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Mobilisations

Les réseaux sociaux, leviers des luttes sociales

26 avril 2023 | Mise à jour le 27 avril 2023
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Les réseaux sociaux, leviers des luttes sociales

Une militante d’Extinction Rebellion s’invite lors d’un defilé Louis Vuitton de la Fashion Week pour dénoncer l’inaction face au changement climatique. 5 octobre 2021, Paris Fashion Week. Photo de Clement Eco /UPI/ABACAPRESS.COM.

De la révolte des Gilets jaunes à la vague féministe post-#MeToo, les outils numériques sont devenus des leviers incontournables des luttes sociales et syndicales. