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OUTRE-MERS

La naissance des DOM

17 octobre 2014 | Mise à jour le 19 avril 2017
Par | Photo(s) : DR
La naissance des DOM

À l'heure où les Nantais battent le pavé pour la réunification de la Bretagne et qu'une loi ne va pas tarder à définir un nouveau découpage régional 
du territoire français, revenons quelques décennies 
en arrière, lors de la bataille des « vieilles colonies » 
pour devenir départements français.

«Citoyen français comme l'habitant de Paris ou de Bordeaux, le Martiniquais, par exemple, se trouve à l'heure actuelle aussi peu protégé que l'habitant de la forêt ou du désert contre l'ensemble des risques sociaux. […] Pas d'indemnité pour la femme en couches. Pas d'indemnité pour le malade. Pas de pension pour le vieillard. Pas d'allocation pour le chômeur. […] Dans ces territoires où la nature s'est montrée magnifiquement généreuse, règne la misère la plus injustifiable. »

Ainsi s'exprime, en 1946, Aimé Césaire, jeune député-maire de Fort-de-France (Martinique), dans son rapport appuyant le projet de loi pour le classement de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française en départements français. Et il poursuit : « Près d'un million de citoyens français […] sont livrés sans défense à l'avidité d'un capitalisme sans conscience et d'une administration sans contrôle. Et alors on se prend à répéter le mot de Diderot : “Avoir des esclaves n'est rien. Ce qui est intolérable, c'est d'avoir des esclaves en les appelant citoyens”. »

CONTRE LE « CHAOS SOCIAL »

La situation dans ces « vieilles colonies », comme on les nommait alors, est désastreuse : salaires de misère, sous-emploi, analphabétisme, habitat précaire, malnutrition, mortalité infantile galopante, malaria… L'ethnologue Michel Leiris, qui participe en 1945 à la fondation de la revue Présence africaine avec Alioune Diop et Aimé Césaire, écrira à ce propos : « impression de cauchemar, tableau de honte et de misère… » Politiquement, l'organisation des pouvoirs publics fixée en métropole ne s'applique pas dans ces territoires. Sur les quatre colonies, un gouverneur veille à l'application des lois et se charge du commandement général et de la haute administration.

LES ESPOIRS 
QUI AVAIENT ACCOMPAGNÉ LE VOTE DE 
LA LOI
SE TROUVENT DÉÇUS PAR 
SA TIMIDE APPLICATION

En octobre 1945, l'élection de la première Assemblée constituante voit une large victoire de la gauche, et notamment du parti communiste, y compris dans ces terres lointaines. Et ce sont ces députés communistes qui vont déposer une proposition de loi pour que ces « vieilles colonies » soient érigées en départements français. Aux côtés d'Aimé Césaire notamment, trois autres députés communistes : le Martiniquais Léopold Bissol, le Réunionnais Raymond Vergès et le Guyanais Gaston Monnerville.

À l'époque, ces élus sont convaincus que la départementalisation est un moyen direct de mettre fin au « chaos social ». Lorsque les débats débutent à l'Assemblée constituante, fin février 1946, Césaire vante à plusieurs reprises l'assimilation « qui doit être la règle et la dérogation, l'exception ». Il déclare encore : « Tous les observateurs sont d'accord pour affirmer que les problèmes sociaux se posent à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Réunion, avec une acuité telle que la paix publique en est gravement menacée… » Quand il évoque « l'ouvrier à la merci de la maladie, de l'invalidité, de la vieillesse sans qu'aucune garantie lui soit accordée », n'oublions pas que le système de Sécurité sociale vient d'être défini par le Conseil national de la Résistance.

LA LOI DE DÉPARTEMENTALISATION

Dans l'hémicycle, peu d'objections se font entendre. Mis à part le député socialiste de Guadeloupe, Paul Valentino, qui émet des réserves : « Si les lois sociales ne sont pas meilleures chez nous, c'est simplement parce qu'à l'heure actuelle les pouvoirs des conseils généraux ne sont pas suffisants pour leur permettre de faire mieux que ce qui se fait en France… » Quant à Marius Moutet, le ministre de la France d'outre-mer, il se méfie des faux espoirs. Pour lui, « il est inutile d'espérer que la France intègre 900 000 personnes de plus dans la masse de celles qui bénéficient des lois sociales. Vous légiférez dans l'enthousiasme mais il est dangereux de faire des promesses qui seraient suivies de déceptions ».

Et c'est ce qui va arriver. Quoi qu'il en soit, la loi est adoptée à l'unanimité le 19 mars 1946. Elle se résume à trois articles et stipule que désormais la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion font partie des 94 départements français. Ils ne sont plus régis par un gouverneur mais par un préfet. Toutes les lois et tous les décrets applicables à la métropole le seront dans ces nouveaux départements, à moins que le législateur n'en décide autrement expressément. Autrement dit, la loi réserve le cas de l'exception et les DOM peuvent être écartés de l'application d'une loi nouvelle. C'est ce qui explique en partie que l'application de la législation métropolitaine aux DOM a été longue. Une première vague d'extension législative s'est faite, suite au vote de la loi du 19 mars 1946, mais s'est vite essoufflée pour aboutir à une situation de statu quo.

DES LENDEMAINS QUI DÉCHANTENT

Très vite, les critiques sur la départementalisation vont se multiplier, à commencer par ceux-là même qui l'ont portée. Ainsi, dès 1954, Aimé Césaire dénonce, à la tribune de l'Assemblée, la départementalisation de l'outre-mer comme relevant d'une « politique de duperies et de tricherie ».

Les espoirs qui avaient accompagné le vote de la loi se trouvent déçus par sa timide application. Il faut savoir, par exemple, que le Smic est institué en Martinique en même temps qu'en métropole, c'est-à-dire en 1970, mais qu'il va rester près de trente ans inférieur, « pour ne pas étouffer les entreprises locales » ; de même, le chômage ne sera indemnisé qu'en 1980, après une longue hésitation gouvernementale.

Peu à peu, une volonté d'indépendance voit le jour. Récemment, sur France Culture, Christiane Taubira évoquait à ce propos son engagement dans les années 1970 (voir encadré). Comme le racontait l'historien Claude Liauzu, en 1961, un Front antillo-guyanais pour l'autonomie se crée à Paris, qui sera rapidement interdit. Six ans plus tard, des émeutes éclatent en Guadeloupe, qui seront durement réprimées. En août 1971, la Convention du Morne-Rouge, en Martinique, réunissant les partis communistes des quatre DOM, affirme la faillite de la départementalisation et relance l'autonomisme. Si les lois de décentralisation votées en 1982 calment un temps les esprits, les problèmes sont loin d'être réglés, comme va le rappeler le vaste mouvement « contre la profitation » début 2009…

EN SAVOIR PLUS

  • Claude Liauzu, Histoire de l'anticolonialisme en France du 
XVIe siècle à nos jours, Armand Colin, 2007.
  • Serge Mam Lam Fouck, Histoire de l'assimilation. Des vieilles colonies françaises aux départements d'outre-mer, Ibis Rouge, 2006.
  • Voir aussi le site de Lameca, la Médiathèque Caraïbe.