Les lanceurs d’alerte sur la sellette
Alors que la Commission européenne annonce un projet de directive sur la protection des lanceurs d’alerte, le Parlement français s’apprête à voter une proposition de loi... Lire la suite
« M. le président, refusez qu'avec le secret des affaires, le secret ne devienne la règle et les libertés [soient] des exceptions. » Lundi midi, place de la République à Paris, lanceurs d'alerte, journalistes, syndicalistes, acteurs de la société civile (associations, ONG), chercheurs, symboliquement bâillonnés de blanc, ont manifesté leur inquiétude pour « le droit à l'information et l'intérêt général ». En cause, la transposition dans le droit français d'une directive européenne sur le secret des affaires, adoptée en 2016 et jugée dangereuse pour la liberté d'informer. Dans une lettre ouverte adressée au président de la République et lue à plusieurs voix au pied du Monument à la République, ils appellent à une restriction du champ d'application du secret des affaires « aux seuls acteurs économiques concurrentiels ».
Le Parlement s'apprête à voter en procédure accélérée, une proposition de loi portant sur « la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites ». « Alors qu'habituellement les directives européennes sont transposées par un projet de loi gouvernemental, passant en Conseil des ministres et comportant une étude d'impact », les signataires de la lettre ouverte regrettent que « la France ait, cette fois, choisi une discrète proposition de loi d'initiative parlementaire ». Discrète et expresse : déposée le 19 février elle a été votée le 28 mars à l'Assemblée et sera examinée par le Sénat ce mercredi 18 avril avec une adoption prévue dans la foulée.
Les signataires s'interrogent sur la raison du brusque changement d'attitude du président de la République sur le sujet du secret des affaires. « En janvier 2015, lorsque nous vous avions interpellé sur l'intégration dans votre projet de loi d'un amendement sur le secret des affaires, vous aviez fait le choix de retirer cette disposition, la jugeant dangereuse pour les libertés publiques. Pourtant, lors du récent débat parlementaire, votre gouvernement a refusé les amendements permettant de restreindre l'application du secret des affaires aux seuls acteurs concurrentiels. Pourquoi un tel revirement ? »
L'étau se resserre sur les représentants du personnel, les journalistes, les scientifiques et tout potentiel lanceur d'alerte. Il suffirait en effet d'obtenir des informations pour être en infraction, indépendamment de l'objectif poursuivi en les utilisant et les diffusant. Avec une définition si « vaste » du secret des affaires que toute information d'intérêt général interne a une entreprise (pratiques fiscales, impact de l'activité ou des produits sur l'environnement, la santé, etc.) est concernée. En l'état la proposition de loi empêcherait donc que des scandales tels que ceux du Mediator, du bisphénol A ou des « Panama Papers » soient portés à la connaissance des citoyens. « Il s’agit d’une inversion de nos principes républicains : le secret devient la règle et les libertés [deviennent] des exceptions », arguent les signataires.
Opposés « à l'adoption en l'état de cette loi », les lanceurs d’alertes, syndicats, associations, journalistes, chercheurs signataires de la lettre ouverte, rappellent à Emmanuel Macron ses engagements de campagne électorale « en faveur de la protection des droits fondamentaux pour défendre la liberté d'expression » et lui demandent « de défendre le droit à l’information et l’intérêt général en restreignant le champ d’application du secret des affaires aux seuls acteurs économiques concurrentiels. » Car, estiment-ils, « La France dispose de marges de manœuvre pour la transposition de la directive dans son droit national, et peut faire le choix de préserver les libertés tout en respectant le droit européen. »
Parmi les signataires de la lettre ouverte figurent notamment Antoine Deltour, lanceur d'alerte sur les « LuxLeaks », Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, Sandra Cossart, directrice de Sherpa, Nicolas Laarman, directeur général de Pollinis, Sophie Binet et Marie-José Kotlicki, secrétaires générales de l'UGICT-CGT, Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat National des Journalistes CGT, Luc Berille, secrétaire général de l'UNSA, Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT Cadres, une vingtaine de Sociétés de Journalistes (Les Échos, l'Humanité, BFMTV, Libération, Le Figaro, Challenges…)
Une pétition a été lancée il y a un mois. Intitulée « Loi secret des affaires : ne laissons pas les entreprises et les banques d'affaires imposer la loi du silence ! ». Elle a déjà recueilli plus de 340 000 signatures.