1
HOMMAGE
Aux funérailles de Madeleine Riffaud, des chants et de l'émotion
Galérien des temps modernes
11 juin 2016 | Mise à jour le 13 février 2017
Par
Amélie Meffre
| Photo(s) : T. Jeanne-Vales/Leemage
Avec « Manuel d’exil », Velibor Čolić, Bosniaque installé en Bretagne depuis 1992, signe un nouveau roman plein de force. Le lecteur, plongé dans les galères d’un réfugié, oscille entre rire et désolation. Une grande plume !
Manuel d'exil. Comment réussir son exil en trente-cinq leçons : le titre du dernier roman de Velibor Čolić annonce la couleur. On saisit qu'il sera en partie autobiographique – l'auteur, né en 1964 en Bosnie, vit en Bretagne depuis près de vingt-cinq ans –, dramatique et caustique. L'auteur a ce talent de pouvoir élaborer un récit avec des teintes fort variées.
Il nous avait déjà épatés avec Ederlezi (Gallimard, 2014), qui contait l'épopée d'un orchestre tzigane complètement foutraque, englouti en 1943 dans un camp d'extermination, renaissant pour être broyé par la guerre d'ex-Yougoslavie en 1993 et réapparaissant dans la jungle de Calais en 2009.
Ici, Velibor Čolić nous offre l'histoire d'un galérien des temps modernes.
TROIS MOTS DE FRANÇAIS
Dès la première page, nous voilà plongés dans le bain : « J'ai vingt-huit ans et j'arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre. (…) Je suis un cavalier léger, un voyageur au visage scellé par un froid métaphysique, cet ultime degré de la solitude, de la fatigue et de la tristesse. Sans émotions, sans peur ni honte. »
À la troisième, se pointe la guerre de l'ex-Yougoslavie – l'auteur fut combattant dans l'armée bosniaque avant de déserter et d'arriver en France, après un long périple. À la page suivante, la poésie de l'écrivain se déploie : « Plus ma situation est désespérée, plus mes rêves sont doux. (…) Je rêve de trains et de la pluie, des baisers et des plus belles filles de notre lycée. » Et la plume s'aiguise au fil du récit : « À l'Ouest, rien de nouveau, me dis-je, une frontière puis une autre. Les flics et la douane, la douane et les flics. »
L'auteur saura nous laisser souffler en nous faisant marrer par des scènes tragi-comiques comme celles de beuveries corsées : « Viré du bar vers deux heures du matin, je me souviens vaguement que je hurle “Vous n'avez pas le droit, je suis Jacques Dutronc”, mais malgré tous mes efforts, le videur est impitoyable. »
Au final, on se délecte pendant 200 pages, oscillant entre des sensations fortes autant que contradictoires, conquis par une superbe plume.
Manuel d'exil. Comment réussir son exil en trente-cinq leçons.
Velibor Čolić. Gallimard, 200 pages, 17 euros.
