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RÉFUGIÉS

La solidarité est un combat syndical

20 décembre 2016 | Mise à jour le 27 décembre 2016
Par | Photo(s) : Kalashnikova/SIPA
La solidarité est un combat syndical

Quels choix feront les États européens face à la tragédie vécue par des centaines de milliers de réfugiés ? Dans une Europe de l'austérité et de l'insécurité économique, où s'enracinent les peurs, voire le racisme, le mouvement syndical est appelé à s'engager pour la solidarité et l'égalité des droits.

De nouveau, les chiffres font frémir. Le 26 octobre dernier, l'ONU a annoncé un nouveau record, terrible : en dix mois, 3 800 migrants sont morts en Méditerranée alors qu'ils tentaient de gagner les côtes européennes pour y trouver refuge. Un chiffre officiel qui ne tient pas compte de celles et ceux que la mer a engloutis loin de tout regard. Syriens, Irakiens, Soudanais, Érythréens, citoyens de la République démocratique du Congo… la majorité fuit les guerres et les persécutions, et risque la mort en famille dans des embarcations de fortune.
En 2015, l'Europe a commencé à prendre conscience de l'ampleur de cette tragédie humaine qui se joue à ses portes, avec l'arrivée, en quelques mois, de près de un million de personnes en quête de survie. Parmi eux, des milliers de Syriens parmi ceux qui, depuis 2011, tentent d'échapper aux bombardements du régime ; et aussi, plus récemment, à l'arrivée dans une partie du pays de l'Organisation de l'État islamique (OEI).
Face à ce drame, en Europe, en France, à la solidarité concrète des uns répondent les peurs ou les rejets, parfois haineux, racistes et violents, des autres. Peur de la concurrence sociale et économique, fantasme d'une « identité nationale » menacée, polarisation sur un islam que certains s'acharnent à décrire comme exogène, crainte de l'infiltration de terroristes, etc. : extrême droite et droites extrêmes alimentent abondamment ces angoisses.
Quant au premier ministre, Manuel Valls, il ne cesse de stipuler que ni la France ni l'Union européenne (UE) ne peuvent « accueillir plus de réfugiés » (ils représenteraient à terme quelques 30 000 personnes en France) et d'affirmer que « l'Europe ne peut pas accueillir tous les migrants en provenance de Syrie, d'Irak ou d'Afrique », oubliant que la majorité se retrouve dans des camps à l'extérieur du continent (voir notre carte page 28). Selon lui, l'UE « doit reprendre le contrôle de ses frontières et sa politique migratoire et d'asile ». Alors que l'asile est un droit… À l'inverse, pour Peter Altmaier, ministre chargé du dossier auprès d'Angela Merkel, « l'Allemagne a accepté un million de réfugiés pour des raisons humanitaires et de valeurs européennes, et parce que nous sommes convaincus que la stabilité de la région Europe – Proche-Orient dépend de cette question ». Alors, qu'en est-il ?

Déconstruire les préjugés

Participer à « l'accueil d'hommes, de femmes et d'enfants fuyant les zones de guerre au péril de leur vie est […] digne des valeurs de solidarité, d'entraide et de paix portées par le mouvement syndical », souligne la CGT. Début octobre, alors que le centre de vacances de la CCAS à Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), censé accueillir des réfugiés, a, comme d'autres centres, essuyé des coups de feu, la confédération a non seulement condamné une « tentative d'intimidation » mais aussi dénoncé le « climat délétère » entretenu par les « déclarations de différentes personnalités politiques oublieuses de leurs responsabilités et de celles de la France à l'égard du droit d'asile ».
Pour la CGT, « les propos racistes et xénophobes doivent cesser ». La solidarité fait partie de l'ADN du mouvement syndical, qui fonde son combat sur des valeurs humaines de fraternité.

En France, comme ailleurs dans le monde, l'accueil des réfugiés a marqué toute l'histoire du syndicalisme, et notamment celle de la CGT. Au-delà des valeurs fondamentales, cet engagement relève aussi du nécessaire combat contre toutes les tentatives de division dans la société, comme entre les peuples et entre les travailleurs.
Mais le réaffirmer haut et fort et rappeler les obligations morales et légales des États ne suffit guère face aux préjugés et à l'insécurité économique, face au spectre de la concurrence et à la crainte d'un péril venu d'un ailleurs à la fois si proche et si fantasmé. Aussi, au-delà de l'accueil – et même, pour certains militants ou militantes, du sauvetage en mer –, au-delà du combat commun pour l'égalité des droits, déconstruire les croyances et les peurs s'avère tout aussi nécessaire.

