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INTERMITTENTS

L’art de la mise au point

3 août 2017 | Mise à jour le 17 juillet 2017
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Voilà onze ans que Claire Dabry est assistante à la prise de vue sur des tournages de fictions. Un métier qui la passionne, même s'il n'est pas facile de gérer l'intermittence des contrats. Adhérente au Spiac-CGT, elle informe les étudiants sur leurs droits.

Sur un tournage, il existe une nuée de métiers qu'on ne soupçonne pas, comme celui d'assistant opérateur de prise de vue. Sa mission consiste à effectuer la mise au point, pendant que le cadreur gère les mouvements de caméra en concertation avec le réalisateur. « En fonction des distances, des déplacements des acteurs, on prend des repères et on règle la caméra pour rendre net tel ou tel personnage. Chaque métier est très hiérarchisé. En tant que première assistante, je gère aussi le matériel caméra et fais des copies des cartes numériques, explique Claire Dabry. À l'image, on a une place privilégiée, “on est à la face”, comme on dit, c'est-à-dire au cœur du tournage. » Cette envie de travailler sur les plateaux lui est venue très jeune.

Formation spécifique

Dans son petit village de Haute-Savoie, elle rejoint dès 14 ans l'équipe de bénévoles qui gère le cinéma municipal. De la projection des films à la tenue de la caisse, elle découvre l'univers cinématographique et décide de suivre une option audiovisuelle au lycée. Elle intègre par la suite Ciné-Sup à Nantes, une école préparatoire aux écoles de cinéma, durant deux ans, puis entre à l'école Louis-Lumière pour trois ans. « Un passeport précieux pour nouer des contacts. J'ai eu la chance de travailler dès ma sortie de l'école et d'obtenir rapidement le statut d'intermittente. Depuis onze ans, je l'ai toujours conservé », raconte Claire. Les premières informations sur ses droits, elle les a obtenues à Ciné-Sup, lors d'une intervention de Denis Gravouil, aujourd'hui secrétaire général de la CGT Spectacle. « Si ces informations nous passent un peu au-dessus de la tête quand on est étudiant, elles se révèlent fort utiles par la suite. » Maintenant, c'est elle qui informe les étudiants de Louis-Lumière sur leurs droits.

Entre ciné et télé

Claire Dabry travaille principalement sur les tournages de fiction pour le cinéma – « des petits films fauchés français », sourit-elle – et la télévision. Elle garde un bon souvenir du tournage de Mercuriales, réalisé par Virgil Vernier ou de Chant d'hiver, d'Otar Iosseliani. Elle évoque l'univers particulier de ce cinéaste géorgien, artiste complet qui travaille à l'ancienne. Un travail léché, où un plan peut prendre une journée, qui l'a enthousiasmée. Pour la télé, elle collabore notamment à une série policière scientifique où les scénarios autour des histoires d'infirmières ne sont pas très intéressants. « Mais l'équipe est sympa et j'y trouve toujours mon compte côté boulot. Les gens donnent le meilleur d'eux-mêmes pour faire au mieux, malgré des cahiers des charges souvent absurdes, comme le fait de ne pas montrer d'hémoglobine sous prétexte que c'est diffusé en début de soirée. » Il faut alors jongler avec des changements de scénario ou de décor la veille du tournage, alors que les délais sont plus courts.

Engagement syndical

Elle a adhéré à la CGT, un peu par hasard, alors qu'une multitude d'associations professionnelles existent dans le secteur : pour les scriptes, les photographes, les monteurs, les techniciens… Quand elle participe en 2006 aux manifestations contre le contrat première embauche (CPE), elle ne sait pas bien sous quelle bannière défiler. Elle n'a pas grandi dans une famille de militants, avec un père pharmacien et une mère traductrice de russe, mais elle est bien consciente que des gens bataillent pour faire avancer les droits. Elle trouve sa place dans le Syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (Spiac-CGT). « Je n'affiche pas haut et fort mon engagement syndical, il peut toujours y avoir des représailles. J'en parle avec des gens de confiance. En tant que trésorière adjointe, je connais les adhérents, ça aide pour prendre contact, explique Claire. Je suis toujours étonnée de la méconnaissance des collègues qui ne savent pas, par exemple, que deux conventions collectives distinctes s'appliquent à la télé et au cinéma. » Elle a suivi de près l'élaboration de la convention collective de la production cinématographique en 2012. « Avant, les temps de préparation et de rangement étaient rarement comptabilisés. Maintenant, toutes les heures sont prises en compte, ça part moins dans tous les sens, et on est mieux payés depuis qu'une règle s'applique. »

