Le livre relie
Fin connaisseur de la métropole lilloise, de son histoire sociale et ouvrière, l'auteur de J'existe à peine et d'Effroyables jardins installe son nouveau roman dans une minuscule librairie roubaisienne située à l'ombre de l'hôtel de ville. Le lecteur y entre, paradoxalement, alors qu'elle va fermer, après les décès successifs de « Georges et Julie Lepage, un nom prédestiné« , puis de leur fille Yvonne qui a pris la suite sans vocation, abandonnant son métier de photographe.
Un héritage un brin encombrant qu'elle a laissé péricliter mais qui allait de pair avec un autre, celui de Georges qui avait décidé, avec les moyens du bord, de combattre analphabétisme et illettrisme des multiples roubaisiens de toutes origines.
Sous la simple enseigne « Livres », s'épanouirent ainsi des êtres ballottés par l'histoire, qui ne sont pas sans évoquer d'autres réfugiés plus contemporains. Et d'ailleurs, c'est Abdel, l'orphelin kabyle entré pour la première fois dans la librairie à l'âge de cinq ans, qui va à son tour se voir confier la boutique, devant notaire.
Car l'héritage légué à Abdel ne se limite pas à la librairie, il s'étend à l'appartement occupé par Yvonne, à ses archives, et aussi à Saïd, sorte « d'idiot-savant » et véritable encyclopédie de la guerre d'Algérie et de la sanglante rivalité entre FLN et MNA, sans oublier les exactions de l'OAS et les harkis. Le légataire va alors découvrir qu'Yvonne avait sa part de mystère, qu'elle avait poursuivi sa passion photographique prolongeant et complétant à sa manière l'action et l'engagement sociopolitique de son père et la mémoire de cette sale guerre coloniale.
Un roman aussi dense qu'il est court (112 savoureuses pages) aux personnages attachants, à l'ancrage profondément humaniste, qui rappelle combien le livre relie, combien les archives témoignent et combien la mémoire dérange.
Apaise le temps, de Michel Quint.
Éditions Phébus. 112 pages, 12 €.
Michel Quint, sur le plateau de La grande librairie