Chroniques du coronavirus : profs sur plateformes et liens humains

Le confinement des élèves et des enseignants contraint à s'adapter. Pas toujours simple, notamment quand chacun ne dispose pas d'accès internet. Mais indispensable. Témoignages et analyses de deux profs de français, l'une dans un collège creusois et l'autre à Paris, toutes deux mères de famille.

Élise et Stéphanie, l'une, prof de français dans un collège creusois, en classes de cinquième et quatrième, l'autre à Paris, en 4e, 3e et seconde, ont dû, comme tous les personnels enseignants, élèves et parents s'adapter à la vie confinée et à l'absence de cours collectifs en un même lieu et en direct.

Le chef d'établissement d'Élise avait prévu des réunions les 16 et 17 mars pour que l'équipe s'organise, mais tous ont été pris de vitesse et elles n'ont pu avoir lieu. Pas plus de réunion dans le lycée de Stéphanie.

Du coup, expliquent-elles, chacun fait comme il peut dans l'intérêt des élèves.

Les enseignants disposent d'une boîte à lettres numérique professionnelle et d'un accès internet à la plateforme ENT (environnement numérique de travail) ou Pronote. À priori, parents et élèves y ont eux aussi accès, ce qui doit leur permettre de trouver des cours, des exercices, des conseils, et d'échanger.

Les deux enseignantes, comme nombre de ses collègues, ont ainsi posté dès le dimanche ou le lundi des messages rassurants et encourageants, des conseils d'organisation, des cours et des exercices.

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Des situations familiales diverses

Les problèmes sont nombreux cependant. D'une part parce que tous les élèves n'ont pas accès à un ordinateur ni à internet, que certains vivent dans des familles qui n'en ont qu'un pour plusieurs enfants avec, en plus, parfois, un ou des parents en télétravail… Dans le collège et le lycée de Stéphanie, qui compte plusieurs classes par niveau ainsi que des prépas, une classe expérimente les tablettes, et seuls neuf ordinateurs ont pu être prêtés. Beaucoup n'ont pas non plus d'imprimante pour les divers textes ou exercices.

D'autre part, parce qu'ENT ou Pronote sont en surcharge ce qui génère de nombreux et longs dès bugs.

Enfin, parce que, du moins dans la Creuse, précise Élise, les élèves ne disposent pas de manuels chez eux. Les dotations financières du département étant insuffisantes, les collégiens n'en ont en temps ordinaire qu'un pour deux, qui reste au collège.

Situation exceptionnelle, continuité pédagogique en question, continuité du lien humain

Il faut donc inventer, trouver d'autres textes, prévoir des questions, créer des exercices de grammaire, mais aussi répondre à chaque adolescent individuellement, lui proposer des corrections et des pistes de réflexion personnalisées, ce qui prend naturellement beaucoup de temps, sans certitude que ces élèves les recevront bien.

Stéphanie ajoute qu'il faut aussi taper les cours, habituellement oraux, ce qui crée une tout autre relation pédagogique aux élèves et prend par ailleurs pas mal de temps.

Chaque enseignant bricole, pour donner cours, conseils, envie de continuer — même si l'absence d'échanges dans l'équipe pédagogique peut s'avérer déstabilisante, témoigne Stéphanie. Le prof de gym de Raphaëlle, la fille de Stéphanie en collège à Paris XXe, a par exemple envoyé aux adolescents des conseils d'hygiène de vie (alimentation, rythme, activités physiques…), proposé des échauffements et exercices, et créé un « carnet d'entraînement ». Celui d'arts plastiques a imaginé un « mur collaboratif » pour ses élèves, avec des étagères-rubriques, des défis à relever…

Toutes les difficultés sont finalement assez normales face à une situation exceptionnelle avec des conséquences aussi massives et un confinement que nul n'aurait pu imaginer, commentent en substance Élise et Stéphanie. Mais alors, ajoute Élise, il faut le dire ainsi et non, comme le fait le ministre de l'Éducation, parler de continuité pédagogique. On peut parler de continuité du lien humain, précise Stéphanie. Mais ce n'est pas la même chose.

Chacun aura en effet compris que rien ne peut remplacer l'enseignement en présence de tous, profs et élèves, un enseignement qui, par ailleurs, s'il ne gomme pas à lui seul les inégalités sociales, très loin s'en faut, peut en partie contribuer à les réduire. Ce qui ne peut être le cas des cours par internet dans ces conditions.

De même s'avère-t-il bien aventureux de prétendre que les examens et concours auront bien lieu comme prévu. Nul ne sait combien de temps durera le confinement. Nul ne peut prévoir. Il faut dire les choses comme elles sont vraiment, souligne Élise, et sans paniquer pour autant. Et ce, quel que soit l'engagement total des enseignants…

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