La prime de la discorde
Fatigués, mais dignes. Les convoyeurs de fonds grévistes de Prosegur des agences de Lyon, Valence et Saint-Étienne (280 salariés) ont voté à 75 % la reprise du travail, hier, après cinq semaines de grève.
Le mouvement a débuté le 10 septembre. 140 salariés répondent à l'appel à la grève de l'intersyndicale CGT-Sud TDF après avoir découvert sur leur bulletin de paie la suppression de primes de congés payés équivalentes à près de 300 euros annuels. « C'était la surprise du retour des vacances, au début, on a cru à une erreur… », ironise, autour du piquet de grève, avenue du Général Frère, Steve, un grand costaud de 29 ans et convoyeur chez Prosegur depuis sept ans.
Versées depuis une vingtaine d'années « par erreur » aux salariés, la direction a unilatéralement et sans prévenir, supprimé ce complément de salaire. Parmi ces primes, qui avaient pris un caractère d'usage et étaient devenues un acquis, la prime de risques est versée aux convoyeurs en raison de leurs conditions de travail difficiles.
« TROP DE COLÈRE »
« On risque notre vie pour 1 600 euros par mois et la direction mégote sur une prime de 300 euros par an », fulmine Florianne, 34 ans, convoyeur de fonds chez Prosegur depuis huit ans sur le site de Saint-Étienne.
Elle se souvient trop bien du braquage, ce petit matin du 8 octobre 2014, lors du réapprovisionnement d'une station essence, qui lui a valu, avec deux autres collègues, 44 tirs de kalachnikov et une terreur noire par crainte de sauter à l'explosif avant l'arrivée de la police sur les lieux.
Et de conclure : « On prend les risques et eux, le fric. Alors, je ne sais pas comment je vais faire avec la perte de salaire de cinq semaines de grève et mes deux enfants à charge, mais on ne pouvait pas se laisser faire, il y avait trop de colère. »
« C'est pour l'argent, mais surtout pour le principe, pose Frédéric Chardon, délégué du personnel CGT. Si on passait là-dessus, c'était la porte ouverte à tout. » « Aujourd'hui, les primes de congés payés et demain, les tickets resto, les paniers-repas, les primes de gestion, celle des chauffeurs… », enchaîne Christophe, élu CGT au CHSCT et convoyeur depuis onze ans chez Prosegur.
Tous les élus l'ont perçu, le climat a changé depuis l'arrivée, il y a quatre mois, du nouveau PDG, Philippe Gossard, et du nouveau DRH, Fabien Blanchet, fraîchement débarqué.
« Ils ont été mandatés pour opérer une reprise en main de la boîte et faire la peau à la CGT, analyse Gregory Hourdoux, délégué syndical CGT. Tout s'était bien passé aux dernières NAO, on avait obtenu 2,5 % d'augmentation de salaire pour tout le monde, 150 euros de prime pour les conducteurs et le paiement de 3 jours enfants malades par an. Mais l'ancien PDG a été remercié en mai dernier pour trop de politique sociale ».
Personne ne s'attendait à une grève aussi longue. Côté grévistes, ce sont tour à tour l'incompréhension ou l'humiliation qui dominent. « Ces primes équivalent à 40 000 euros, c'est rien pour eux. Là, ils en sont à 2 millions d'euros de pertes et ils nous envoient une trentaine de vigiles en prime », se désole Steve. Côté direction, on veut les faire plier. D'où plusieurs recours pour faire déclarer illégaux les piquets de grève des convoyeurs de fonds des trois sites qui, dans l'exercice de leur droit de grève, bloquaient la circulation des fourgons blindés.
Mais, après plusieurs rebondissements juridiques, le 8 octobre, la justice déboutait pour la troisième fois consécutive le groupe espagnol de sécurité. Dans son ordonnance, le TGI de Lyon estimait qu'ils ne constituaient pas une entrave à la liberté du travail ni un trouble manifestement illicite.
Ce même jour, alors que la CGT appelait à une journée de mobilisation nationale et interprofessionnelle pour l'emploi et les salaires, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, venait rencontrer les convoyeurs grévistes du site de Prosegur à La Talaudière (Loire).
Un soutien bienvenu alors que les images du désespoir des salariés d'Air France fait écho à leur propre lutte et qu'un événement dramatique a encore assombri le climat.
« Le 14 septembre, un des convoyeurs grévistes de Valence a été fauché sur le piquet de grève par un véhicule utilitaire dont le conducteur a perdu le contrôle, raconte Patrick Soulinhac, responsable juridique de l'UL 7/8 de Lyon. Le collègue est décédé le 29 septembre. Bien sûr, la direction a refusé de le reconnaître en accident du travail et de mettre en place une cellule psychologique pour les salariés ayant vécu ce drame et leurs familles. »
« La législation ne l'y obligeait pas, mais ça aurait été un geste d'humanité », conclut un gréviste.
Négocié pied à pied, le protocole de fin de conflit prévoit le versement de ces primes pour une période de 18 mois avant de faire l'objet d'une dénonciation d'usage auprès des IRP, l'étalement du décompte des jours de grève, la réduction de cinq jours à trois jours du délai de carence avant le versement d'un complément de salaire en cas d'arrêt maladie…
Mais l'affaire est loin d'être terminée : « En fond, la branche patronale joue gros, analyse François Debrand, secrétaire général de l'UL 7/8 de Lyon. La direction de Prosegur a le soutien de la FDFSI, le patronat de la profession, et va faire appel de cette décision pour tenter d'obtenir son illégalité et faire jurisprudence. »
Ce qui, dans les faits, réduirait l'exercice du droit de grève dans les entreprises de transport…
Contact appel à la solidarité :
Union Locale CGT (syndicat CGT Prosegur) – 147 Avenue Général Frère – 69008 Lyon