Guerre et impunité, mamelles de la terreur

Précisé par la Convention de Genève (1951), le statut de réfugié donne accès à la protection qu'implique le droit d'asile, pour raisons politiques ou face à des menaces de persécution liées aux opinions, à la religion, à l'origine… Une protection dont ont terriblement besoin ces familles qui fuient la guerre, les bombardements, les armes chimiques, les destructions massives et un terrorisme quotidien.

Or, chacun ou presque le reconnaît : l'invasion de l'Irak en 2003 par les États-Unis et leurs alliés a certes favorisé l'élimination d'une dictature mais aussi tué des centaines de milliers d'individus, détruit un pays, déstructuré un État, engendré des divisions confessionnelles qui minent aujourd'hui tout le Proche-Orient. C'est devenu le terreau d'un terrorisme dévastateur, dont la propagande et l'influence se nourrissent des violences, bien réelles, imposées de l'extérieur ou par des régimes prédateurs.

La Libye, cinq ans après l'intervention militaire obtenue par Nicolas Sarkozy est, quant à elle, la proie d'un chaos meurtrier dont les effets se propagent au-delà de ses frontières. La Palestine est toujours victime de l'impunité internationale dont jouit Tel-Aviv. Des États occidentaux, européens, coopèrent avec des dictatures au nom de la guerre contre le terrorisme, trop souvent paravent d'intérêts économiques. Cette même guerre qui sert de prétexte au soutien de Poutine au régime criminel de Bachar el-Assad.
L'Europe a donc des responsabilités. Et le flux migratoire ne se tarira pas tant que le droit et la justice ne se substitueront pas à la guerre…

Face au mur de la suspicion

Des murs et des frontières de barbelés s'érigent pourtant autour de certains pays européens . Le mur de la suspicion se fait plus insidieux, qui désigne l'Autre comme terroriste potentiel. En contradiction avec les faits. Bien sûr, des terroristes peuvent réussir à se glisser parmi les centaines de milliers d'individus qui fuient l'horreur. Mais les derniers attentats confirment que le danger, réel, n'est pas davantage au-delà qu'en deçà des frontières. En revanche, les tenants de l'OEI, de même que les extrêmes droites européennes, partagent au moins un objectif commun : généraliser la suspicion, prophétiser la « guerre des civili­sations ». Voire la nourrir.

L'Autre : un concurrent ?

Autre cliché : de faux demandeurs d'asile, vrais migrants économiques, se cacheraient parmi les réfugiés, pour prendre le travail des Français, ou profiter d'une gamme inespérée d'allocations.

migrants_refugiesClaire Rodier, avec la collaboration de Catherine Portevin, Migrants et réfugiés.
Réponse aux indécis aux inquiets et aux réticents, La Découverte, 4,90 euros.

En fait, remarque la juriste Claire Rodier , « le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR ou HCR) utilise depuis longtemps le concept de “flux mixtes” pour caractériser les arrivées d'exilés aux portes de l'Europe ». Leurs motifs se mêlent parfois, face aux guerres, aux conséquences de graves crises écologiques ou de désastres économiques dans des pays où les multinationales font souvent leur miel…

Quant au « coût » de l'immigration, ATD Quart Monde le souligne : elle « coûte chaque année 48 milliards d'euros à la France en prestations sociales, mais rapporte 60 milliards d'euros en impôts et cotisations sociales ».

couv_atd_idees_faussesEn finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, 220 p., 5 euros. Disponible sur www.atd-quartmonde.fr.

Reste une crainte : celle que l'Autre ne soit qu'un concurrent sur le marché de l'emploi. En réalité, le dumping social s'organise aujourd'hui à l'échelle du monde. La mise en concurrence des salariés les uns avec les autres n'a plus de frontières. La lutte des travailleurs sans papiers, auprès desquels la CGT s'investit, montre à quel point c'est bien le droit et l'égalité des droits qui permettent à tous de sortir d'une telle logique…
L'arrivée massive des réfugiés met donc l'Europe au défi. Soit elle construira des murs, illusoires et mortifères, soit elle choisira la voie de la solidarité et du combat commun pour l'égalité, pour le partage des richesses et contre une crise qui continue de faire les beaux jours des profiteurs des paradis fiscaux. Un combat qui convoque le mouvement syndical. Comme le soulignent la CGT et les syndicats membres de la CES, fidèles à une histoire, à des valeurs et à leur vocation…