À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
PRÉCARITÉ

L'accord assurance chômage : précarité généralisée

1 juillet 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
Par | Photo(s) : Bapoushoo
L'accord assurance chômage : précarité généralisée

Intermittents, intérimaires, privés d'emploi, cadres, tous sont touchés 
par l'accord sur l'assurance chômage conclu le 22 mars 2014 et en passe d'être agréé par le gouvernement. 
La CGT assigne en justice ses signataires pour négociations déloyales.

La NVO a réuni une table-ronde pour préciser les contenus régressifs de l’accord, avec :

Denis Gravouil, secrétaire général 
de la fédération CGT 
du spectacle
Marie-José Kotlicki, secrétaire générale 
de l'Ugict CGT
Jean-François Kieffer, secrétaire général du Comité des privés d'emploi CGT
Philippe Tixier, secrétaire général 
de l'Union syndicale 
de l'intérim CGT
Éric Aubin, 
secrétaire confédéral de la CGT, en charge des négociations chômage

***

nvo : Le 11 juin, la CGT a assigné en justice les signataires de l'accord sur l'assurance chômage conclu le 22 mars que le gouvernement s'apprête à agréer. C'est une première ?
Éric Aubin : Oui, c'est la première fois qu'une confédération attaque pour déloyauté les signataires d'un accord. Déloyauté parce que la CGT a été mise à l'écart, le Medef n'a en fait négocié qu'avec les signataires potentiels. C'est, d'une part, contre ces négociations de couloir que nous avons saisi la justice. Et, d'autre part, parce qu'entre l'accord signé le 22 mars et la convention du 14 mai, c'est-à-dire en principe sa transposition juridique, des modifications importantes ont été apportées sans que la CGT et la CGC aient voix au chapitre et sans que des avenants aient été ajoutés à l'accord initial.

 

 
Denis Gravouil : Nous attaquons parce que nous avons pris connaissance de documents tombés du camion, comme on dit. Des chiffrages qui circulaient parmi les signataires et le gouvernement, que la CGT n'a découverts que le 14 et le 22 mai. C'est le cas notamment en ce qui concerne les différés de paiement.

 

 
Éric Aubin : Avec cette action en justice – la première audience devrait avoir lieu avant le 15 juillet –, nous comptons gagner l'annulation de l'accord et une renégociation sur des bases loyales.

 

Voilà pour la forme, si j'ose dire, mais c'est évidemment sur le fond que vous bataillez en ordre groupé ?

Éric Aubin : En effet. Il faut bien avoir en tête que le déficit de l'Unedic est lié à la précarité : 51 % des entrants sont en fin de contrat ou en rupture conventionnelle, quand 80 % des embauches aujourd'hui se font en CDD et qu'un salarié sur cinq est à temps partiel. Les 800 millions d'économies exigées ne reposent que sur les demandeurs d'emploi, sans que les employeurs soient mis à contribution. De même, aucune pénalisation n'est prévue pour les entreprises qui abusent du travail précaire. Or, nous souhaitons renégocier sur ces questions-là, sur les contrats courts, sur les primes de départ qui engendrent des différés de paiement. Mettre en avant notamment que ces primes sont supralégales.
Les économies se font sur le dos des intermittents, des cadres, des privés d'emploi et des intérimaires, avec entre autres la remise en cause de l'annexe 4 de ces derniers.

 
Philippe Tixier : Sur les 800 millions d'économies, 320 millions se font sur les intérimaires. En 2013, le chiffre d'affaires du travail temporaire s'élevait à 18 milliards d'euros, plus de 2 millions de salariés sont passés par l'intérim et on comptait quelque 16 millions de missions. Or, plus de 80 % de celles-ci sont inférieures à 2 semaines.

Nous demandions qu'avec la nouvelle convention de l'assurance chômage, tous les intérimaires allocataires – contre 207 000 l'an passé – bénéficient de l'annexe 4. À l'inverse, la convention modifie l'annexe 4 qui régit les conditions d'accès et d'indemnisation des intérimaires à l'assurance chômage. Ces changements entraînent une baisse de revenu pour les salariés de l'intérim de l'ordre de 300 euros par mois, et 300 euros par mois, ça veut dire que les loyers ne vont plus pouvoir être payés !

Au total, cette baisse du pouvoir d'achat représente entre 180 et 200 millions d'euros, tandis que le patronat de l'intérim bénéficie cette année de 500 millions de crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), c'est une aberration !

 

Jean-François Kieffer : Avec cette convention, les indemnités chômage représentent 57 % du brut et non plus 57,4 %. Ce sont les gens qui sont dans la misère et dans la galère qui vont payer. Or, les chômeurs, ils crèvent aujourd'hui ! Nous sommes des gueux mais les gueux ne se laisseront pas manger ! Nous sommes en lutte avec les intermittents et les intérimaires.

