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AUSTÉRITÉ

Grèce, année zéro

20 janvier 2016 | Mise à jour le 21 février 2017
Par | Photo(s) : DR
Grèce, année zéro

En décembre 2015, une délégation de cinq membres de l'Urif-CGT se rendait à Athènes. L'objectif de leur mission était de comprendre les conséquences concrètes de l'austérité à la veille d'un troisième mémorandum, imposé par la troïka (FMI, BCE et Commission européenne), que le gouvernement Tsipras a entériné le 15 décembre.

C’était aussi de mesurer la nature des difficultés posées au monde du travail après des années d'austérité, principalement dans les services publics de première nécessité, notamment la santé. Mais aussi, dans un contexte politique et social tendu et complexe, de comprendre comment s'organisent les rapports de force pour résister, concrètement, aux diktats ­imposés par la troïka.

Autre objectif : construire des solidarités de soutien au peuple grec, en identifiant les possibilités d'actions en solidarité matérielle et syndicale, avec pour perspective d'y associer d'autres syndicats des régions-capitales européennes.

D'où des rencontres très fructueuses entre l'Urif-CGT et divers syndicats, associations et comités de quartiers grecs. L'idée phare est de créer ou de renforcer les convergences de luttes en vue de faire partager aux militants syndicaux la nécessité d'agir pour une Europe autre que celle de l'austérité.

Ce projet est né d'une conviction, très tôt acquise par l'Urif-CGT, que la Grèce avait été désignée comme laboratoire européen d'expérimentation d'une nouvelle donne économique et sociale. Cette nouvelle donne devant s'appliquer, à termes différenciés, à l'ensemble des pays membres de l'Union européenne. Le séjour à Athènes aura permis de valider, sans ambiguïté possible, ce postulat initial.

Et, pire, de mesurer toute l'urgence qu'il y a à agir sur au moins deux fronts : la solidarité matérielle immédiate, notamment pour répondre aux besoins de santé publique ; la solidarité des peuples, qui suppose de faire partager l'analyse sur la véritable nature de l'Europe libérale.

Avec la NVO, l'Urif-CGT décline une série d'articles qui non seulement vont donner à voir, mais doivent inciter à agir, avant qu'il ne soit trop tard. Deux articles sur l'état de santé… du système de santé grec : Côté « tableau noir », l'un relate l'agonie de l'hôpital public. Côté « espoir », l'autre donne à voir que les alternatives solidaires existent, qu'elles permettent effectivement de tenir. La question à ne pas perdre de vue étant : jusqu'à quand ? Tic, tac…

Une initiative de solidarité avec la Grèce, et qui fera le compte-rendu de cette délégation, sera organisée le 18 février à Montreuil.

 

Reportage : Evangelismos, tandis que l'hôpital agonise…

 

À l'hôpital central d'Athènes, l'Urif-CGT voulait comprendre les conséquences de l'austérité sur la santé publique. Reçue par le président du syndicat PAME, la délégation constatait l'insoutenable brutalité des cures d'austérité.

« Nous en sommes à ce stade de l'austérité où l'hôpital public doit choisir qui peut vivre et qui doit mourir », a d'emblée résumé Ilias Sioras, le cardiologue et président du syndicat PAME. Puis, il a étayé son propos par les chiffres. Le financement de la santé grecque ne pèse désormais que 3 % du PIB national, contre 9 % auparavant. Pour comparaison, c'est 12 % en France et entre 6 et 7 % pour le reste de l'Europe. Conséquence directe pour l'hôpital public : un budget prévisionnel drastiquement diminué chaque année, de 15 à 20 %. « Pour l'hôpital Evangelismos, nous disposions de 156 millions d'euros il y a 5 ans, contre 72 millions d'euros en 2015 et pas plus de 69 millions d'euros pour 2016. »

LES PATIENTS EN OTAGES

Pour faire face, Evangelismos s'est logiquement endetté. Il est à ce jour redevable de 100 millions d'euros, rien que pour l'approvisionnement en médicaments. Côté patients, l'accès aux soins hospitaliers est encore possible pour tous ceux disposant d'une assurance maladie, c'est-à-dire un peu plus des deux tiers de la population, puisque trois millions sont exclus du système. Pour les « chanceux », les conditions sont draconiennes : il faut patienter deux jours en moyenne pour une prise en charge.

