À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
ENTRETIEN

Il n’y a jamais eu de modèle suédois

12 avril 2014 | Mise à jour le 3 mai 2017
Par
Il n’y a jamais eu de modèle suédois

« Il n'y a jamais eu de modèle suédois : qui a vendu ce mensonge à l'étranger ? » interrogent Jerker Eriksson et Håkan Axlander Sundquist, deux auteurs qui forment le nouveau phénomène du genre suédois Erik Axl Sund. À l'occasion de la dixième édition à Lyon (69) du festival Quai du polar, qui s’est déroulé du 4 au 6 avril, nous avons rencontré les auteurs.

Erik Axl Sund est unanime. Unanime parce que Erik Axl Sund regroupe deux auteurs, Jerker Eriksson et Håkan Axlander Sundquist, et que tous deux pensent la même chose : « La Suède est un pays riche et immoral. Depuis les années 1960 et les écrivains Sjöwall et Wahlöö, on ne peut plus y écrire de polar “fleur bleue” ».

Leur trilogie Les visages de Victoria Bergman est loin de cultiver la naïveté et les bons sentiments. L'écriture se veut brute et intense. Parfois trash, à l'image du groupe électropunk Iloveyoubaby ! qui les a réunis autrefois. On y découvre une inspectrice abandonnée par son mari et soudain attirée par une autre femme. Une psychiatre Docteur Jekill et Mr Hyde. Des enfants soldats de Sierra Leone. Des gamins immigrés qui disparaissent puis meurent mutilés aussi vite que leur dossier est classé.

 

Des enfants disparaissent…

« En six ans, 760 enfants ont disparu en Suède, des enfants venus d'ailleurs qui s'y étaient réfugiés : les services d'immigration suédois ont été très critiqués. » Une injustice qui a nourri leur envie d'écrire, elle-même déclenchée par un moment de crise. « Cela faisait longtemps qu'on en parlait. On se connaît depuis quinze ans, on a fait des projets cinématographiques, mais on n'avait encore jamais écrit ensemble. On s'est retrouvé alors qu'on se séparait chacun de notre femme. C'était le moment d'un changement, le moment de se lancer. »

L'écriture a débuté simplement, comme un jeu de ping-pong. Håkan entame les premières cinquante pages et les envoie à Jerker, isolé sur une île de l'archipel. Il coupe tout en retour et écrit quarante pages. « Nous y avons tout de suite pris goût mais nous nous sommes vite rendu compte de la différence entre nos deux écritures. » Jerker a plutôt une approche académique, ses phrases élaborées s'étendent en longueur. Håkan va droit au but, trop direct. En musique, Jerker et Håkan aiment les sons qui durent trois minutes, puissants, et « sans solo de guitare ». Sans pause, construit comme un film, le livre sera monté de même : en raccourcissant petit à petit la version XXL. Pourtant, les éditeurs devront encore transformer leur récit fleuve en une trilogie.
« On voulait surtout écrire sur quelque chose qui nous touchait. Et le pire crime que l'on puisse commettre, c'est celui envers les enfants. Des enfants soldats, un personnage principal qui a souffert dans sa jeunesse… Tout le livre est bourré de bourreaux potentiels mais le point de départ important, c'était l'enfant. Au final, l'enquête policière s'est construite autour. »

Les auteurs n'épargnent pas le lecteur dans certaines situations crues voire odieuses. Du trash facile ou nécessaire ? « Aujourd'hui, reconnaît Jerker, papa d'un enfant de deux ans, je ne me sentirais plus à l'aise pour écrire ça. Mais on fait des polars, on ne va pas décrire des meurtres “sympatoches”. Ce serait presque pervers ! »

 

Creuser la psyché des personnages

L'originalité du récit relève en fait du caractère des personnages, de leur personnalité consciente ou inconsciente. « La moitié du livre se passe à l'intérieur de la tête des personnages. » Une astuce pour mettre en place l'intrigue, mais en phase avec leurs vies, à l'époque compliquées, étroitement liées à la psychanalyse. « De manière générale, en Suède, dans le polar spécialement, les personnages sont assez plats. Il était important de faire tout le contraire, de creuser la psyché des personnages. »

Les auteurs ne s'embarrassent pas de petits tacles envers Stieg Larsson, le pape du genre, dont la trilogie Millenium s'est vendue à 50 millions d'exemplaires.
Mais comme Larsson, les deux hommes ont centré leur récit sur des personnages féminins victimes de la violence ou de la lâcheté masculine. « La plupart de nos amis sont des femmes. Avec elles, nous avons compris qu'il y avait beaucoup d'agressions sexuelles en Suède, nous avons voulu creuser cela. L'ancienne génération d'écrivains usait du stéréotype “les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus”. Nous ne sommes pas du tout d'accord. D'ailleurs, l'inspectrice Jeannette était au début un homme dans le livre. Nous avons changé finalement son sexe en cours de route et il a simplement suffi de changer le nom. Pas les comportements. C'est palpitant de fonctionner comme ça. »

Si toute la trilogie n'est pas encore sortie en France, la Swedish Academy of Crime Writers a déjà récompensé les romanciers d'un Special Award et trente pays ont acheté les droits. Jerker s'est fait la belle de la maison d'arrêt : il n'y travaille plus comme bibliothécaire pour mieux se consacrer à ses propres livres. Avec Håkan, ils ont acheté une galerie d'art. Les auteurs sont devenus marchands d'art.

__________________________________________________________

En savoir +

Jerker Eriksson (né en 1974) et Håkan Axlander Sundquist (né en 1965) forment le duo Erik Axl Sund. Håkan est ingénieur du son, musicien et artiste. Jerker a été le producteur du groupe d'Håkan Iloveyoubaby ! et bibliothécaire dans une prison de haute sécurité. Paru en Suède en 2010, le premier volume de la trilogie Persona a été publié par Actes Sud en 2013, puis Trauma en février 2014. Le dernier volet de la trilogie, Catharsis, paraîtra en mai 2014.

__________________________________________________________