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SOCIAL

Bruxelles : grande manifestation des travailleurs du non-marchand

26 mai 2025 | Mise à jour le 26 mai 2025
Par | Photo(s) : Dirk Waem / AFP)
Bruxelles : grande manifestation des travailleurs du non-marchand

Près de 30 000 travailleurs du secteur non marchand ont manifesté le 22 mai, à Bruxelles, à l'appel du front syndical FGTB-CSC- CGSLB, pour dénoncer les mesures d'austérité annoncées par l'Arizona, la coalition gouvernementale très à droite, au pouvoir depuis début février. Reportage.

« Du temps pour le non-marchand », « Respect pour les soins », « La santé au boulot, attention à la goutte de trop », « Quand il n'y aura plus personne dans l'hôpital, les actionnaires vous soigneront ? » … Les messages des pancartes et banderoles, dans la manifestation des travailleurs du secteur non marchand de ce jeudi 22 mai, étaient sans équivoque dans la dénonciation des mesures d'austérité annoncées par le Premier ministre et nationaliste flamand Bart De Wever, mesures qui devront être déclinées dans toutes les régions et communes. Le ciel gris et la bruine ne les aura pas découragés. Sous des chasubles rouges, vertes et quelques bleu foncé, ils étaient près de 30 000 travailleurs – puéricultrices, éducateurs, aides-soignantes, auxiliaires de vie, infirmières, travailleurs sociaux ou associatifs – à manifester dans la capitale européenne, entre la gare de Bruxelles-Nord et la Gare Centrale, à l'appel des trois syndicats belges, la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB).

Le parent pauvre du social

« La dernière manifestation en novembre dernier avait réuni 35 000 personnes. Aujourd’hui, comme hier, on est là pour dire haut et fort qu'on veut de meilleures conditions de travail, plus d'emplois dans nos secteurs, plus de formation et de meilleurs salaires, lance Johan, vice-président du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCa – BBTK en flamand) de la FGTB. À deux pas, Nancy, 56 ans, agent de nettoyage dans un centre de psychiatrie à Anvers, a enfilé un costume d'horloge pour incarner le slogan « Du temps pour le non-marchand » en référence aux rythmes de travail qui dégradent les conditions de travail par manque d'emplois. « Tous les syndicats partagent le même constat : le secteur qui prend soin des enfants, des malades, des personnes âgées est aujourd'hui uni dans la rue pour dire qu'il est mis sous pression pour des raisons prétendument budgétaires, alors que ça relève d'un choix politique, explique Cécile Cornet, syndicaliste CSC et responsable d'un centre d'insertion socio-professionnel, à Namur. Aujourd'hui les rythmes de travail sont intenables, on ne peut plus faire notre travail correctement alors que notre secteur amène une vraie plus-value à la société. » Le message est le même du côté de la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB), troisième syndicat belge. « Le front uni, c'est un signal fort envoyé aux différents gouvernements, fédéral, régional et des communes pour dire que nos personnels sont en souffrance, qu'il faut aujourd'hui des mesures structurelles de financement pour améliorer les conditions de travail, créer des emplois et in fine pouvoir garantir les services et les soins à la population, confirme Éric Dubois, responsable sectoriel. S'il y a un budget pour la défense, il faut aussi en avoir un pour ces personnels indispensables à la société. »

