Confrontés à des situations de traite d'êtres humains en milieu du travail, des syndicats accompagnent des victimes jusqu'aux tribunaux et font progresser le droit. La CGT appelle le 18 décembre à manifester pour la défense des migrants.
L'affaire du « 57 boulevard de Strasbourg »
En 2014, 18 coiffeurs ayant cumulé des conditions de travail indignes et des rétributions très faibles — des femmes sans titre de séjours pour la plupart —, révèlent au grand jour un système d'exploitation mafieuse dans le quartier de Château d'eau, à Paris. Soumises à un patron abusant de leur vulnérabilité, ces femmes de différentes nationalités se mettent en grève aux côtés de la CGT.
« Au départ, cela ressemblait à une affaire de travail dissimulé classique avec des travailleurs sans titres de séjour. Mais il y avait une domination masculine violente, proche du proxénétisme. Il s'agissait de femmes isolées, très précaires, car leur travail ne leur permettait pas de survivre, et isolées, car ne parlant pas la même langue », Marilyne Poulain, du collectif Migrants confédéral CGT.
Pour l'Inspection du travail, les faits de traite des êtres humains en milieu de travail sont bien constitués. Définie par la loi du 5 août 2013, cette infraction sanctionne des agissements qui préparent l'exploitation d'une personne, le recrutement, le transport, l'hébergement au moyen de menaces, violences ou tromperie, en vue d'en tirer un profit maximum.
Le parquet de Paris décide cependant de ne pas retenir cette accusation, plus lourde que le travail dissimulé car passible de 150 000 euros et de sept ans de prison, mais plus difficile à qualifier (article de Bénédicte Lavaud-Legendre – Dalloz).
Une première syndicale
L'Union départementale CGT de Paris décide alors de délivrer une citation directe au tribunal pour contraindre le ministère public à qualifier la traite, en s'appuyant sur l'article 2-21-1 du code pénal. Le 8 février 2018, le Tribunal correctionnel de Paris rend un jugement qui fait jurisprudence en condamnant le gérant du salon de coiffure afro à un an de prison ferme pour traite des êtres humains. Un avertissement pour tous les patrons mafieux.
« Cette condamnation a créé une reconnaissance de la traite en milieu du travail dans un cadre collectif, ce qui est différent de l'esclavage domestique. Cela a permis une définition plus claire de ce délit et nous a donné une arme juridique pour attaquer des employeurs face à des situations semblables dans l'agriculture ou le BTP », Marilyne Poulain.
Des UD en première ligne
Depuis 2016, l'Inspection du travail peut désormais constater cette infraction. Un point d'appui pour les syndicats vers qui se tournent ces salariés en détresse. C'est ainsi que l'UD des Landes a vu arriver un travailleur marocain en situation irrégulière en grande vulnérabilité. Déclaré 40 heures alors qu'il en réalisait plus de 200 par mois, obligé de travailler sans protection durant la grippe aviaire, ce salarié subissait des conditions de travail indignes sous la menace de son employeur.
L'intervention de la CGT est décisive. Elle lui permet en premier lieu d'obtenir sa régularisation en Préfecture au titre de la protection spécifique des victimes de la traite, un dispositif prévu dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers (Ceseda) permettant aux victimes de pouvoir témoigner sereinement au procès. Mais aussi d'obtenir un jugement favorable aux Prudhommes.
« Le cas que nous défendons n'est pas isolé, c'est un système instauré dans les Landes où les employeurs de l'hôtellerie et de l'agriculture recrutent des personnes sans titre de séjour pour les exploiter. Notre but, nous CGT, c'est que ça cesse », Aline Rondeau, de l'UD 40.
Tunisiens exploités dans les vignes de Cognac ; bûcherons marocains payés 100 à 200 € par mois, au pain et à l'eau dans l'Indre ; sans-papiers exposés sans protection sur des travaux de désamiantage à Paris… Confrontées à ces situations d'exploitation extrêmes, les UD qui épaulent les victimes se portent partie civile au pénal en s'appuyant sur l'expertise du collectif Migrants de la Confédération.
« C'était notre premier dossier, Ils nous ont apporté une aide précieuse sur le plan juridique et on a travaillé en lien étroit avec eux », souligne Gwladis Audubert Lalande, de l'UD de Charente, qui a entrepris de poursuivre au pénal un employeur dans le Cognac.
L'État face à ses responsabilités
Le droit international, notamment la Convention de Palerme des Nations unies, contraint l'État français à s'engager contre la traite et à protéger les victimes. Un deuxième plan d'action national contre la traite des êtres humains a ainsi été lancé en 2019 par le gouvernement, dont la CGT a reçu mandat d'évaluer l'action par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNDH).
« Il y a besoin de former les professionnels de la magistrature et les services de gendarmerie et de police, car on voit apparaître de nouveaux délits en milieu du travail », constate Marilyne Poulain. Le hic, c'est que ce plan a été rattaché au secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les hommes et les femmes.
« En France on se focalise sur l'exploitation sexuelle et la prostitution, relève la chercheuse Bénédicte Lavaud-Legendre (CNRS – Comptrasec). On privilégie la chasse au travail illégal plutôt que la protection de la victime. Et le discours politique sur la fermeture des frontières peut donner un sentiment de toute puissance aux patrons qui cherchent à tirer profit des migrants en situation illégale. »
Le 18 décembre, la CGT appelle à manifester pour obtenir la ratification de la Convention internationale des droits des travailleurs migrants et leurs familles afin d'éviter que ces derniers ne passent des filets des passeurs à ceux de patrons voyous abusant de leur vulnérabilité.
« La question soulevée, c'est comment faire migrer des gens dans des conditions légales et sûres. Eriger des murs tout en protégeant les travailleurs, c'est contradictoire. Au lieu de protéger les parcours migratoires, on encourage les mafias », conclut Marilyne Poulain.