Sans compter les carences matérielles : draps, lits, seringues, et surtout, personnels soignants. « Une fois sortis de l'hôpital, beaucoup ne peuvent pas poursuivre les soins, faute de moyens pour s'offrir les médicaments. » Médicaments dont le prix est fixé conjointement par le patronat de l'industrie pharmaceutique et le gouvernement. Faute de règlement de la facture, toutes sortes de chantages s'exercent et les cas de nouveau-nés retenus en otages jusqu'à l'acquittement par la mère de la facture et du dessous-de-table exigé tendent à se banaliser.

LA PAUPÉRISATION PAR LA PÉNURIE

Le syndicat PAME s'est mobilisé pour exiger une prise en charge gratuite des malades les plus démunis, obtenant le vote d'une loi en ce sens, mais qui omettait d'affecter les moyens de sa mise en application. Résultat : l'exode du corps médical vers des contrées européennes en capacité de mieux rémunérer ces jeunes diplômés grecs, dont les études, de haute qualité, ont été financées par la société grecque.

« Il manque ainsi 25 000 personnels soignants et 6 500 médecins dans l'ensemble des hôpitaux publics du pays. Rien qu'à Evangelismos, il faudrait recruter 1 000 soignants et 250 médecins pour répondre aux besoins. C'est la paupérisation par la pénurie, voilà ce que produit l'austérité, voilà ce qu'est l'Union européenne qu'on nous impose, et il paraît qu'on ne peut pas la changer ».

Entretien : Ellinikon, clinique sociale et solidaire

L'austérité a expulsé trois millions de Grecs du système de santé publique. La solidarité a pris le relais, se développant dans les dispensaires. Pionnier du genre, Ellinikon, où solidarité totale rime avec indépendance totale vis-à-vis du politique, de l'Église et de l'argent.

La solidarité concrète ? Ce sont ceux qui en ont le plus besoin, les Grecs, qui chaque jour la réinventent. Comme ici, aux Pâquis, dans la banlieue d'Athènes, où a vu le jour l'un des tout premiers centres de santé sociale et solidaire nés en alternative à un système de santé publique à bout de souffle.

Fondé dès 2011 par un médecin cardiologue, Georges Vichas, le dispensaire Ellinikon est totalement autogéré par les quelque 300 bénévoles, médecins et non-médecins, qui en animent l'activité. Une activité qui n'a eu cesse de s'intensifier au fil des mémorandums imposés par la troïka et à mesure que les effets dévastateurs de l'austérité multipliaient les victimes : enfants et adultes sans couverture sociale, chômeurs sans revenus, retraités aux pensions trop faibles. La population des exclus du système n'a eu cesse de s'accroître et de s'étendre à toutes les catégories sociales.

Depuis son inauguration, la clinique aura dispensé 47 000 actes de soins. Sa dynamique actuelle est d'environ 1 500 consultations par mois, qui font d'Ellinikon le symbole d'une réussite tragique : un relais indispensable d'un système de santé en ruine. « C'est pourquoi nous disons que l'austérité tue les gens », tient à souligner Mary Sideris. Résidente des Pâquis, Mary est retraitée et bénévole de la première heure à Ellinikon.

Elle consacre trois jours par semaine à l'activité du centre, s'occupant tour à tour de l'accueil sur rendez-vous des patients, de la collecte, du contrôle et du recensement des médicaments. « Depuis 2014, la demande explose, car les gens ne peuvent plus se les payer, même les vaccins pour la prévention des enfants, autrefois gratuits, sont aujourd'hui payants », explique-t-elle.

N'ACCEPTER AUCUN ARGENT

Dans les locaux de la pharmacie, les rayonnages et armoires réfrigérées sont amplement approvisionnés en toutes sortes de médicaments, de l'aspirine aux vaccins, jusqu'aux très onéreux traitements anti-cancer. Tout comme le matériel chirurgical et les appareils de radiologie et de gynécologie, les médicaments proviennent exclusivement de dons. « La politique du centre est de n'accepter aucun argent, c'est la condition essentielle de notre indépendance qui est totale vis-à-vis du politique comme de l'Église. »

Ainsi, les locaux ont été mis à la disposition gratuitement par la mairie, qui assure aussi les frais de fonctionnement. Aucun médecin, aucun intervenant ne sont rémunérés, seuls les dons matériels sont acceptés. La solidarité, ici, n'est décidément pas un vain mot. Alors qu'un troisième mémorandum, tout juste signé par Athènes, va priver la santé publique d'un milliard d'euros supplémentaires, il ne sera pas vain de faire converger toutes les solidarités d'Europe pour renverser le dogme de l'austérité, au nom de l'humanité.

 

L'article est à retrouver dans le cahier URIF de la NVO du mois de janvier 2016