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AÉRONAUTIQUE

Entretien avec Michel Molesin sur l'aéronautique : « Il faut une reprise en main par les pouvoirs publics »

29 juillet 2021 | Mise à jour le 12 juillet 2021
Par | Photo(s) : Bapoushoo
S'il y a bien crise du transport aérien en raison du Covid, Michel Molesin, dirigeant de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT qui représente la CGT au Comité stratégique de la filière aéronautique atteste que les carnets de commande des constructeurs restent pleins. Il en appelle à une intervention de l'État, notamment dans la perspective de l'avion « décarboné ».

La crise sanitaire a débuté il y a un an et demi, quel en a été l'impact sur la filière aéronautique ?

NVO - La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGT

Michel Molesin

Il y a une crise du transport aérien qui affecte notamment les vols internationaux. Pour autant, l'industrie aéronautique ne fonctionne pas au rythme du trafic aérien. Les commandes d'avions sont passées longtemps à l'avance. Aujourd'hui, les compagnies ne s'empressent pas de prendre livraison des A 350 et A 330 pour ne pas avoir à les stocker en attendant la reprise des vols. Cependant, le carnet de commandes demeure impressionnant : 7 000 avions à construire. C'est-à-dire qu'il y a déjà dix ans de travail ­commandé. L'aéronautique n'a donc pas subi le même trou d'air que le transport aérien. Thales, Dassault, Airbus et Safran finissent l'année avec des ­trésoreries et des résultats d'exploi­tation positifs. Et même, trois d'entre ­eux – sauf Airbus – vont verser des ­dividendes.

Comment analysez-vous le plan d'aide gouvernemental à la filière aéronautique ?

Le plan d'aide, c'est 15 milliards dont 10 destinés aux compagnies aériennes, et 1,5 milliard pour un avion « décarboné » à l'horizon 2035. Or, nous constatons que les budgets de R&D autofinancés sont tous à la baisse dans les grands groupes. Une réduction compensée par cet argent public. Les constructeurs ont aussi profité de l'APLD (activité partielle de longue durée) et des restrictions qu'ils ont opérées dans la chaîne de sous-traitance. Les grands groupes limitent leurs dépenses de trésorerie en passant les commandes au compte-gouttes et en continuant à fonctionner à flux tendu avec le zéro stock. Cela génère des difficultés pour les petites entreprises. Nombre d'entre-elles ont supprimé des emplois. En réalité, les grands groupes s'en sortent plus que bien, mais le tissu de sous-traitance se retrouve fragilisé et ne tient encore, pour une part, que grâce à l'APLD.

Et que préconise la CGT pour les entreprises sous-traitantes ?

Nous préconisons de revoir de fond en comble cette relation donneurs d'ordre/sous-traitants. Ces derniers sont totalement sous la coupe des donneurs d'ordres qui détiennent, et souvent imposent, les procédés industriels. Dans ces conditions, ils peuvent retirer la production d'un jour à l'autre pour la confier à un autre sous-traitant. Or, bon nombre d'entre eux n'ont pas de bureaux d'études. Ici, il y a un vrai problème pour arriver à avoir des entreprises sous-traitantes plus autonomes. Il faudrait aussi d'autres relations ­commerciales. Avec un carnet de commandes rempli pour dix ans, le donneur d'ordre distille les commandes au coup par coup à des sous-traitants qui n'ont que deux mois de visibilité. Il faut donc assainir ces relations pour une véritable gestion de la filière. Rappelons que 70 % d'un avion est construit à l'extérieur des grands groupes. La filière repose donc largement sur le tissu de sous-traitants. Si on perd ces savoir-faire pour ne garder que les quatre grands groupes de l'aéronautique, on ne sort plus aucun avion.

Plaidez-vous pour un retour de l'État stratège ?

Absolument. Il faut une reprise en main des pouvoirs publics sur les orientations, et notamment sur l'attribution des aides et le contrôle de ces fonds publics, y compris pour aller vers un avion « décarboné ». Par exemple, la filière hydrogène questionne l'État stratège. Un avion à hydrogène implique la modification des infrastructures aéroportuaires. C'est ce qui a manqué avec le Concorde ou l'A 380, des succès technologiques, mais avec trop peu d'aéroports pouvant les accueillir. Cela nécessite donc des concertations à un niveau international. En cela aussi, il faut que l'État ne se laisse pas « driver » par les industriels, mais reprenne sa capacité stratégique globale. C'est d'autant plus possible qu'il est un grand pourvoyeur de moyens. Et il est totalement anormal que cet argent aille remplir les trésoreries des grands groupes.

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