Dépendance : la pompe à fric
C’est donc grâce à une minutieuse enquête journalistique et au courage de plusieurs lanceurs d'alerte et de nombreux témoins que des faits déjà connus apparaissent au grand jour comme un système bien huilé pour tirer le maximum de profit d’un besoin sanitaire et social massif laissé à la main du privé lucratif.
La dénonciation de cette maltraitance des résidents, de la souffrance des personnels de ces établissements ne datent pas de cette enquête. Elle est même un leitmotiv de la CGT Santé Action sociale depuis des années confrontée à la répression de toute expression syndicale. Aussi, elle « exige l'abandon de toutes les procédures de licenciements en cours, car nombreuses sont celles qui n'ont d'autres motifs que celui de la répression. Les personnels doivent être entendus et accompagnés, ils sont aussi les victimes de ce groupe. À l'heure où la pénurie de personnels soignants se fait sentir partout en France et en Europe, ORPEA se paye le luxe de licencier tout agent qui viendrait revendiquer de moyens pour exercer leurs missions. »
Dans cette affaire, on voit combien les directives financières de l’état-major du groupe représentant les actionnaires sont déterminantes. Repas rationnés, personnes âgées abandonnées dans leurs excréments, laissées sans soins pendant des jours… mais aussi personnels muselés, empêchés de se défendre. Les dégâts causés par la voracité des actionnaires d'Orpea ont été couverts par un aveuglement complice des pouvoirs publics et des gouvernements trop contents de glorifier cette « Silver Economy » si prometteuse.
On fait mine de découvrir et de s'étonner aujourd'hui que les inspections des affaires sociales, les contrôles sanitaires, que les inspections du travail aient pu être à ce point inexistantes ou inopérantes : c'est oublier à quel point les services de l'État sont depuis des années empêchés de faire tout simplement leur travail.
Tout est fait pour ne pas mettre des bâtons dans les roues des acteurs privés de cette économie si juteuse… Car on parle de gros profits, qui attirent de très gros acteurs. C'est ainsi que les retraités CGT de PSA Sochaux ont exhumé le « Document d'enregistrement universel et le rapport financier annuel 2020 » de Peugeot Invest, la société financière de la famille Peugeot. L’établissement financier entend« tirer profit des macrotendances » et se « focalise sur des entreprises qui opèrent sur des marchés ou tendances à forte croissance ce qui réduit son exposition aux risques ». Et l'on apprend en page 42 de ce document que Peugeot est le deuxième actionnaire d'Orpea à hauteur de 5 %. Et que « le 26 juillet 2018, après onze ans au capital de la société, Peugeot Invest a cédé 550 000 titres, soit 0,85 % du capital pour 63,8 millions d'euros ». Des profits sur lesquels l'enquête Les Fossoyeurs jette une lumière glauque, d'autant que l'établissement financier du constructeur automobile est représenté au conseil d'administration d'Orpea et que son représentant siège également au comité d'audit ainsi qu'au comité des nominations et rémunérations.
On apprend aussi à la lecture de ce document financier que le premier investisseur d'Orpea est un fond de pension canadien, le CPPIB. De là à penser que pour payer les retraites des travailleurs canadiens on rationne les couches et les biscottes des retraités résidents en France et dans 23 pays, il n'y a qu'un pas…