Procès Air France : triple peine pour quatre ex-salariés
La cour d’appel condamne quatre prévenus dans l’affaire dite des « chemises arrachées » à Air France. Une décision politique. Lire la suite
Les policiers sont venus les chercher au petit matin. À six heures.
Cinq militants syndicaux d'Air France ont été arrêtés à leur domicile, lundi 12 octobre, et ont subi une trentaine d'heures de garde à vue, avant d'être déférés, mardi après-midi, devant le parquet de Bobigny. Ils devraient être jugés le 2 décembre devant le tribunal correctionnel pour des « faits de violences en réunion ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) n'excédant pas huit jours ».
Ils risquent… trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. « Au lendemain de la session de CCE où 2 900 suppressions d'emploi ont été annoncées, la presse a fait ses choux gras des actes de violence isolés qui ont eu lieu lors de cette immense et pacifique journée de mobilisation des salariés d'Air France », rappellent pourtant dans un communiqué commun les organisations syndicales de l'entreprise : la CGT et son Ugict, l'Unsa et FO.
Mais l'image n'a pas circulé de cette « grande famille réunie » des personnels de la compagnie. Seules les vidéos des chemises arrachées de deux dirigeants d'Air France, à Roissy, ont tourné en boucle sur les journaux télévisés et fait le tour du monde sur les réseaux sociaux. Plus facilement que celles de l'annonce de la direction de l'entreprise de supprimer 2 900 emplois si les salariés et leurs syndicats refusaient de travailler beaucoup plus sans gagner davantage.
Un chantage mené au nom de la concurrence avec les compagnies à bas coûts, quelles qu'en soient les conséquences en termes de santé pour les salariés concernés, voire la sécurité des passagers.
Aucun média, s'indigne le communiqué, n'a mentionné « les violences policières qui ont blessé plusieurs salariés pourtant calmes à l'entrée du terminal E1 » ce jour-là. Quant à Manuel Valls, il est venu en personne soutenir à Roissy le DRH, sans un mot pour la violence subie par les salariés, ni celle des plans précédents de la direction, ni celle des menaces de suppressions d'emplois, ni celle des brutalités policières décrites par les syndicats.
La CGT dénonce ces interpellations et cette répression. « C'est profondément choquant et révélateur du peu de considération pour les syndicats qui ne cessent d'agir pour l'emploi, les conditions de travail et le développement d'un transport aérien de qualité », souligne la confédération qui exige la levée des poursuites judiciaires et disciplinaires engagées contre les salariés incriminés.
En fait, la répression antisyndicale va bon train. Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, a assuré mercredi que l'exécutif n'était « en rien concerné » par la décision d'interpeller au petit matin cinq syndicalistes. C'est oublier un peu vite les discours du premier ministre appelant à de lourdes sanctions. François Hollande, lui, en visite sur les chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), avait plaidé pour le dialogue social et dû dénoncer « la brutalité » d'où qu'elle vienne, des « mouvements » comme de certains « patrons » : c'est que des syndicalistes avaient refusé de lui serrer la main pour n'avoir pas dénoncé la « violence patronale » à Air France…
La même semaine, en fait demain vendredi, une inspectrice du travail doit comparaître devant le tribunal correctionnel d'Annecy pour « violation du secret professionnel » et « recel de courriels » de l'entreprise Tefal, à Rumilly. Ou quand la répression et les menaces tentent de faire taire ceux ou celles qui, dans l'exercice de leur métier, défendent le droit du travail…
Ce jeudi 15 octobre, Manuel Valls a franchi un nouveau pas dans ce qui s'apparente à du cynisme social et économique. Car non seulement, interrogé sur RMC et BFMTV, il a indiqué que le plan de restructuration d'Air France n'est pas suspendu, mais il a tenu à ajouter que « le gouvernement à la fois soutient le plan de restructuration d'Air France et appelle au dialogue ».
La contradiction dans les termes ne le gêne pas davantage que le sort des milliers de familles touchées non par une chemise déchirée, mais par le licenciement, le chômage, l'insécurité, les projets laminés. Une provocation de plus à l'encontre des personnels et de leurs organisations syndicales.
La veille pourtant, la ministre de l'Écologie, Ségolène Royal, qui a la tutelle des Transports, avait rappelé : « Bien sûr, on ne revient pas autour de la table en disant “c'est à prendre ou à laisser” » et souligné que « les stratégies qui ont consisté à dresser les salariés les uns contre les autres sont de mauvaises stratégies ». La ministre avait assuré que la direction d'Air France devait suspendre son plan de restructuration, condition de la reprise du dialogue avec les syndicats. Une évidence qui échappe à l'arrogance de classe du premier ministre.
Dans leur communiqué, les trois organisations syndicales le précisent : le gouvernement doit être à l'origine d'une feuille de route tripartite (État actionnaire, direction, organisations syndicales) mise en route, qui devra porter sur la stratégie de développement de l'entreprise, le maintien de l'emploi, les capacités d'investissements.
Alors que le discours sur les violences veut mettre en cause toute forme de résistance aux stratégies patronales, il est temps que la solidarité avec les personnels d'Air France et leurs syndicats se dise haut et fort, comme un refus unitaire de renoncer à des politiques alternatives.
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