« Debout, les femmes ! » montre bien la réalité des travailleuses du soin
Entretien avec Stéphane Fustec, conseiller de la fédération Commerce et services CGT en charge des services à la personne (dont le secteur lucratif de l'aide à domicile et emplois directs par des particuliers).
On vous voit apparaître dans le documentaire de François Ruffin et Gilles Perret. Pourquoi ?
Nous avons été auditionnés à deux reprises au cours d'une mission parlementaire obtenue par François Ruffin, mission à laquelle était également associé un député de la République en Marche, Bruno Bonnell. Il s'agissait de faire un état des lieux « des métiers du lien et du soin », qui vont de l'aide à domicile à l'accompagnement d'enfants en situation du handicap, par exemple. Ce qui leur a permis de mesurer l'état de délabrement de ce secteur essentiel — tant ces métiers répondent à des besoins fondamentaux. Cette audition nous a donc offert l'occasion de leur présenter l'état des lieux tel qu'il se présente de notre point de vue, et aussi de transmettre les revendications des salariées.
Vous connaissez bien le secteur. Comment le décririez-vous ?
Ce n'est pas terrible. Les aides à domicile, par exemple, sont 700 000 personnes qui permettent aux personnes en situation de handicap, de perte d'autonomie, de rester chez elle, ce qui est une aspiration profonde des Français. C'est un accompagnement au quotidien, parfois pour des gestes simples, parfois pour des gestes très techniques, mais pour des gestes, dans tous les cas, essentiels. La proportion de femmes, dans ce secteur, est de 94 %.
Et les indicateurs sont au rouge puisqu'on a une précarité extrêmement importante et un salaire moyen de 912 euros bruts, avec des temps partiels très largement subis et un taux de pauvreté de plus de 17,5 % (contre 6,5 % dans les autres secteurs). Les conditions de travail sont également dans le rouge puisqu'on relève trois fois plus d'accidents du travail et de maladies professionnelles que dans tous les autres secteurs confondus.
Ces salariées ont en outre une moyenne d'âge supérieure de dix ans comparée aux autres. Or, pour s'occuper de personnes en perte d'autonomie ou en situation de handicap, il vaut mieux être en forme. On est donc dans quelque chose de très atypique, de très précaire, alors que ça ne devrait pas l'être, puisque ces métiers répondent à des besoins citoyens, sociétaux.
En suivant le travail de deux députés de bords opposés sur ce sujet, le film pose la question du dépassement des clivages politiques. La position de Bruno Bonnell est marquée par son expérience personnelle…
Ce qui est intéressant, c'est que Bruno Bonnell a un parcours personnel qui l'a amené à recourir à ces métiers. Or, la misère de ces salariés, leur précarité autant que leur utilité, n'est souvent découverte que lorsque la vie vous y oblige, c'est-à-dire quand on y recourt en tant qu'usager — pour soi ou pour un proche. Autrement, c'est pudiquement caché sous le tapis.
C'est quand on est amené à embaucher ces salariés qu'on découvre leurs difficultés, qu'on s'aperçoit que ce sont des précaires qui s'occupent d'autres précaires, des salariés mal payés, mais face auxquels on a nous-mêmes du mal à joindre les deux bouts si on veut les rémunérer correctement… On a des systèmes d'aides qui sont très inégalitaires, et un financement du secteur qui place les Français dans des situations difficiles.
Au milieu du film, François Ruffin pousse un gros coup de gueule face à l'hypocrisie du système parlementaire, qui vide de son sens toute la démonstration de la commission parlementaire. Ça vous étonne ?
Le constat n'est pas nouveau. C'est une fuite perpétuelle. Cela fait des décennies qu'on nous promet des réformes de la prise en compte de la perte d'autonomie et des situations de handicap. Mais personne n'ayant le courage politique de poser la question du financement, on ne fait que poser des pansements sur des jambes de bois.
Aujourd'hui, on joue sur les réductions fiscales et on dégage parfois quelques millions, mais on est bien loin du compte pour permettre à chacun de vieillir — ou de vivre tout simplement quand on est en situation de handicap — dans des conditions dignes. Et j'insiste sur le mot « digne », car au vu des conditions de travail qu'on impose aux salariées et des conditions d'intervention qu'on impose aux bénéficiaires, on est face à une situation que l'on peut qualifier de violence institutionnelle.
L'état de précarité de ce secteur est-il lié à sa féminisation ?
Cela ne fait aucun doute. Si la moitié des salariés de ce secteur étaient des hommes, on aurait certainement des salaires et des conditions de travail bien meilleures. Cela s'explique par l'image fausse, mais encore largement dominante selon laquelle s'occuper des plus âgés, des enfants ou des autres simplement, serait naturel pour les femmes alors que ça ne l'est pas pour les hommes. Ce regard que porte toute la société — y compris les milieux associatif, syndical et politique — sur les compétences dites naturelles des femmes fait que ce sont des métiers dévalorisés.
La crise sanitaire et le mouvement MeToo ont-ils fait évoluer les choses ?
Pas assez. Le regard évolue, mais ça prend encore du temps. Alors qu'on a un double problème démographique : on est un peuple vieillissant qui vit de plus en plus longtemps, mais pas forcément de mieux en mieux, ce qui fait prévoir des besoins qui explosent dans les dix années à venir ; et un nombre important de départs en retraite dans notre secteur, qu'on n'arrivera pas à compenser de par sa faible attractivité. Ça va finir par exploser si on ne s'attaque pas rapidement au problème.