
Simon Delétang, planches de salut
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Chronologie
1913 – Le 23 octobre, le Vieux-Colombier ouvre ses portes.
1920 – Dans l'après-guerre, Louis Jouvet crée un nouveau dispositif scénique.
1924 – Jacques Copeau fonde la troupe des Copiaux en Bourgogne.
1945 – Première mise en scène et premier succès pour Jean Vilar.
1972 – Après moult péripéties, le théâtre à l'abandon ferme ses portes.
1986 – Le ministère de la Culture sauve de la disparition ce lieu légendaire.
1993 – Le Vieux-Colombier renaît avec, à l'affiche, deux pièces de Sarraute.
2013 – Le système Ribadier, de Feydeau, mis en scène par Zabou Breitman
Un « sordide boyau », une longue enfilade entre des murs sans charme ni séduction… C'est ainsi que Charles Dullin, à la recherche d'une salle pour son ami Copeau, nomme l'Athénée Saint-Germain, un lieu que son propriétaire loue à la journée aux troupes de patronage et d'amateurs. C'est pourtant là que Jacques Copeau, en 1913, jette son dévolu pour enraciner sa révolution théâtrale en devenir. Comme l'écrit l'historienne Catherine Naugrette-Christophe dans Comédie-Française. Trois théâtres dans la ville, mieux vaut encore « une salle paroissiale de la Rive gauche qu'un théâtre commercial de la rive droite » ! Copeau, en effet, rompt ainsi avec toute la tradition et passe les ponts pour s'installer à proximité du Quartier latin et de Saint-Germain-des-Prés, loin des boulevards et de ce théâtre mercantile qu'il abhorre !
« Le parcours de Jacques Copeau est étonnant, presque incroyable, témoigne d'emblée Jean-Louis Hourdin, le saltimbanque des planches et l'héritier de la « Maison des Copiaus » à Pernand-Vergelesses, en Bourgogne (voir encadré). Il faut se souvenir que c'est avant tout un homme de lettres, non un homme de théâtre. » Sa fréquentation des planches ? D'abord comme critique dramatique à la Nouvelle Revue française sous l'égide de Gallimard, qu'il fonde en 1909 en compagnie de Gide et Schlumberger et dont il est devenu le directeur, ensuite comme signataire de l'adaptation des Frères Karamazov où Charles Dullin joue le rôle de Smerdiakov.
« Face au théâtre de boulevard dont il réprouve forme et contenu, il rêve donc d'une scène dépouillée de tout artifice superflu, il veut aller au cœur de la poésie dramatique : le texte d'abord, le jeu de l'acteur ensuite dépouillé de tout cabotinage. » Les moyens de ses ambitions, il les trouvera avec le soutien de la maison Gallimard, l'expérience des planches avec Dullin et Jouvet.
L'installation Rive gauche, du côté des lettrés, l'esprit NRF, un bagage intellectuel très fort : voilà les atouts de Copeau, lui qui pourtant n'a jamais fait de théâtre ! Outre les deux colombes découvertes sur un pavé de Florence et apposées sur les murs, le théâtre du Vieux-Colombier s'inscrit d'emblée dans le paysage et l'histoire d'un quartier de Paris : le nom de la rue et la référence à cet ancien colombier installé depuis le XIIIe siècle dans le voisinage et dépendant de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Pour l'historienne, « le Vieux-Colombier signifie à la fois l'ancrage dans un quartier de Paris et l'envol vers d'autres espaces ».
D'autres espaces qui seront, pour Copeau et sa bande, Dullin et Jouvet, un profond et radical changement de perspective théâtrale. Enseignant d'études théâtrales à l'université Paris III-Sorbonne Nouvelle, directeur d'un volume à paraître sur les Registres de Copeau, Marco Consolini est catégorique. « Il nous faut apprendre à découvrir Copeau au cœur même de ses contradictions. En 1913, il est comme habité par un besoin d'épuration, presque de purification devant ce qu'est devenu le théâtre. Une exigence de pureté qui le conduit à s'adresser à un public cultivé, pas forcément élitiste mais pas vraiment populaire. »
À l'identique de la NRF, qui souffle un vent nouveau dans le monde des lettres, son objectif est d'insuffler un esprit nouveau aux artisans des planches… « Le monde populaire, le public populaire, il le découvrira plus tard. Dès 1924, au terme de l'expérience du Vieux-Colombier, lorsqu'il se réfugie en son repaire de Pernand-Vergelesses, fonde la troupe des Copiaus et se frotte au petit peuple bourguignon. » Dans la bande, formés à l'exigeante école de Copeau, deux figures incontournables de l'après-guerre, deux ardents œuvriers de la décentralisation et de la rénovation théâtrale au cœur des villes et des campagnes : Jean Dasté, à Saint-Étienne, et Hubert Gignoux, à Strasbourg.