 

 

Denis Gravouil : Cette convention met en place des carences infernales pour les intermittents du spectacle ! Les différés de paiement des indemnités chômage touchent non plus 9 % des indemnisés, les mieux payés, mais 47 % ! Seuls ceux qui touchent en deçà de 9 000 euros par an sont épargnés. On atteint vite des délais de carence de vingt, voire trente jours. Les périodes de chômage non payées s'allongent ; comment vivre pendant ce temps-là ? Ça risque aussi d'être dramatique pour les congés maternité quand ces derniers sont calculés sur les périodes indemnisées.

 

Quand vous dites qu'outre les intérimaires, les intermittents du spectacle et les privés d'emploi, les cadres sont les grands perdants d'une négociation mal menée, qu'entendez-vous par là ?

Éric Aubin : Les ingénieurs et cadres technico-commerciaux contribuent pour 40 % au financement de l'Unedic, quand ils « coûtent » quelque 18 %. Et eux aussi risquent une perte importante de leurs allocations.

 
Marie-José Kotlicki : En fait, cet accord veut partager la pénurie uniquement dans le salariat en désignant des boucs émissaires. Comme le rappelle Éric, c'est la double peine, les cadres financent beaucoup, touchent peu et vont encore moins toucher.

Je donne un exemple : un cadre informaticien de 55 ans, avec vingt ans d'ancienneté, qui touche 4 000 euros brut par mois. Si son entreprise, qui souhaite se séparer des salariés les plus âgés, lui propose une rupture conventionnelle – comme c'est de plus en plus souvent le cas – et que ce salarié négocie 6 mois de salaire, il va falloir qu'il attende 180 jours contre 75 actuellement avant de toucher ses allocations chômage.

Autre exemple, une cadre, licenciée à 58 ans et 6 mois, ne pourra plus bénéficier de droits jusqu'à 65 ans. Avec cette nouvelle convention, elle sera en fin de droits à 61 ans et 6 mois. À 62 ans, elle sera contrainte de prendre sa retraite. Et comme ses droits à la retraite seront incomplets, elle touchera à vie une pension amputée, dont le montant sera inférieur à son allocation de chômage.

 

Ainsi, on s'en prend aux plus précaires mais aussi aux plus qualifiés ?

Marie-José Kotlicki : Oui, l'attaque contre les cadres sert de cheval de Troie en quelque sorte pour fragiliser tout le système de protection sociale français. On remet en cause l'universalité des droits qui s'appuie sur le fait que chacun cotise selon ses revenus, afin que chacun bénéficie en principe d'un niveau de vie décent. Avec cette nouvelle convention, on pousse notamment les cadres à se tourner vers des assurances privées. On demande aux chômeurs de gérer la misère. Notre lutte doit être solidaire.

 

Le 7 juin, le député socialiste d'Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille a été missionné par Matignon pour calmer la fronde des intermittents. Le Premier ministre a annoncé le 19 juin un plan pour sortir de la crise. Vous en pensez quoi ?

Denis Gravouil : Tout d'abord, cela ne concerne que les annexes 8 et 10 des intermittents du spectacle, mais nous nous battons pour que l'ensemble de la convention chômage soit renégocié. Ce texte est une catastrophe pour tous les demandeurs d'emploi, travailleurs précaires, intérimaires, cadres…

Maintenant, en ce qui concerne les annonces de Manuel Valls, si le maintien des crédits d'investissement du ministère de la Culture dans le spectacle vivant est une bonne mesure, si la concertation avec les « trois sages » peut être acceptable, il faut que les propositions portées depuis plus de dix ans par les intermittents soient examinées.

Et puis, le Premier ministre annonce que l'État va financer pour un temps les différés de paiement, en d'autres termes le régime des intermittents du spectacle, préfigurant une caisse autonome que souhaitent le Medef et la CFDT depuis des années. Il déclare que « ce dispositif original est une forme indirecte de soutien à la création artistique ».

Pas plus qu'une subvention à l'industrie ou au commerce, l'assurance chômage n'est une subvention culturelle, c'est un droit de tous les salariés ! Quant aux investissements publics, ils doivent aller aux services publics, à la création et à l'emploi !

 

Cette action en justice intervient alors que les 7 et 8 juillet aura lieu la conférence sociale…

Éric Aubin : Eh bien, justement, en attaquant un accord malmené, qui s'est fait à partir de négociations déloyales, nous entendons rénover le fameux dialogue social sur de bonnes bases. Il faut revoir les règles des négociations interprofessionnelles. Il n'est pas acceptable que les négociations se mènent dans les locaux du Medef, sur ses textes et sous sa direction. La question qui devra être abordée est plus large que la place des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise dont veut bien discuter le Medef. Il s'agit de s'interroger plus largement sur la démocratie sociale dans notre pays.

 

 

« Les économies se font sur le dos des intermittents, 
des cadres, des privés d' emploi et des intérimaires » Éric Aubin