10 novembre 2015 | Mise à jour le 28 février 2017
Si les conditions de travail des JRI étaient la partie visible des revendications des grévistes, c'est bien l'impact du projet éditorial sur le sens et la place du métier de JRI qui en est la toile de fond.
Premier conflit social depuis l'arrivée de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions (fin août 2015), la grève des JRI de France 2, qui a pris fin vendredi 6 novembre 2015, s'inscrit dans un contexte de malaise né avec le projet Info 2015 (rejeté très majoritairement par les journalistes et l'encadrement) ; ce projet prévoyait, entre autres, la fusion des rédactions de France 2 et France 3.
Sous-effectif chronique, représentation hiérarchique insuffisante, externalisation des magazines de la rédaction vers des sociétés privées, allongement anormal de l'amplitude horaire journalière de travail (notamment pour les plus précaires, pigistes et CDD), manque d'analyse des effets de l'utilisation de matériels de transmission 3G/4G sur la santé, telles étaient les raisons qui ont poussé les JRI à poser la caméra, le mardi 3 novembre.
Pour Joy Banerjee, délégué SNJ-CGT de France 3, cette grève – suivie à 95 % par les journalistes de France 2 – « montre un vrai ras-le-bol des JRI quant au sens du travail et aux conditions dans lesquelles il s'exerce. C'est l'expression d'un mal-être. Mais il faut inscrire ce mouvement dans son contexte, celui du projet Info 2015, qui va à l'encontre des valeurs du service public et organise, notamment, la parcellisation du travail. »
POUR QUEL PROJET ÉDITORIAL ?
En effet, si les grévistes demandaient un moratoire sur l'utilisation des boîtiers de transmission 3G/4G TV U-packs (mais aussi d'autres matériels de transmission utilisés en région), c'est d'abord pour que soit étudié d'urgence l'impact du rayonnement électromagnétique sur la santé des JRI et du public (un boîtier TV U-pack émet autant de rayonnement que huit téléphones portables).
Mais au-delà, toute évolution technologique impacte nécessairement le métier lui-même, comme le précise le délégué du SNJ-CGT qui rappelle ce questionnement porté par le syndicat : « Au service de quel projet éditorial met-on en place cette facilité de transmission ? Est-ce pour aller de plus en plus vers de l'info en continu, du flux sans recul, sans réflexion ni décryptage ? »
Pour l'instant, cette interrogation de fond n'est pas entendue par la direction, pas plus que la transformation des métiers des opérateurs et cadreurs travaillant jadis en moyens HF. Si le moratoire sur les aspects de santé est renvoyé à un CHSCT, qui devrait se réunir le 17 novembre au siège de France Télévisions, la question sous-jacente reste posée.
RESTER DANS LE CADRE
Autre demande forte des JRI grévistes de France 2 : que leur chef de service ait le grade de rédacteur en chef, afin de peser sur la hiérarchisation de l'info, mais aussi parce qu'il serait ainsi plus à même de faire entendre les spécificités des missions et des difficultés éventuelles des JRI.
Une demi-victoire, puisque la direction a accepté qu'il soit rédacteur en chef adjoint…
Point très important du protocole d'accord : les embauches nécessaires dans une rédaction en sous-effectif.
En appui de la demande de l'intersyndicale, un rapport du cabinet d'expertise Alma indiquait en effet que l'absentéisme au siège de France Télévisions était plus important que dans la moyenne des grandes entreprises françaises, ce qui se concrétisait par la montée des troubles psychosociaux, notamment chez les JRI.
La direction propose neuf embauches immédiates (les grévistes réclamaient quatorze créations de postes), dont la mise en consultation (c'est-à-dire l'ouverture à candidature) de cinq postes.
Par une contorsion un peu mesquine de la direction, « il ne s'agira pas de requalifier des CDD en CDI – ce qui impliquerait, par exemple, la reconnaissance de l'ancienneté des JRI –, mais que ces salariés en CDD soient prioritairement recrutés. »
De même, puisqu'avaient été mis en place, par un accord de mai 2013, des déclaratifs horaires permettant de veiller au respect des durées quotidiennes de travail, un « constat convergent d'amplitudes journalières anormales, voire illégales, est partagé ». Pratiques que la direction s'est engagée à recadrer.