29 novembre 2019 | Mise à jour le 29 novembre 2019
Cet ouvrage publié aux éditions de l’Atelier émane de la consultation « Femmes, la CGT, vous la voulez comment ? » portée par le collectif confédéral « Femmes mixité ». Les quelques 10 000 répondants à ce questionnaire ont souhaité en tirer plus amples enseignements. Entre fonction mémoire et fonction miroir, l’opus coécrit par Maryse Dumas, Sophie Binet et Rachel Silvera offre à ses lecteurs les moyens intellectuels et politiques d’approfondir le combat féministe.
Trois auteures dont l’engagement sans faille pour la cause féminine au sein du mouvement syndical est notoire, ont choisi de donner à leur ouvrage un titre en forme de question: Féministe, la CGT ? Maryse Dumas, Sophie Binet et Rachel Silvera, co-auteures de ce précieux ouvrage, considèreraient-elles comme abusif d’attribuer ce qualificatif à la CGT ? Et ce, alors même que le 52ème congrès confédéral de mai 2019 a défini la CGT comme « Un syndicat féministe qui se fixe pour objectif de transformer dans un même mouvement rapports sociaux de sexe et rapports sociaux de classes« , nous rappelle, dès la préface, Philippe Martinez, .
Seulement voilà, on le sait bien, les mots ne suffisent pas toujours à triompher des maux, semblent nous rappeler ces trois femmes engagées de longue date dans la lutte contre toutes les inégalités et toutes les discriminations, en particulier celles faites aux femmes, dans le travail d’abord, mais qui trouvent leur source aussi bien que leurs prolongements désastreux et parfois mortifères dans l’organisation de la société et du foyer familial.
Les femmes en première ligne du féminisme CGT
Face à l’Histoire, la grande, du combat féministe au sein de la CGT depuis la Première guerre mondiale – chapitre remarquablement documenté par Maryse Dumas dans la première des trois parties du livre – les auteures ont sans doute voulu faire preuve d’humilité pour mieux rendre hommage à leurs aïeux. Aïe…aïe, ce substantif généalogique désignant les personnes appartenant à une lignée continue ne connaît bizarrement pas de déclinaison, ni au féminin, ni au singulier. Or, dans une organisation qui se donne pour ambition d’accomplir l’égalité entre femmes et hommes, il eut fallu pouvoir disposer du mot « ailleulles », au singulier comme au pluriel, ne serait-ce que pour rendre compte de la singularité de toutes ces militantes dont les luttes, souvent poussées jusqu’à la mort, ont fait de la CGT un syndicat pouvant aujourd’hui s’affirmer féministe et s’en enorgueillir.
Gagner la CGT entière à la cause féministe
Alors oui, dès lors qu’elle s’engage à l’être, la CGT peut effectivement se dire féministe. Encore que, n’étant pas et n’ayant jamais été un monolithe et encore moins un gynécée syndical (on notera au passage qu’aucune femme n’a jamais accédé au secrétariat général de la confédération, alors que cela a existé dans d’autres centrales syndicales autrement moins progressistes), la CGT reste aujourd’hui comme hier confrontée à des difficultés, des oppositions, des résistances plus ou moins passives, internes comme externes, qui continuent et doivent continuer de la questionner sur ses pratiques, ses orientations politiques et, bref, de la perturber en son sein pour mieux la gagner toute entière à la cause féministe. Encore une fois, les mots ne sauraient suffire à la correction des maux.
Affranchir la CGT des déterminismes sexués imposés par le patronat
Le livre de Maryse Dumas, Sophie Binet et Rachel Silvera offre moult réponses à ce type de question. Sans jamais chercher à juger les réfractaires d’hier au féminisme, qui craignaient à juste titre, une guerre des sexes menaçant de se substituer à la lutte de classes, l’ouvrage s’attache surtout à décrire l’historicité d’un long processus de luttes féminines pour l’égalité, l’émancipation, l’autonomie. A valoriser, sans jamais les survaloriser – alors qu’il y aurait matière à – les combats spécifiques menés par les femmes. Et comment, pour y parvenir, il aura d’abord fallu à toutes ces militantes de s’essentialiser en tant que féministes afin de s’affirmer au sein de la centrale syndicale, sans jamais y parvenir pleinement – où l’on voit que bien du travail reste à faire – mais qui auront malgré tout réussi ceci, qui est assez énorme : émanciper la CGT de ses atavismes ouvriéristes masculins, l’affranchir de ses déterminismes sexués imposés de tous temps par un patronat réactionnaire et rétrograde au point de persister, au XXIème siècle, à remettre en cause toutes les avancées sociales, sociétales ainsi que de mœurs, arrachées de hautes luttes par les femmes au cours du XXème siècle.
Le féminisme, une cause pivot
Tout récit historique produit toujours une vision romantique de la chose narrée: grandes figures, hauts combats, martyres, morts et mortes pour la grande cause, etc. Le livre aurait pu se contenter de nous laisser en bouche cet aigre-doux-amer propre à la lecture d’héroïques luttes menées par des Amazones syndicalistes qui consacrèrent et sacrifièrent leur existence à une cause aujourd’hui reconnue comme essentielle, comme une cause pivot dans le dessein de réalisation d’une société bonne et juste pour tous que la CGT à pour objectif de réaliser.
Pour l’égalité réelle, du chemin reste à faire
Une cause dont nous tous, femmes et hommes, nous délectons aujourd’hui des fruits cultivés par nos « ailleules ». Tel n’est pourtant pas le parti-pris de ce livre dont les auteures s’attachent, certes, à re-parcourir l’histoire, non pour s’en satisfaire mais dans ce but bien précis: en projeter le sens sur l’avenir. Ou, plus prosaïquement, bien connaître et comprendre l' hier afin de bien construire le demain. Les parties II et III, respectivement signées par et Rachel Silvera et Sophie Binet, répondent à cette ambition d’hier qu’il s’agit d’accomplir aujourd’hui. Ainsi, le panorama des inégalités au travail dressé par Rachel Silvera montre tout le chemin qui reste à parcourir pour gagner l'égalité réelle au travail. Il est complété par le chapitre de Sophie Binet qui, elle, s’attache à présenter des pistes d'actions, dans la sphère du travail et au-delà, afin de davantage féminiser les pratiques syndicales et faire du syndicalisme CGT un féminisme abouti, un humanisme.