Salaires, emplois, retraites

Aurore, éducatrice, 61 ans, est venue avec deux collègues de Liège. Elle travaille depuis 35 ans avec des adultes handicapés physiques. « On est vingt-six soignants pour seize bénéficiaires qui vivent en autonomie, mais on diminue de plus en plus les personnels dans les associations, et on se retrouve toujours en sous-effectif. Voilà que maintenant, le gouvernement veut supprimer le paiement à 156 % des  »heures inconfortables » », c'est-à-dire le travail entre 20 à 22 heures en semaine, ainsi que le travail du dimanche. Ces heures seront désormais rémunérées normalement alors qu'elles permettaient de compenser un peu les bas salaires. « Les jeunes ne veulent déjà plus rejoindre nos secteurs pour ne pas sacrifier leur vie privée, ce en quoi ils ont bien raison, mais nos métiers vont encore perdre en attractivité. » Quant aux mesures qui vont mettre fin aux dispositifs de fin de carrière, elle peste : « Je voulais prendre le  »plan tandem » qui permet de travailler à mi-temps tout en conservant presque la totalité du salaire, mais il va aussi être raboté. » « Et moi, avec mon salaire de 1 500 euros mensuels, même si je travaille jusqu'à 67 ans, je n'arriverai pas à avoir une retraite suffisante, il faudra que j'aille au-delà, avec, si j'y arrive, des boulots très lourds… », rebondit Nancy, qui continue de danser devant le cortège du SETCa-BBTK dans son costume d'horloge. Pour Donato, 60 ans, ouvrier au service technique de la mutuelle belge Solidaris, à Liège, l'heure tourne et l'incertitude grandit : « J'espérais partir en retraite anticipée dans les prochains mois, raconte-t-il. C'est bien mérité après 42 ans de carrière, non ? Mais la réforme en cours m'inquiète, les malus que le gouvernement veut imposer risquent de m'en empêcher. » Il était de ceux qui ont manifesté en novembre et sait déjà que lui et ses collègues seront en grève et à nouveau dans la rue lors de la grande manifestation interprofessionnelle prévue le 25 juin.

« Les grandes réformes de l'État qui sont lancées sont toutes des politiques qui détricotent le maillage entre la société et les personnes en vulnérabilité » Éric, 52 ans

« Les grandes réformes de l'État qui sont lancées, tant au niveau du gouvernement fédéral que de la communauté française ou de la Wallonie, sont toutes des politiques qui détricotent le maillage entre la société et les personnes en vulnérabilité, ajoute son collègue, Éric, 52 ans, directeur de la Fédération des centres d'insertion socioprofessionnelle à Bruxelles (au nombre de 200 en Wallonie). On parle de réformes nécessaires pour redresser le budget de l'État, mais c'est surtout beaucoup de précarité qu'on va mettre en place. On va augmenter les inégalités et aggraver le fossé social, c'est inéluctable. On le sait bien, nous, qui travaillons à créer du lien entre les différentes classes sociales ». En 2025, sa structure a subi une réduction budgétaire de 6%. Une nouvelle réduction de 10 à 15 % est prévue en 2026 alors que 85 % de son budget est lié à la masse salariale. Et le pire est annoncé pour 2027 avec une grande réforme du secteur. En attendant, les femmes, qui constituaient le gros des cortèges de ce jeudi, vont être doublement victimes des mesures d'austérité : non seulement elles représentent entre 75 et 99 % des salariés du non-marchand – selon le SETCa-BBTK) –, mais elles sont aussi les premières bénéficiaires de tous ces services sociaux en voie d'être touchés.

Une mobilisation partie pour durer

Depuis deux mois, les manifestations et grèves se succèdent en Belgique. Une, parfois deux chaque semaine. « On essaie d'articuler les mobilisations interprofessionnelles avec celles des secteurs d'activité, explique Selena Carbonero Fernandez, secrétaire fédérale de la FGTB. Quand on pense que les services publics étaient en grève il y a deux jours, la mobilisation d'aujourd'hui est une réussite. » Il faut préciser qu'en Belgique, le taux de syndicalisation est exceptionnellement élevé, avoisinant les 50 % de la population active. Une importante participation qui s'explique par une tradition historique et culturelle du dialogue social. La stratégie du front syndical s'appuie sur cette force et vise à encourager une montée en puissance du mouvement pour lui permettre de rebondir après la période estivale. « Pour l'instant, les mobilisations et les grèves qui ont eu lieu depuis novembre sont très suivies », conclut Thierry Bodson, président de la FGTB. Plusieurs mobilisations sectorielles sont prévues, début juin, puis une dernière grande concentration pour dénoncer la limitation des allocations chômage à deux ans et le rabotage des pensions a eu lieu le 25 mai. « On espère être des dizaines de milliers pour nous redonner rendez-vous en septembre : le gouvernement annoncera à ce moment-là un deuxième train de mesures concernant la flexibilité de l'emploi ; il faudra donc être prêt à repartir dans la mobilisation avec de multiples actions, par secteurs et par lieux, avant d'atteindre le point d'orgue fixé au 7 octobre, date à laquelle on prévoit une méga manifestation interprofessionnelle ».