuis les années 2010. Il ne s'agit pas seulement d'externaliser des activités hors du groupe – comme c'est le cas pour une partie du nettoyage de son linge contaminé, envoyé depuis août 2013 aux Pays-Bas –, mais aussi de sous-traiter à l'intérieur du groupe.

« On ne remplace pas les départs à la retraite, on supprime des postes et quand on arrive à un niveau minimum de salariés avec lesquels le boulot ne peut humainement plus se faire, on externalise, analyse Bruno Blanchon, responsable de la branche énergie atomique à la Fédération nationale des mines énergie CGT. Sauf que, comme cette sous-traitance a lieu à l'intérieur d'un même groupe, cela permet à la direction de ne pas l'appeler ainsi. C'est un mensonge, ni plus ni moins. »

LES OBJECTIFS DU GROUPE AREVA

Le groupe Areva est né en 2001 de la fusion entre Cogema (aujourd'hui Areva NC), Framatome (aujourd'hui Areva NP), CEA Industrie et Tecnicatome (Areva TA), mais selon la logique marketing, « a ramené toutes ces entreprises sous le même nom, a favorisé la mobilité des salariés dans le groupe tout en leur donnant l'impression de rester dans la même famille avec le même statut ».

La réalité est toute autre : les statuts initiaux des salariés sont loin d'être équivalents, le plus favorable étant celui de la Cogema devenu Areva NC. On comprend pourquoi ce statut est dans la ligne de mire de la direction et pourquoi ce sont principalement des activités d'Areva NC qui font l'objet d'externalisations. Cette démarche a pour but principal de « vider le statut Cogema de ses bénéficiaires », explique le syndicaliste.

Du coup, des activités sensibles du processus de démantèlement des réacteurs nucléaires sont sous-traitées par Areva NC vers STMI (Société des techniques en milieu ionisant), une filiale de services spécialisée dans l'assainissement nucléaire, puis vers Polinorsud (entretien des réacteurs), MSIS (radioprotection) ou Amalis (maintenance), elles-mêmes filiales de STMI. « C'est de la sous-traitance en cascade qui vise à réduire les statuts des salariés. »

 

Car, plus les tâches sont sous-traitées, plus les salaires sont bas. Or, plusieurs études montrent que la sous-traitance ne réduit pas les coûts.

 
En revanche, cela permet de reporter les responsabilités du donneur d'ordre – pénibilités, risques juridiques – vers le sous-traitant. Et, au passage, de casser les collectifs de travail, de transférer les questions de flexibilité du travail là où la représentation syndicale est généralement plus faible, la capacité d'intervention des salariés, réduite. Dans le même temps, l'idéologie générale à l'œuvre autour du « cœur de métier » a été érigée en dogme malgré l'absence de définition précise.
« Nous sommes dans une industrie à cycle économique long, note Bruno Blanchon. On ne dirige pas Areva comme un groupe automobile. Or, les directions successives ne pensent qu'à court terme. L'ancien directeur de La Hague, qui avait initié l'externalisation des fluides, venait d'ailleurs de Peugeot Sochaux. » Cela n'offre aucune perspective aux salariés, bien sûr. Quant aux populations, « qu'elles se rassurent, Areva a une bonne assurance », ironise le syndicaliste, qui s'interroge plus sérieusement sur la responsabilité de l'État, actionnaire majoritaire dans cette politique industrielle.

Le CE exceptionnel du 15 mai n'ayant rien fait avancer, les salariés ont décidé de se mobiliser à nouveau les 5 et 10 juin. « Pas de réponse, donc on est reparti. »