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HISTOIRE

Bourses du travail : la conquête du droit de cité depuis un siècle et demi

17 octobre 2024 | Mise à jour le 17 octobre 2024
Par | Photo(s) : François Bourlier
Bourses du travail :  la conquête du droit de cité depuis un siècle et demi

À l'occasion des 27e Rendez-vous de l'histoire, à Blois (Loir-et-Cher), carte blanche a été donnée à l’Institut CGT d’histoire sociale, dimanche 13 octobre. À l'ordre du jour, « Les bourses du travail d'hier à aujourd'hui », conférence animée par quatre intervenant.es, dont trois historien.ne.s. Retour sur une des institutions au fondement de la CGT.

Avoir droit de cité et disposer d'un local fut une condition historique d'existence des syndicats. Haut lieu de solidarités interprofessionnelles, les bourses du travail ont, depuis leur création en 1887, porté les revendications de la classe ouvrière tout en organisant son émancipation. Lieux de réunions syndicales, de services sociaux, de placement et de conseils juridiques, les bourses du travail restent le centre de gravité urbain des travailleurs. Mais d'où viennent leurs origines ? Qui a voulu ancrer la lutte ouvrière au sein des villes ?

Donner de la voix aux ouvriers

Contre toute attente, c'est un économiste libéral, Gustave de Molinari qui, dès 1843, déclare vouloir créer à Paris un organe de placement fonctionnant selon le système des bourses. L'économiste propose alors de centraliser l'offre et de la demande de travail et d’assurer en conséquence une répartition rationnelle de la main-d’œuvre. « Gustave de Molinari conceptualise et théorise les bourses du travail. En même temps, Adolphe Leullier, socialiste proche des idées de Louis Blanc, présente à la mairie de Paris un projet visant à la création d'un système public qui devrait permettre de mieux centraliser les formes existantes d'embauche », détaille Michel Pigenet, historien à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il faudra toutefois attendre 44 ans pour que la première bourse du travail voie le jour. A Paris, la mairie accepte de donner des locaux aux syndicalistes, le 3 février 1887. « Cette première bourse du travail permet aux syndicats de se constituer. Elle va être le point de départ des premières luttes syndicales, notamment contre les bureaux de placement privé », poursuit l'historien. L'aristocratie craint que le rassemblement d'ouvriers génère de l'instabilité dans le pays, pourtant, cette première bourse du travail va faire des petites. Car le mouvement gagne rapidement les grandes villes du pays avec l'ouverture de nouveaux édifices comme à Toulouse et à Marseille la même année, Nice et Nantes en 1892, Lyon et Lille en 1896. Le besoin de se coordonner entre bourses du travail se fait très vite ressentir. Une fédération est créée en 1892. En 1895, Fernand Pelloutier, militant syndicaliste révolutionnaire, est porté à la tête de la fédération. « C'est un tournant radical, Pelloutier a pour ambition la régulation du marché du travail en dotant les bourses du travail d’une maîtrise statistique de l’offre et de la demande », explique Michel Pigenet. Mais le nouveau secrétaire général veut aussi faire des bourses du travail un lieu d'éducation et d'émancipation ouvrière. Il s'attachera autant à les développer qu'à maintenir leur autonomie au sein de la CGT, créée le 23 septembre 1895, à Limoges.

Dispensaires médicaux, services juridiques, cours, conférences…

La plupart des bourses du travail sont au cœur des centres-villes. Elles offrent de nombreux services là où les œuvres sociales sont rares et les services publics carencés. Dispensaires médicaux et services juridiques sont mis à la disposition des ouvriers. Des cours et des conférences sont également donnés avec une éducation différente des écoles d'Etat ou patronales. « Au travers de l'enseignement professionnel, les ouvriers accèdent à l'usage de l'écrit, à une réflexion théorique liée à la pratique », écrit l'IHS-CGT dans le numéro 140 de ses Cahiers. Des sections de pupilles extra-scolaires à destination des filles et fils d'ouvriers sont aussi mises en place. Mais elles se développeront peu, la toute jeune CGT alertant sur des risques d'endoctrinement. En 1913, on compte plus de 160 bourses du travail, seuls 8 départements n'en bénéficient pas. Les locaux sont souvent d'anciens bâtiments religieux ou militaires désaffectés. « Plus de 42 bourses du travail sont classées aujourd'hui monuments historiques. Sur le plan architectural, il y avait aussi une forte dimension artistique. À l'instar de celle de Lyon, où une fresque d'une trentaine de mètres représente une cohorte d'ouvriers venant assister à une réunion syndicale », précise Danielle Tartakowsky, professeure d'histoire à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis.

À partir de 1936, face à des municipalités hostiles à leur égard, les syndicats commencent à acheter eux-mêmes leurs locaux. Après-guerre, avec la création de la Sécurité sociale en 1945, la mise en place de l'assurance chômage en 1958 ou encore l'instauration des sections syndicales d'entreprise en 1968, certaines fonctions de solidarité des bourses du travail disparaissent. Dès les années 1970, suivies plus tard de l'offensive libérale, de nombreux édifices tombent à l'abandon, voire même, sont récupérés par des mairies.

« L'histoire ouvrière a largement été invisibilisée en France. Conserver et faire vivre les bourses du travail c'est se réapproprier son histoire »

Comme à Toulouse ou plus récemment à Aubervilliers, les bourses du travail sont de plus en plus convoitées par les municipalités. « Elles sont un enjeu de lutte aujourd'hui car il y a une rupture entre le monde politique et celui du travail. L'histoire ouvrière a largement été invisibilisée en France. Conserver et faire vivre les bourses du travail c'est se réapproprier son histoire », rappelle Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Matrice du syndicalisme, les bourses du travail ont donné une voix politique et sociale aux travailleuses et travailleurs. Un patrimoine qu'il faut sauvegarder à l'heure où le droit syndical recule et où 40 % des salariés n'ont pas de syndicats dans leur entreprise.