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CHÔMAGE

Chômeurs : traquer pour mieux radier

23 janvier 2019 | Mise à jour le 23 janvier 2019
Par | Photo(s) : R. Helle / Divergences
Chômeurs : traquer pour mieux radier

Un chercheur d’emploi dans une agence de Belfort.

En aggravant les sanctions à l'encontre des chômeurs, 
le gouvernement s'attaque au principe assurantiel. À la clé, un double bénéfice : minorer artificiellement le taux de chômage et faire main basse sur les cotisations des actifs.

Un privé 
d'emploi accuseTémoignage de Raphaël da Silva, journaliste syndiqué au SNJ-CGT, sans emploi depuis mars 2018.

J'ai reçu par mail un questionnaire à renvoyer à l'agence, 
puis j'ai été convoqué à un entretien téléphonique de vingt minutes, qui a été jugé « pas convaincant ». Selon quels critères ? Mystère.

J'ai demandé ce qu'il fallait faire, le nombre de CV qu'il fallait envoyer pour que ce soit considéré comme suffisant, mon interlocuteur n'en savait rien et m'a renvoyé vers la plateforme de Pôle emploi. J'ai fait remarquer qu'il n'y avait pas d'offres correspondant à mon champ professionnel, mais, là encore, je n'ai pas eu de réponse. Comme si la décision de radiation avait déjà été prise en amont. Quand j'ai été radié, on m'a informé que je disposais de dix jours pour présenter appel de cette décision auprès… de Pôle emploi. La bonne blague.

La mise au travail forcé des privés d'emploi va réaliser une percée remarquable en 2019. En effet, ce fléau du chômage qui n'en finit pas, malgré les « ambitieuses » politiques de retour à l'emploi des gouvernements successifs va enfin cesser. À tout le moins, sur le papier. Entré en vigueur pendant la trêve des confiseurs, un décret de la loi « Avenir professionnel » instaure des modalités inédites de lutte contre le chômage. Ou plutôt — nuance — de lutte contre les chômeurs. Ce décret stipule en effet de nouvelles règles de contrôle de la recherche d'emploi.

Elles sont terribles : Conformément à l'esprit « start-up nation », gage de modernité des réformes Macron, ces nouvelles procédures de contrôle sont désormais entièrement dématérialisées. Et ce, pour gagner en efficacité dans la traque aux fraudeurs et aux « fainéants » de tous poils. Encore abstraites pour le quidam, ces nouvelles règles sont déjà subies très concrètement par le chômeur 3.0, comme en témoigne le cas de Raphaël da Silva.

Opacité des critères 
de radiation

« Il n'y a plus aucun contact physique entre le chômeur et le conseiller de Pôle emploi. Toutes les relations transitent via une plate-forme Internet et un centre de contact téléphonique qui peut vous convoquer à tout moment. La mission d'accompagnement vers le retour à l'emploi n'est plus assurée tandis que l'activité de recherche d'emploi, elle, est minutieusement scrutée. En gros, toute la responsabilité du retour à l'emploi est transférée de Pôle emploi au chômeur » , explique-t-il.

Inscrit à Pôle emploi depuis mars 2018, Raphaël a été radié des listes en novembre pour « insuffisance de recherche » , dixit le téléconseiller. Pour lui, les 39 lettres de candidature envoyées par Raphaël à toutes les entreprises de la région lyonnaise susceptibles de recruter ses services de journaliste expérimenté n'ont pas suffi à qualifier positivement son dossier de « chercheur d'emploi ». Elles ont en revanche suffi à lui valoir une radiation qui a entraîné la suppression, et non plus la suspension, de son allocation de retour à l'emploi (ARE).

Hold-up sur les cotisations chômage

« Voilà à quoi aboutit la transformation de la cotisation chômage en impôt via la CSG : un petit tour de passe-passe qui permet à l'État d'accaparer l'argent du chômage, d'en décider l'affectation ou la rétention. C'est un véritable hold-up  » , s'insurge Tennessee Garcia. Le secrétaire général du comité national CGT des privés d'emploi et précaires déplore l'abandon de la mission de service public d'accompagnement du demandeur d'emploi au profit d'une mission de traque du chômeur.

Au 1er janvier, 1 000 agents de Pôle emploi, contre 400 en 2018, ont été transférés dans ces filiales dédiées au contrôle des chômeurs. Établis dans des antennes régionales non accessibles au public, ces contrôleurs sont investis d'un pouvoir arbitraire de radiation et, mieux encore, d'un pouvoir d'approbation ou de refus des recours que les chômeurs radiés pourraient intenter. « Pôle emploi est désormais juge, censeur et gardien de prison » , ironise Tennessee Garcia, qui qualifie ces agents de l'épithète de « radiateurs ».

Car pour radier en masse, Pôle emploi a désormais les mains libres. Charge au chômeur d'apporter les preuves de sa recherche active d'emploi, sans par ailleurs connaître les critères d'appréciation de sa démarche.

Surveiller, punir et dépouiller le chômeur

À la merci d'un Pôle emploi déchargé de sa mission de service public d'accom­pa­gne­ment vers le retour à l'emploi, le chômeur sera considéré comme seul responsable de sa situation, même lorsque des preuves effectives de recherche d'emploi existent, puisqu'elles peuvent être arbitrairement considérées comme insuffisantes. « Il s'agit de culpabiliser le privé d'emploi, de le mettre sous pression pour le dissuader de s'inscrire à Pôle emploi et, le cas échéant, de le forcer à accepter n'importe quel “job” , sans adéquation avec son expérience, ses qualifications ou son niveau de salaire » , prévient Tennessee Garcia.

Traqué et soupçonné a priori de fainéantise ou pire, de fraude à l'Assurance chômage, le privé d'emploi de 2019 restera, malgré tout, libre de traverser la rue pour, d'un claquement de doigts, trouver… un costard et un emploi.

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