Les prémices du syndicat
Histoire. Mercredi 4 mars, on fêtera, au siège de la CGT, les 120 ans du syndicat . L'Institut d'histoire sociale CGT a lancé les festivités avec un cycle de 7 conférences. La deuxième, le 3 mars, assurée par l'historien et journaliste Jacques Julliard, revient sur le syndicalisme révolutionnaire. Avant lui, l'historienne Michelle Perrot rappelait, à Limoges, les prémices du syndicalisme.
«Travailleurs, vous viendrez à ces assises du travail, étudier et discuter les questions qui intéressent à un si haut degré le présent et l'avenir du prolétariat français. Par l'étude sérieuse et approfondie de ces questions, vous montrerez aux classes dirigeantes que les ouvriers sont dignes et capables de prendre en main la direction des affaires qui sont gérées depuis si longtemps par la classe bourgeoise au détriment de la classe laborieuse (1).» En ce mois de septembre 1895, dans l'arrière-salle du Café de Paris, à Limoges, se pressent les métallos, les cochers de fiacres, les peintres en bâtiment, les teinturiers comme les zingueurs. Au total, 28 fédérations, 18 bourses du travail et 126 chambres syndicales sont représentées qui vont s'unir pour créer la Confédération générale du travail. Avant d'en arriver là, il fallut un siècle de gestation pour voir éclore la classe ouvrière et son organisation, comme le rappelait à l'université de Limoges le 19 février, Michelle Perrot, professeure émérite à l'université de Paris 7.
RÉSISTANCE À L'INDUSTRIALISATION
Alors que la révolution industrielle est en marche depuis le milieu du XVIIIe siècle, va émerger peu à peu la classe ouvrière. Un processus long dans une France essentiellement rurale qui a bien du mal à changer son mode de vie. Et l'historienne de rappeler que l'industrie est d'abord un complément de ressources pour les paysans, avec les premières fabriques textiles à domicile. Dans ces conditions, ce sont d'abord les artisans, qualifiés, instruits et urbains qui portent le mouvement ouvrier. Dès le début du XIXe siècle, les premières grèves éclatent, essentiellement défensives, pour s'opposer aux réductions de salaires et à l'augmentation des horaires de travail. Dans le même temps, des révoltes éclatent contre l'industrialisation comme à Vienne (Isère) en 1819, où les artisans se soulèvent contre l'arrivée de «la grande tondeuse» qui menace de mettre au chômage les tondeurs de draps. Plus répandu en Grande Bretagne, le mouvement des luddistes, «briseurs de machines», fait tout de même des adeptes en France…
PREMIÈRES ORGANISATIONS
Les premières manufactures et usines sont synonymes de bagnes, là où s'entassent beaucoup de femmes et d'enfants jusqu'à 15 heures par jour. À mesure que l'industrialisation et que l'urbanisation se développent au XIXe siècle, les mineurs, les métallurgistes et les ouvriers du bâtiment s'organisent. Les premières coalitions éclatent, alors que «la conscience de conjoncture» s'affirme: les ouvriers sentent que le pays a de plus en plus besoin d'eux. Ils revendiquent alors de meilleurs salaires et conditions de travail. Parallèlement, ils créent des mutuelles qui, outre une fonction d'assistance en cas de maladie ou de chômage, deviennent des véritables caisses de résonance du malaise ouvrier, comme l'a très bien décrit l'historien Maurizio Gribaudi dans «Paris, ville ouvrière. Une histoire occultée (1789-1848) » (éd. La Découverte). Michelle Perrot n'a pas manqué de rappeler au passage le combat de Flora Tristan (1803-1844) qui effectue un tour de France pour exhorter les ouvriers à créer des mutuelles.
THÉORIES SOCIALISTES
Pour comprendre la genèse du mouvement ouvrier au XIXe siècle, faut-il encore avoir à l'esprit le foisonnement des théories et projets socialistes qui, bien que différents, convergent sur la question sociale qui devient alors centrale. L'historienne a ainsi balayé les principaux courants et penseurs qui imaginent une nouvelle société pour lutter contre le paupérisme: Saint-Simon qui fait le pari dès 1830 de l'industrie et du progrès, tout en prônant le respect de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre; Charles Fourier, qui imagine des phalanstères, communautés de travail comme de vie; Étienne Cabet qui prône la suppression de toute propriété privée. Mais aussi Pierre-Joseph Proudhon, qui milite pour les coopératives de production et de consommation. Michelle Perrot a mentionné au passage les deux énormes défauts du penseur: il est antisémite et antiféministe…
Pour conclure sa brillante conférence qui a eu le mérite de rappeler en une heure le long processus qui mena au syndicalisme, l'historienne a évoqué les révolutions de 1830, 1848 et 1870 qui, après avoir porté les espoirs, les répriment sévèrement. Et poussent les ouvriers à se méfier de la République et à prendre en main leur destin.
(1) Voir les archives du congrès de 1895
Les conférences de l’IHS au siège de la CGT
• Mardi 17 mars, à 14 heures: La CGT à l'épreuve de la Première Guerre mondiale.
Conférence présentée par Jean-Louis Robert, historien, professeur émérite à l'université Paris I Panthéon-La Sorbonne.
• Jeudi 2 avril, à 14 heures: La CGT des années 1934-1947
Conférence présentée par Antoine Prost, historien, professeur émérite à l'université Paris I Panthéon-La Sorbonne.
• Mardi 16 juin, à 14 heures: La CGT des années 1947 jusqu'au milieu des années 1960
Conférence présentée par Michel Pigenet, historien, professeur émérite à l'université Paris I Panthéon-La Sorbonne, modérateur du conseil scientifique de l'IHS-CGT.
• Mardi 13 octobre à 14 heures: La CGT des années 1968
Conférence présentée par Danielle Tartakowsky, historienne, professeure et présidente de l'université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis.
• Mardi 8 décembre à 14 heures: La CGT du milieu des années 1970 jusqu'à aujourd'hui
Conférence présentée par René Mouriaux, politologue, docteur d'État en Science politique