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En décembre 2021, les représentants CGT de 4 comités stratégiques de filière (santé, automobile, cybersécurité, électronique) ont interpellé Bercy sur la pénurie de composants électroniques. La Commission européenne a présenté un plan de 43 milliards le 8 février 2022. Fabrice Lallement le décrypte. Interview
La Commission européenne annonce un plan de 43 milliards d'euros pour relancer la filière des puces électroniques. Après la crise des composants électroniques, est-ce enfin une bonne nouvelle ?
C'est une bonne décision, mais qui ne donne pas à l'Europe un accès à l'autosuffisance. La somme de 43 milliards d'euros est considérable, mais les semi-conducteurs sont un secteur extrêmement capitalistique. Et avec ces chiffres, il y a toujours beaucoup d'effets d'annonce. Nous avons commencé à faire des recoupements. En fait, sur les 43 milliards, 12 seraient consacrés à la R&D et la Commission n'y contribuerait que pour 6 milliards. Les 6 autres milliards seraient apportés par les États. Les laboratoires de recherche en Europe, ce sont principalement trois laboratoires (France, Belgique, Allemagne). Pour la production, c'est 31 milliards une fois, et là c'est une première, la Commission européenne va autoriser des Etats membres à financer des sites de production sur ce qu'ils nomment des « puces avancées ». C'est-à-dire qu'il y aura possibilité de faire en Europe, ce qui est aujourd'hui réalisé uniquement aux Etats-Unis et en Asie.
Il aurait donc fallu y mettre bien plus que 43 milliards ?
L'autosuffisance pour l'Europe se chiffre autour de 300 milliards. Ici, on parle d'un plan de 42 milliards – dont 6 milliards par la Commission – avec une projection à 90 milliards à 2030 si les acteurs privés « jouent le jeu ». Si on vise l'autosuffisance, ce n'est donc pas assez. A titre de comparaison – et sans la R&D – dans un pays comme la Corée du Sud, les investissements vont atteindre 450 milliards d'ici 2030. La fonderie Taïwanaise TSMC s'apprête, elle, à investir sur trois ans au moins 100 milliards. On peut donc dire qu'il y a un effort conséquent au niveau de l'UE, mais que cet effort ne nous permettra pas de rattraper le retard. L'objectif affiché est de passer de 10% de la fabrication mondiale de puces à 20% d'ici 2030. Mais puisque le marché va doubler entre aujourd'hui et 2030, cela veut donc dire qu'on doit quadrupler les capacités actuelles de production.
C'est quand même une avancée au vu de la dépendance totale de l'UE aujourd'hui en matière de composants, laquelle a provoqué de multiples arrêts de productions durant la crise…
Oui, mais il y a quand même des zones d'ombre dans ce plan. Ainsi, il y a une partie qui concerne les toutes dernières technologies, celles qui sont utilisés dans les smartphones et PC de la plus récente génération. C'est-à-dire l'électronique grand public de pointe, et pas ce qu'on utilise par exemple pour l'automobile aujourd'hui. Il faut savoir qu'en Europe, nous ne maîtrisons pas ces technologies de pointe. Voici une quinzaine d'années que l'Europe s'est faite distancée dans ce domaine. On a encore des labos, comme en Belgique, qui font de la recherche mais plus aucune fabrication. Dans le monde, ces technologies ne sont maitrisées que par les Etats-Unis avec Intel, la Corée du Sud avec Samsung, et Taïwan avec TSMC. Pour reprendre le décryptage chiffré ; sur les 43 milliards du plan, 12 milliards sont destinés à la R&D, 20 milliards vont aller pour augmenter les capacités de production des entreprises européennes et une dizaine de milliards va servir à une fonderie (« megafab ») pour faire des transistors de pointe. Mais cette fonderie sera une entreprise étrangère soit Américaine, soit Coréenne, soit Taïwanaise.
On serait donc toujours dans une dépendance extra-européenne pour les technologies de pointe ?
Oui, mais ici il se passe une chose intéressante qui déplaît au patronat de la branche : la Commission européenne est intervenue pour qu'en cas de crise telle que celle qu'on a vécue avec les semi-conducteurs – et qui a paralysé plusieurs usines – on pourrait obliger cette fonderie étrangère ainsi que les entreprises productrices européennes bénéficiant du plan à limiter leurs exportations afin qu'elles garantissent des niveaux de livraison minimums de semiconducteurs pour les filières clientes en Europe. C'est-à-dire que par exemple pour ne pas avoir de ruptures d'approvisionnement en automobile, ces entreprises seraient limitées dans leurs exportations. Ce serait une mesure de régulation, voire de protectionnisme. Ce serait la première fois que l'Europe ferait cela. Ceci étant, ce n'est pas encore acté et les négociations s'annoncent compliquées.
Et qu'en est-il de la répartition de cet investissement parmi les pays européens ?