Égalité hommes-femmes

À lireVoir la rubrique « Femmes-mixité » sur le site de la CGT Spectacle

En congé maternité, elle n'a pas pris part à la bataille du printemps dernier qui a abouti à l'accord du 28 avril sur les règles d'assurance chômage des artistes et des techniciens du spectacle. « S'il va falloir à nouveau se battre lors des prochaines négociations qui ne vont pas tarder », Claire se félicite des avancées obtenues (Voir les nouvelles règles en vigueur sur fnsac-cgt.com), y compris pour les congés maternité, mieux pris en compte. Elle évoque la galère de pas mal d'intermittentes, rassemblées dans le collectif des Matermittentes, et cite le cas d'une amie qui s'est retrouvée enceinte et seule, sans aucun droit. Alors oui, elle voit d'un bon œil la mise en place, en mars dernier, du collectif Femmes-mixité au sein de la CGT du Spectacle (lire l'encadré « Pour l'égalité hommes-femmes »). « J'étais sur un tournage avant Noël et les collègues se disaient que, dans notre milieu, il n'y avait pas de différence de traitement entre les hommes et les femmes, mais c'est faux. Nous sommes moins payées et les chefs de poste, les réalisateurs sont principalement des hommes. C'est bien d'en avoir conscience. »

La gestion de l'intermittence

À 34 ans, avec deux enfants en bas âge, il n'est pas toujours facile de jongler avec les contrats de travail. « On est prévenu au dernier moment, trois semaines avant le tournage dans le meilleur des cas. Même si l'imprévu fait que notre métier est passionnant, il faut tout de même se débrouiller pour la garde des enfants, explique Claire. Et puis, après un congé maternité, il faut se remettre dans le réseau. On est vite oubliée. » Sans compter qu'il y a toujours la crainte de se planter sur un tournage et de ne plus être rappelée. « Depuis que j'ai commencé à travailler, je me suis dit qu'un jour ou l'autre, il faudra faire autre chose. Et à 50 ans, il sera trop tard pour changer de métier », confie-t-elle, sans savoir quelle voie prendre. En attendant, Claire arrive à travailler suffisamment, grosso modo deux gros tournages par an, pour continuer « d'être à la face » et d'en vivre.

 

Pour l'égalité hommes-femmesAucune femme n'est à la tête d'un théâtre national, seuls 8 % des centres chorégraphiques nationaux sont dirigés ou codirigés par des femmes, c'est aussi le cas de seulement 15 % des maisons d'opéras ou 26 % des centres dramatiques régionaux ou nationaux… Au-delà des postes de direction, « les femmes intermittentes connaissent une précarité accrue et des carrières plus courtes que les hommes », rappelle le collectif Femmes-mixité, mis en place en mars 2016 par la CGT Spectacle.
Les secteurs du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel ne sont pas épargnés par les inégalités entre les hommes et les femmes. Là, comme ailleurs, les écarts salariaux sont importants (19 % dans le secteur culturel, toutes professions confondues). Les femmes rencontrent aussi de plus grandes difficultés d'accès à l'emploi, quand les hommes sont largement majoritaires parmi les artistes interprètes (65,1 %), les cadres (61,2 %) ou les non-cadres (59,7 %), selon l'Observatoire prospectif des métiers, des qualifications et des compétences du spectacle vivant. Le collectif, réunissant des militants des différents syndicats fédérés, travaille à des propositions concrètes afin de lutter contre les inégalités, tant dans les négociations collectives que dans les différentes institutions sociales où siège la CGT Spectacle. Il y a du pain sur la planche !