Journée « Usine Ouverte » à ArjoWiggins
À y regarder de plus près, l'usine est loin d'être vide. La quasi-totalité des machines-outils nécessaires à la production de papier couché, aussi connu sous le nom de papier glacé, et de papier fiduciaire est demeurée sur place malgré la fermeture du site en juin 2015. Il faut dire que les anciens salariés veillent. Ils se relayent jour et nuit pour garder « leurs » machines, comme ils aiment à les appeler.
En passant devant la console de pilotage, l'envie d'appuyer sur le bouton de démarrage titille, tellement le décor semble prêt à repartir dans la seconde. Mais rien n'y fait.
C'est pour montrer à leurs amis, à leurs voisins, à leurs sympathisants ou aux simples promeneurs que l'outil de production est resté intact et performant que les anciens salariés de la papeterie Arjowiggins ont organisé, pour la deuxième année consécutive, une journée « usine ouverte », le samedi 21 mai. L'initiative a connu un joli succès, les groupes de curieux se sont succédé, guidés à travers ce dédale d'acier par des travailleurs ayant passé parfois plus de 30 ans dans les lieux. « On avait l'habitude de voir les machines tourner, raconte, émue, l'épouse d'un des ex-Arjo à la sortie de la visite, aujourd'hui, ça fait bizarre, c'est mort. »
FAIRE MONTER LE PRIX
L'usine, qui exportait sa production aux quatre coins du globe, « recevait encore des commandes lors de l'annonce de la fermeture, explique l'ancien contrôleur qualité. Un repreneur s'est même fait connaître », continue-t-il. Difficile alors de comprendre pourquoi son usine a fermé ses portes.
Franck Sailliot, délégué syndical central CGT d'Arjowiggins et secrétaire général de la Filpac, avance un début de réponse. Pour lui, il s'agirait, pour le propriétaire de faire baisser la production européenne afin de faire augmenter les prix du papier sortant de ses autres usines. Résultat, le site est viable, un entrepreneur est prêt à la reprendre, mais l'usine fermera tout de même.
« C'est un désastre économique et écologique », s'exclame Gaëtan Levitre. Cet ancien maire d'Alizay dans l'Eure connaît bien la problématique. Une papeterie située dans sa commune a vécu la même situation. Au-delà des 307 emplois détruits, il faudra nettoyer le site. Des investissements avaient pourtant été réalisés pour s'assurer du respect de l'environnement : l'eau utilisée pour la fabrication du papier tourne en circuit fermé. Elle est ainsi assainie et réutilisée dans l'usine.
De plus, les salariés espéraient beaucoup de la nouvelle réglementation relative aux sacs plastiques, car si les machines étaient capables de produire des étiquettes pour les petits-suisses ou des bouteilles de soda, elles peuvent également produire les sacs en papier biodégradables qui viendront bientôt remplacer nos sacs de courses en plastique.
LA SOLUTION DE L'EXPROPRIATION ?
Sacrifier un site pour faire monter les prix. La méthode n'est pas inédite. Il y a quelques années, les Fralibs en avaient également fait les frais. À peine rachetés par un géant de l'agroalimentaire, ces producteurs de thé avaient appris la fermeture de leur site. Une manière de tuer la concurrence. Eux aussi avaient occupé l'usine afin de conserver l'outil de production et se sont organisés en Scop pour lancer leur propre marque de thé : 1336.
La solution de la Scop n'est cependant pas envisageable à Wizernes. Les machines coûtent bien trop cher pour que les anciens salariés s'en portent acquéreurs, même mutuellement. Mais une autre solution viendra peut-être de Normandie.
En effet, Gaëtan Levitre n'est pas seulement venu faire de grands discours. Lorsque la papeterie de sa commune de l'Eure a subi le même problème, il a pu trouver une solution. Face au refus du propriétaire de revendre l'outil industriel à un repreneur, le conseil municipal avait voté l'expropriation et l'exercice du droit de préemption. Ainsi, le repreneur avait pu acquérir le site et lui redonner vie.
Certains élus locaux des Hauts-de-France se sont déjà prononcés en faveur de cette solution pour les Arjo, mais depuis le dossier est à l'arrêt. Pour relancer le processus, le Cosea (Comité de soutien aux ex-Arjo) organise une pétition. C'était également le but de cette journée « usine ouverte » : rallier la population locale à la cause des anciens Arjo et redonner un élan à leur lutte pour que revive le site.