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Délit d’entrave à la SNECMA.

8 avril 2014 | Mise à jour le 4 mai 2017
Par | Photo(s) : DR
Délit d’entrave à la SNECMA.

La Snecma Gennevilliers (92) avait passé outre la consultation des élus pour un projet de « lean management », le comité d'établissement avait déposé plainte pour délit d'entrave. Sept ans plus tard, l'affaire est toujours en cours : du jamais vu !

Sylvie Le Toquin,
avocate au cabinet Atlantes

 

 

 

nvo : En quoi consiste le délit d'entrave du comité d'entreprise ?

Sylvie Le Toquin : Le législateur a prévu que, quand il y a des projets importants dans une entreprise, le comité d'entreprise soit préalablement informé et consulté sur ledit projet avant la mise en œuvre de cette décision, car le comité d'entreprise (CE) assure l'expression collective des salariés et prend en compte leurs intérêts. Ces intérêts doivent être pris en compte dans les décisions de l'entreprise.

Tout un dispositif est prévu : l'employeur doit fournir des informations précises et écrites, il doit donner au CE un délai d'examen suffisant. Sur la base de ces informations, le CE doit pouvoir poser des questions, et l'employeur doit y répondre de façon motivée. Tout ce processus doit permettre au CE de formuler à l'employeur un avis motivé sur les décisions envisagées. Le CE est donc un véritable partenaire social.

Tout est fait pour qu'on bloque les affaires
du droit du travail

 

L'entreprise Snecma a décidé de mettre en place un projet « lean » (de management) sans associer les élus. C'est un très gros chantier pour le groupe. Dans l'usine de Gennevilliers, des projets sont mis en place depuis plusieurs années. Le « lean » est un projet global, de grande ampleur, mis en place par sous-projets. La Snecma avait décidé une nouvelle étape dans son application : le projet MACH.

Dans l'usine de Gennevilliers, elle décide de le lancer sur l'atelier forge. C'est le cœur de l'entreprise, où sont forgées les pièces aéronautiques qui seront usinées dans d'autres établissements du groupe. Même si la forge regroupe peu de salariés (35), l'atelier est symbolique, et au départ du processus de fabrication des pièces. Ce projet important, initié sur le site pilote de la forge, va modifier les conditions de travail, mais au-delà il affectera les effectifs et concernera en réalité la marche générale de l'entreprise.

La Snecma va annoncer partout à tous ses salariés qu'il s'agit d'un projet majeur. Mais elle oublie, sciemment ou non, le processus d'information-consultation du comité d'établissement de Gennevilliers. Le cabinet McKinsey est chargé de mettre en place le projet MACH dans ce site en quatre mois, et distribue un questionnaire aux forgerons.

 

Pourquoi cette procédure judiciaire dure-t-elle depuis sept ans ?

Le CE a mis un certain temps à déposer plainte. C'est une usine très spécifique du groupe Safran. La CGT y est bien implantée, le syndicat est fort avec beaucoup de militants expérimentés très soutenus par les salariés. Ils font énormément de terrain et connaissent aussi parfaitement l'outil judiciaire.

Quand ils vont en procédure, ils ne le font pas à mauvais escient. Ils ont voté le délit d'entrave parce qu'il y en avait un, mais aussi parce que l'employeur n'a pas cru bon de revoir sa copie. Si la Snecma avait décidé plus tard de consulter, même si le délit d'entrave était constitué, il n'y aurait pas eu de procédure. S'en est suivi le processus judiciaire classique : la plainte a été déposée au procureur, qui n'a pas bougé. Puis, nous avons déposé le dossier devant le juge d'instruction. Il y a eu plusieurs années d'une instruction un peu particulière.

Je pense que le juge d'instruction, connaissant mal le droit du travail, a voulu vérifier sur place si les conditions de travail avaient été modifiées. Mais cela relève d'une méconnaissance du droit du travail et du délit d'entrave. L'instruction a été longue, avec un déplacement dans l'usine, ce qui ne se fait jamais dans ces cas-là. Ensuite le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu mal motivée. Le procureur, s'y connaissant aussi mal dans cette matière, avait une réquisition mal motivée. Nous avons fait appel et la chambre d'appel de l'instruction a donné raison au CE et recadré d'un point de vue juridique. Ce qui prend du temps. Furieuse de perdre, la Snecma est allée en Cour de cassation, qui nous a donné raison.

 

Le tribunal a accepté le renvoi !

Le dossier est retourné à la chambre d'instruction qui a saisi le tribunal correctionnel. En novembre, l'avocat de Snecma a demandé un nouveau renvoi… Étonnamment le tribunal a accepté cette demande en raison du caractère tardif de l'audience, ce que personnellement je n'avais jamais vu.

Et le 24 mars, les débats ont duré plus de quatre heures ! On traite toutes les semaines d'affaires comme celle-là au tribunal de grande instance en matière civile, et ça ne fait pas un pli. Au pénal, ce dossier a pris une allure mastodonte. Car même si les condamnations encourues sont extrêmement faibles, elles sont considérées comme attentatoire à l'honneur. On comparaît au pénal comme un voyou !

Cette affaire a démontré que les juges ne connaissaient pas bien le droit du travail, soit, mais tout est fait pour qu'on bloque les affaires du droit du travail.