Le chercheur l'atteste : « Copeau croit fermement que l'on peut changer le monde en changeant le théâtre ». Pour ce faire, il faut changer les hommes, d'abord changer les acteurs : qu'ils soient vrais et sincères dans ce qu'ils font, qu'ils sachent se mettre au service du texte autant qu'improviser, travailler le mime et le masque, user de tout leur corps et de tout leur art pour transmettre les émotions. « Jacques Copeau est l'ancêtre de toute pédagogie nouvelle, un novateur pour son temps, ouvert au théâtre oriental et aux “farceurs italiens”. » La grande révolution de Copeau ? Faire école, former la jeunesse : un gourou, un meneur d'hommes et d'utopies qui sait repérer le talent chez les autres, surtout leur grandeur d'âme. « Pour des raisons idéologiques, liées à l'ébullition du Front Populaire puis ensuite à l'épopée brechtienne, longtemps il fut bon ton de minimiser le rôle de Copeau dans l'émergence d'un théâtre populaire, il en est pourtant l'un des plus fervents artisans, sinon le père », affirme Marco Consolini.
L'expérience ne dure que quelques saisons, avant et après la Grande Guerre… En 1924, Copeau abandonne le Vieux- Colombier pour s'en aller fonder la troupe des Copiaus en Côte-d'Or. Il n'empêche, en 1941, il signe son fameux texte Le théâtre populaire, le grand mouvement de la décentralisation théâtrale suivra aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale avec la création des centres dramatiques nationaux qui maillent durablement le territoire.
Au départ du fondateur, le théâtre devient un cinéma jusqu'en 1928, puis de nouveau un lieu consacré à l'art dramatique de 1941 jusqu'en 1972. Précurseur, le Vieux-Colombier le demeure à la Libération ; d'autres grands noms de la scène s'installent aussi Rive gauche : Charles Dullin, Gaston Baty… Surtout, s'ouvrent une série de petites salles qui s'afficheront véritablement comme les théâtres d'avant-garde des années 1950.
Le théâtre de Poche, le théâtre de Babylone, les Noctambules, La Huchette, le théâtre Mouffetard : ici, se montent et se jouent les premières pièces d'Adamov, de Beckett, de Genet ! Et le Vieux Colombier n'est pas en reste : en 1945, Jean Vilar y met en scène Meurtre dans la cathédrale, de T.S. Eliot, Roger Planchon, en 1958, Paolo Paoli, d'Arthur Adamov, avec Armand Meffre dans le rôle-titre…
Aujourd'hui, quoique peu de salles subsistent face au pouvoir du cinéma et de la spéculation immobilière, grâce au Vieux-Colombier, la Rive gauche de Paris demeure emblématique et synonyme d'un nouvel art théâtral. En 1973 pourtant, au lendemain d'une ultime fermeture, la catastrophe est proche : le théâtre est laissé à l'abandon et tombe en décrépitude. Jusqu'en 1986, où le ministère de la Culture s'en porte acquéreur, entreprend sa rénovation et l'attribue à la Comédie-Française. Une nouvelle salle qui lui fit longtemps défaut et lui permet de rejoindre un autre public, au même titre que le Studio-Théâtre, plus tard, au Louvre. Le 7 avril 1993, le Vieux-Colombier renaît ainsi de ses cendres avec deux pièces de Nathalie Sarraute à l'affiche, Le silence et Elle est là, mises en scène par Jacques Lassalle.
Un haut-lieu du patrimoine culturel français est alors durablement sauvé des eaux, aujourd'hui le « vaisseau » à la belle architecture boisée peut accueillir aussi bien le répertoire classique que les œuvres contemporaines. Et surtout voguer sereinement vers de nouvelles batailles d'Hernani !
En savoir +
À voir : la programmation de saison au Vieux-Colombier : www.comedie-francaise.fr
À lire : Comédie-Française. Trois théâtres dans la ville, collectif, Norma éditions, 175 p., 44 euros
La rénovation scénique en France, Norma éditions, 247 p., 44 euros
Maxime Loïc

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