C'est comme au foot : à la fin, c'est toujours l'Allemagne qui gagne ! – rires -. Effectivement, sur les 30 milliards destinés à la production, un tiers au minimum concernera l'Allemagne. Mais en fait, ce n'est pas l'Europe qui donne 42 milliards dont une grosse partie à l'Allemagne. C'est l'Allemagne qui, étant plus volontariste sur les questions industrielles, va faire usage plus que nous des nouvelles prérogatives données par la Commission européenne afin de financer les productions. Et parmi les 12 milliards destinés à la R&D, il y a aussi l'Allemagne. Ce n'est pas tant l'Europe qui donne moins à la France qu'à l'Allemagne que la France qui ne veut pas investir autant que l'Allemagne. Ceci étant, tout n'est pas terminé. La Commission européenne a produit ce document, mais il doit maintenant être débattu avec les 27 au Parlement. Et ici, on s'aperçoit que seuls certains pays vont bénéficier de ces nouvelles conditions. On peut supposer un classement avec en tête l'Allemagne, suivie de la France, de l'Italie et ensuite la Belgique et les Pays-Bas. Les pays non-concernés risquent de mettre des bâtons dans les roues, notamment avec la problématique de la fonderie issue d'une boîte étrangère à l'UE.
Vous dites que l'Europe ne maîtrise pas ces technologies de pointe. Quelle est la nature des réticences sur cette entreprise étrangère ?
Beaucoup se demandent l'intérêt d'avoir une telle boîte en Europe. En France on ne fabrique plus de téléphones portables ou de PC, nous sommes donc sortis des marchés qui utilisent ces puces de dernière génération. Autant on fait de l'automobile avec des composants qui ne sont pas de pointe, autant il n'y a plus de boîtes en Europe qui pourraient utiliser ces puces directement. De plus, et compte tenu de leurs capacités de lobbying, c'est un secret de polichinelle que de dire que la boîte pressentie est l'Américain Intel. Or parmi les trois producteurs (Etats-Unis, Taïwan, Corée), les Etats-Unis est le choix le moins pertinent. La production, qui se fera très probablement en Allemagne, sera pour la plupart exportée en dehors de l'Europe puisque nous n'avons pas les entreprises utilisatrices de ces puces. Et on s'interroge aussi sur le choix de Intel ? Le Taïwanais TSMC a plus de produits, ils sont moins chers et des entreprises européennes tels que ST Micro ont déjà l'habitude de travailler avec eux. De son côté, le Coréen Samsung apparaît comme venant d’un pays moins aligné vis-à-vis des tensions géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis. Pour résumer, le choix de Intel apparaît plus comme relevant d'une décision politique plutôt que du bon sens technologique et industriel.
Pendant la pénurie de composants, la Cgt a multiplié les interventions auprès de Bercy et des instances européennes. De quelles propositions étiez-vous porteurs ?
Sur la filière électronique, en décembre 2021, nous avons envoyé un courrier à Bruno Le Maire signé des quatre représentants CGT dans les Comités stratégiques de filière ; santé, automobile, cybersécurité et électronique concernant la pénurie des composants. Nous avons notamment souligné les enjeux autour de la technologie FDFOI. C'est une technologie européenne qui n'est pas de pointe, mais répond à certains besoins du marché grand public et de l'industrie, notamment automobile. Nous sommes intervenus pour demander qu'on développe ces productions qui permettent de différencier l'Europe et de répondre à nos besoins. Et ceci peut nous permettre d'être moins en dépendance. Cette demande a été entendue et va être mise en place. Entre un et deux milliards d'euros de R&D devraient tout d'abord être investis au Commissariat à l'Energie Atomique et des partenaires pour continuer à y travailler et atteindre les 10 nanomètres. Grâce à cette technologie, on peut couvrir tout le spectre des besoins avancés de l'automobile, à l'exception de la voiture autonome. A la suite de ce courrier, nous avons été reçus à Bercy le 3 janvier 2022.
Ces interventions CGT ont donc permis de débloquer des dossiers ?
Tout à fait. Au-delà de l'intérêt de nos entreprises, il y a un intérêt stratégique sur la souveraineté. Cela a plein d'avantages : sur la souveraineté bien sûr, mais aussi sur la création d'emplois et la maîtrise des technologies. Aujourd'hui, aucun pays n'est 100% indépendant. Cela veut dire que si nous sommes très forts dans un domaine – et nous le serons sur le FDFOI – on va créer des emplois et se démarquer sur des segments de la filière. Un autre domaine, sur lequel nous sommes aussi bien positionnés – et que nous avons défendu- est l'électronique de puissance. On a d'ailleurs entendu la ministre Agnès Pannier-Runacher mettre en avant cette même idée que l'électronique de puissance nous rendrait incontournable. Mais j'y mettrai tout de même un bémol. L'électronique de puissance, c'est avant tout la motorisation électrique. Alors, certes la voiture électrique va se développer, et il faut en maîtriser les nouvelles technologies électroniques. Néanmoins, l'électronique de puissance n'est qu'un maillon de la filière, la concurrence y sera également rude et il semble illusoire de vouloir « troquer » cette technologie contre d'autres, surtout les plus avancées. Nous restons convaincus qu'il faut que l'Europe se donne les moyens de rattraper le retard sur les technologies de pointe en enclenchant une dynamique de collaboration avec l'entreprise extra-européenne qui s'installera en Europe, ce sujet doit être mis sur la table lors des négociations préalables à cette installation. Je retiens toutefois l'aspect très positif du développement de la FDFOI, car sans notre intervention, le risque existait de n'aller que sur l'électronique de puissance. Maintenant, et au-delà de la R&D, nous attendons comment cela va se traduire industriellement.
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