11 octobre 2019 | Mise à jour le 11 octobre 2019
Le juriste Alain Supiot a rassemblé vingt-et-un auteurs pour permettre de réfléchir au sens du travail au XXIe siècle, dans l'unité et la diversité des expériences, face à la révolution numérique en cours et tenant compte des impératifs écologiques.
Avec le développement du numérique et l'intelligence artificielle, le monde connaît une nouvelle révolution, aussi importante que la découverte du feu ou de la roue, ou que la révolution industrielle. Elle intervient dans un contexte à la fois de mondialisation économique, de concurrence généralisée, et de dégradation climatique et de péril écologique sans précédent.
Dès lors, comment repenser le travail ? Quelle est la place de l'humain, notamment face aux machines, et comment redonner sens au travail ? Ce sont ces questions que posent les vingt-et-un auteurs réunis sous la direction d'Alain Supiot dans un livre publié par les éditions de l'Atelier sous le titre Le travail au XXIe siècle.,
Une nouvelle révolution technologique
Juriste, professeur émérite au Collège de France, auteur de nombreux ouvrages sur le travail, Alain Supiot, qui a été membre de la Commission mondiale sur l'avenir du travail de l'OIT le rappelle d'emblée : chaque époque historique produit son imaginaire sur le travail.
Dans le temps long qui a précédé le taylorisme, il y a d'abord eu cette distinction que l'on retrouve dans toutes les langues entre l'œuvre, celle des artistes ou celle des artisans qui s'appuient sur leur savoir-faire, et le travail de l'ouvrier, des gens de bras liés notamment à la quantité de temps fourni.
Avec le taylorisme, un petit nombre était censé à la fois penser et diriger quand la masse était théoriquement rémunérée pour ne pas penser. Théoriquement, car cette idée faisait abstraction de la réalité concrète du travail et de la créativité individuelle et collective mise en œuvre. Et toutes les révolutions technologiques s'accompagnent de transformations institutionnelles et juridiques.
L'imaginaire contemporain serait celui de l'ordinateur et du numérique où chacun n'agit plus mais réagit, avec des objectifs chiffrés et des évaluations qui touchent tous les domaines d'activité. On est passé, soulignait-il récemment (à l'occasion d'un débat organisé à Paris par le mouvement chrétiens des cadres et les éditions de l'Atelier) de la « main d'œuvre » au « cerveau d'œuvre ».
Et, ajoutait-il, c'est une impasse. C'est ce que montre cet ouvrage, qui tient compte à la fois de la diversité des situations géographiques, de l'Europe aux bidonvilles de Calcutta, et de la réalité des expériences concrètes de travail.
L'ère du numérique : la « fin du travail » ?
Dès la préface, l'auteur met en cause l'hypothèse de la fin du travail induite par le développement du numérique et de l'intelligence artificielle, une fin qui « s'identifierait à la fin de l'humanité en tant qu'espèce créatrice de nouveaux objets et de nouveaux symboles ».
De même qu'il propose la critique de l'ubérisation en cours, où l'intelligence des machines repose en réalité sur « le travail gratuit de leurs utilisateurs ainsi que du « travail du clic », très faiblement rémunéré, d'une foule de petites mains ».
Ces machines, dit-il, « sont capables non seulement de coordonner les tâches de chacun, mais de contrôler et de mémoriser leur exécution, voire de l'évaluer et de récompenser ceux qui s'en acquittent bien et de déconnecter ceux qui s'en acquittent mal, le tout « objectivement » », transformant le modèle même de l'entreprise.
Redonner sens au travail
Deux grandes parties structurent l'ouvrage. La première revient sur « la communauté des problèmes » : « révolution numérique », « périls écologiques », « conflit des logiques en droit international ». La seconde donne à voir et à réfléchir « la diversité des expériences » dans l'unité et la diversité du monde du travail.
Dans de précédents ouvrages, Alain Supiot revenait déjà sur les conséquences de la marchandisation du travail, qui avait « conduit à réduire le périmètre de la justice sociale aux termes purement quantitatifs de l'échange salarial ». Ce livre ouvre un champ de réflexion plus large encore.
Il revient sur l'aspect qualitatif du travail, plaidant pour la démocratie économique contre les tentations de démolir le droit du travail, mais propose aussi de retrouver le sens du travail et le penser à partir de « l'homo faber ». A partir donc de l'être humain capable de transformer l'environnement, pour en « faire surgir le chaos » ou bien au contraire pour le rendre « humainement vivable ».