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Coronavirus

Chroniques du coronavirus : les services funéraires, oubliés de la « première ligne »

7 avril 2020 | Mise à jour le 7 avril 2020
Par | Photo(s) : Sébastien Bozon/AFP
Chroniques du coronavirus : les services funéraires, oubliés de la « première ligne »

Un employée des pompes funèbres Lantz regarde des cercueils stockés à Mulhouse, le 1er avril 2020.

Comment les salariés et les militants syndicaux s'adaptent à cette réalité ? Ceux qui travaillent de chez eux, ceux qui sont tenus de se présenter à leur poste…
Chaque jour, la NVO vous raconte le quotidien des travailleurs à l'heure du Covid-19. Aujourd'hui : les pompes funèbres.

Les chiffres ne cessent d'augmenter de jour en jour. Hospitalisations, mises en réanimation, décès. Et le pic ne serait pas encore arrivé. Annonçant un nombre bien plus élevé de morts à venir. Des morts auxquels ils sont les premiers confrontés, ou presque. Ils ? Ce sont les travailleurs des services funéraires, mis aujourd'hui à rude épreuve…

« Dans un premier temps, on nous a demandé de venir bosser sans équipements. On était réquisitionnables par le ministère public mais pas prioritaires pour les masques, ce qui était un peu difficile à comprendre, regrette Henri Lenepveu, représentant syndical au CSE d'OGF, le numéro 1 des services funéraires en France. Aujourd'hui, on est devenus prioritaires et, pour l'instant, les gars sont bien équipés. La difficulté, c'est qu'on ne fait pas de dépistage systématique en France, et donc, pour nous, tous les défunts sont susceptibles d'être infectés. »

Une évidence qui avait conduit le Haut Conseil de la santé publique à recommander aux personnels funéraires, le 18 février dernier, que les corps soient mis dans une housse non « ouverte » et « qu'il soit procédé sans délai à la fermeture définitive du cercueil ». Depuis le 24 mars, de nouvelles dispositions ont été requises par le Haut Conseil de la santé publique annulant les précédentes. Désormais, une toilette funéraire est autorisée, ce qi permet à la famille de voir le visage du défunt, en cercle très restreint et à distance raisonnable, avant la mise en bière. Avec le risque d'exposition possible au virus pour la famille, ou les salariés.

« Le Haut Conseil de la santé publique a donné un avis mais l'entreprise n'a pas changé sa façon de faire et préfère minimiser les risques, se félicite Pascal Patinot, délégué syndical CGT Funéraire Île-de-France et maître de cérémonie chez OGF. Dès que l'on sait que quelqu'un est décédé du Covid-19, on met la personne dans une housse et la mise en bière est immédiate. »

Journées à rallonge

Une protection d'autant plus nécessaire que le nombre de décès lié au Covid-19 ne cesse d'augmenter. « Les opérations ont été multipliées par quatre ou cinq et, aujourd'hui, ce sont des journées à rallonge qui peuvent aller jusqu'à dix heures de travail, constate Pascal. À l'heure qu'il est, on répond à l'urgence… On essaie en tout cas. Dans dix ou quinze jours, je ne sais pas. Plus cela va aller, plus il va falloir assumer d'enterrements. Ça va être de plus en plus compliqué. »

Compliqué, ça l'est déjà. Dans le Grand Est, premier foyer français de l'épidémie, mais aussi en Île-de-France, où l'on comptabilisait, au 1er avril, 1 369 décès dans les établissements hospitaliers de la région. Chiffre omettant ceux décédés à leur domicile ou en maisons de retraite.

Les gens sont plutôt dans le “jus”. Ils sont en train faire le boulot. Je pense que c'est après qu'il y aura des dégâts.Pascal Patinot, délégué syndical CGT Funéraire Île-de-France

Cercueils entassés

« La situation est simplement dramatique. On nous demande d'accueillir encore des cercueils alors qu’il n'y a plus de places. On peut en accueillir quelques-uns mais pas des dizaines, comme on est en train d'en recevoir en ce moment », témoigne ce salarié d'une agence parisienne d'OGF, qui évoque des « cercueils rangés par trois, l'un sur l'autre, comme on entasse les boîtes de petits pois dans un supermarché ». Et l'employé d'appeler l'État à « ouvrir des gymnases, à ouvrir même Rungis, où il y a des espaces. Même si ce ne sont pas des lieux de recueillement adaptés, au moins, on n'aura pas à les entasser ».

Reste que la question de la place, cruciale en ce moment pour des agences de pompes funèbres parisiennes qui doivent d'autre part attendre de plus en longtemps avant de pouvoir envoyer les cercueils pour l'inhumation ou la crémation – il n'y a qu'un crématorium à Paris, au Père-Lachaise –, n'est pas la seule à gérer pour les salariés.

Un sentiment d’irréalité

« On est dans la même situation que les personnels de santé, sauf que nous, on n’a que les défunts », insiste Pascal. « C'est une mort violente et, même si on est “blindés”, psychologiquement, c'est assez dur en ce moment. » Les nuits des salariés s'en trouvent agitées. Entre cauchemars – « J'emballais des morts dans des draps à la chaîne. » – pour les uns, et insomnies pour cet autre salarié qui se demande s'il n'a « rien ramené à la maison », et avoue vivre dans une sorte d'« irréalité ».

« Les gens sont plutôt dans le “jus”. Ils sont en train faire le boulot. Je pense que c'est après qu'il y aura des dégâts », prévient Pascal Patinot, inquiet des conséquences du pic de décès annoncé pour les prochains jours, voire les prochaines semaines, sur ses collègues. « Mais aujourd'hui, les salariés sont en majeure partie là, et ils tiennent leur rôle. Ce qui est admirable. »

Le manque d'un peu (voire de beaucoup) de reconnaissance à leur égard l'est un peu moins…