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ÉVASION FISCALE

Le petit trou de souris

11 octobre 2016 | Mise à jour le 7 novembre 2017
Par | Photo(s) : fotolia.com
Le petit trou de souris

Sous la contrainte d’une opinion publique de plus en plus pressante, l’Europe annonce des mesures de transparence financière, pour lutter contre l'évasion fiscale. Mais le chemin sera encore long.

La prise de conscience de l'opinion publique serait-elle en train de forcer l'Europe à infléchir sa politique en matière de respect de l'impôt ? Les Luxleaks, Panama Papers, Bahamas Papers et autres révélations de scandales d'évasion fiscale ont incontestablement choqué. Et même si tout le monde ne bascule pas dans le camp des eurosceptiques, les populations européennes sont de moins en moins tolérantes vis-à-vis de ces pratiques pas toujours illégales mais moralement inacceptables.

Selon Eurostat, le taux de chômage de la zone euro – les 19 pays qui ont adopté l'Euro – s'établissait à 10,1 % en août 2016. Il était de 8,6 % dans l'Union européenne des 28.

Le taux de chômage de plus de 10 % dans la zone euro et l'état de délabrement des finances publiques des États membres, piégés dans l'austérité depuis bientôt dix ans, pèsent aussi dans la balance. Toujours est-il que plusieurs décisions de la Commission européenne semblent vouloir mettre un frein au joyeux shopping des grandes entreprises qui choisissent leur pays d'installation selon le nid douillet qui leur est offert.

L'urgence : plus de transparence

Un rescrit fiscal (« tax ruling » en anglais) est une pratique qui permet aux entreprises de demander à l'administration fiscale une « décision anticipée » concernant l'impôt auquel elles seront soumises.

Il s'agit d'un accord permettant un montage spécifique visant à réduire les incidences fiscales. Dès lors que le montage est validé, pour une certaine durée – généralement cinq à sept ans – l'accord ne peut pas être remis en cause par l'administration fiscale sauf s'il est vraiment détourné. La pratique des rescrits fiscaux existe dans 22 pays de l'Union européenne.

On pense bien sûr à l'épinglage d'Apple, le 30 août dernier, qui devra rembourser le montant record de 13 milliards d'euros à l'Irlande après avoir bénéficié de conditions fiscales avantageuses – des rescrits fiscaux – considérés comme des aides illégales d'État. « Vingt-huit législations fiscales pas complètement coordonnées, cela crée des opportunités pour les entreprises qui peuvent mettre en concurrence ces systèmes et aller vers le mieux-disant, certains Etats membres offrant même des avantages fiscaux de façon non transparente, les “tax ruling” ou rescrits fiscaux, à certaines entreprises pour qu'elles s'installent sur leur sol aux dépens des autres qui, s'ils n'ont rien d'illégal, posent tout de même, explique Olivier Bailly, directeur de cabinet de Pierre Moscovici, commissaire européen en charge des Affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes. Parfois l'avantage fiscal offert est totalement discriminatoire et représente une véritable concurrence déloyale. » Apple payait 0,005 % de taux d'imposition en 2014, le chiffre laisse rêveur…

« Nous avons proposé de rendre ces rescrits fiscaux transparents entre pays – avec possibilité de se retourner vers la commission pour concurrence déloyale – en espérant que ces pratiques s'arrêtent », explique-t-il. Concrètement, ces données seront rendues publiques, c'est-à-dire qu'elles devront être publiées en ligne par les administrations nationales. La mesure est adoptée et devrait entrer en vigueur en 2018. D'ici là, il risque d'y avoir du nettoyage dans les coins… notamment aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Irlande, à Malte ou Chypre. Car, concrètement, ce sont leurs revenus taxables et le taux d'imposition dont bénéficient les entreprises qui seront diffusés.

Apple, c’est pour notre pomme

Seconde ombre au tableau. Certains pays refusaient jusqu'ici de transmettre aux autres États membres les informations sur des comptes bancaires de contribuables ou d'entreprises. Dans le cas du Luxembourg et de l'Autriche, ces éléments sont même inscrits dans la Constitution, c'est-à-dire qu'une banque ou une administration pouvait invoquer ce principe pour refuser de coopérer avec un autre Etat membre. « Nous avons mis en place l'échange automatique d'informations qui entrera en vigueur en 2018 pour certains et en 2019 au plus tard pour les autres », explique le fonctionnaire européen.

Depuis, les deux pays ont procédé aux changements institutionnels nécessaires et des accords auraient également été signés avec la Suisse, le Lichtenstein, Andorre et San Marin. Celui concernant Monaco serait sur le feu et ne devrait plus tarder… À croire que l'étau serait en train de se resserrer autour des paradis fiscaux.

Enfin, « nous comptons faire une proposition fin octobre en vue d'organiser un peu mieux les transferts de recettes entre États membres, continue Olivier Bailly. Les recettes et revenus des entreprises devront être taxées dans le pays où ils sont générés. Si Apple fait des recettes en France, grand marché vu le nombre de consommateurs, c'est la France qui taxera les revenus d'Apple en France plutôt que d'aller se balader pour aller chercher le petit trou de souris qui leur permette de s'échapper sans être taxés ». La proposition fait débat et il faut l'unanimité des pays membres pour qu'elle soit adoptée.

Quand on imagine l'avantage concurrentiel auquel devraient renoncer certains, on se dit qu'il va falloir du courage politique… Si plusieurs pays européens, dont l'Espagne et l'Autriche, ont annoncé leur intention de demander à Apple de leur rembourser une partie des 13 milliards d'euros d'impôt escamotés en Irlande, Michel Sapin a, lui, déclaré que la France ne réclamerait rien… Apple, c'est pour notre pomme.