Compétitive et écologique, la papeterie Chapelle Darblay est menacée
« Il y avait bien des signes précurseurs ces derniers temps, un encadrement moins présent, des investissements qui ne se font plus », raconte Julien Senecal, le secrétaire CGT du CSE de la papeterie Chapelle Darblay. Une usine spécialisée dans le papier journal de qualité, située à Grand-Couronne, en Seine-Maritime, et propriété du groupe finlandais UPM.
Il n'empêche. « Une bombe a été lâchée », selon le syndicaliste, lorsque la direction a informé les représentants des salariés, mardi 10 septembre au matin, de « la mise en vente du site de Chapelle Darblay. Avec un délai pour trouver un repreneur fixé à fin janvier 2020 et, ensuite, si ce n’est pas le cas, une procédure de fermeture du site. »
Encore un site compétitif en passe d’être sacrifié
Une annonce brutale pour les quelque 236 employés de cette papeterie dont « la colère » et « le dégoût » s'accompagnent rapidement d'incompréhension.
Les arguments patronaux, « baisse de la consommation en papier » ou « coûts fixes trop élevés » peinent en effet à convaincre.
« La consommation de papier n'est pas ce qu'elle était il y a cinq ou dix ans, certes, mais c'est un site compétitif, qui fait des profits », explique Julien, précisant qu'« UPM a fait un chiffre d'affaires de 10,5 milliards d'euros en 2018 », et que l’usine de Chapelle Darblay a dégagé « 16 millions d’euros de bénéfices l'an dernier ».
Les enjeux écologiques totalement négligés
À cette incompréhension comptable, s'ajoute une autre, plus environnementale. « On fait du papier journal qui est entièrement recyclé en France, et entre 30 % et 40 % du papier collecté dans le pays, dans les centre de tri, dans les poubelles jaunes, reviennent chez nous pour être recyclés.
Quand on ne sera plus là, et sachant que la Chine refuse maintenant de tout racheter, qu'est-ce qu'on va en faire de ces 30 % à 40 % ? Ils vont aller où ? » interroge Cyril Briffault, délégué syndical CGT du site.« C'est toute une économie circulaire qui va s'effondrer. »
Un argument de poids contre la fermeture d'une usine pionnière en la matière. D’autant que, faute de disposer de papier recyclé, il va bien falloir en fabriquer, avec du bois… et donc couper quelques arbres.
La filière papier journal française dépecée,
c’est notre liberté d’expression qui se trouve en danger
Autre sujet d'étonnement, voire d'inquiétude, mais tout aussi important aux yeux des deux syndicalistes : le fait qu'avec cette possible fermeture annoncée de Chapelle Darblay, c'est pratiquement toute la filière française de fabrication de papier journal de qualité qui est mise à l'arrêt, alors que celle-ci ne produit déjà pas assez pour la presse nationale.
« Les imprimeurs iront acheter du papier encore plus cher et plus loin, en Russie ou au Canada comme c'est actuellement le cas. Mais s'ils vont le chercher à un autre coût, le prix des journaux ne sera pas le même non plus.
Or le papier presse contribue à la liberté d'expression. C'est un enchaînement sans fin », prévient Cyril, rappelant, au passage, qu’avec ses 240 000 tonnes de papier produites chaque année, Chapelle Darblay fournit des titres comme Le Monde, Les Échos, Le Figaro, Paris Normandie, entre autres.
Autant de raisons qui, quarante-huit heures après la « bombe », et compte tenu des nombreux soutiens déjà reçus, de la mairie aux imprimeurs, en passant par les journaux ou les syndicats, font dire à Julien et Cyril qu'« il va falloir que l'État se bouge pour faire en sorte qu'un site comme le nôtre, avec tous ses atouts, soit sauvé ». Une exigence que les syndicalistes ont bien l'intention de porter.