À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT

La chronique Un nobel au travail

21 octobre 2014 | Mise à jour le 19 avril 2017
Par

La distribution des Nobel est toujours prétexte aux exercices d'admiration. Ceux attribués cette année en littérature et en économie à deux de nos concitoyens n'échappent évidemment pas à la règle. Et les célébrations sont d'autant plus démonstratives que le moral du pays est en berne et que la vieille rengaine française du déclin national s'est rarement aussi complaisamment fredonnée. Le premier ministre a donc vu dans ce retour de la France aux avant-postes un pied de nez au « french bashing » tandis que l'éditorialiste du Monde soulignait la parenté des deux lauréats qui ont en commun une « timidité aussi spectaculaire que le talent ».

On pourrait tout aussi bien énumérer tout ce qui sépare les deux lauréats. Si Patrick Modiano est l'héritier d'une longue tradition habituée aux lauriers – les Français sont les plus distingués en littérature avec quinze prix Nobel –, Jean Tirole n'est que le troisième Français nobélisé dans une discipline où les trois quarts des lauréats sont anglo-saxons. Si le premier est traduit dans de nombreuses langues, le second, qui publie beaucoup en anglais, n'est pas toujours traduit en français… Si le premier est accessible à un large public, les travaux du second, bourrés de courbes et d'équations, échapperont à l'entendement du plus grand nombre. Si, enfin, en littérature Modiano ne fera guère de vagues, il y a fort à parier que la distinction de Jean Tirole relance bien des polémiques.

ON VOIT TRÈS BIEN,
LA NOTORIÉTÉ DU NOBEL AIDANT, CE QUI POURRAIT RÉACTIVER L'ATTRACTIVITÉ DE CES PROPOSITIONS AUPRÈS D'UN GOUVERNEMENT EN MAL DE RÉFORMES

Spécialiste de microéconomie, distingué pour ses travaux sur la concurrence imparfaite, l'asymétrie des informations et les limites de l'efficience du marché, mathématicien aguerri et fin connaisseur de la théorie des jeux, il s'est certes acquis une réputation de haute volée dans le monde académique au point de faire partie du « top ten » des économistes les plus cités au monde par leurs pairs. Mais l'actualité aidant, on risque fort de retenir de lui de plus triviaux travaux. Comme, par exemple, ce rapport de 2003, commis avec Olivier Blanchard, aujourd'hui économiste en chef du FMI, et platement intitulé « Protection de l'emploi et procédures de licenciement ». S'interrogeant sur les liens entre chômage et protection des salariés, les deux auteurs y proposaient de remplacer le régime paritaire mutualisé d'assurance chômage par un régime de « taxes sur les licenciements, payées par chaque entreprise à une agence indépendante ».

Cet impôt sur les licenciements censé responsabiliser les entreprises ayant comme contrepartie « une moindre ingérence des juges dans les procédures de licenciement ». Pour faire bonne mesure, le futur Nobel, constatant que « dans les pays où les salariés sont très protégés, le marché du travail est moins fluide et la durée moyenne du chômage plus longue », proposait la mise en place d'un contrat de travail unique dont les garanties pour les salariés croîtraient avec le temps. Ce qui, dès lors, devint une revendication toujours réaffirmée du Medef…

Certes, nous ne voudrions pas réduire l'apport de Jean Tirole à la science économique à ces travaux pratiques de la théorie des incitations appliquée au marché du travail. Reste qu'on voit très bien, par les temps qui courent et la notoriété du Nobel aidant, ce qui pourrait réactiver l'attractivité de bon nombre de ces propositions auprès d'un gouvernement en mal de réformes. Et convaincre Emmanuel Macron, qui s'en remettait lundi à une obscure mais sans doute sage « litanie des temps » d'accélérer, malgré tout, le tempo.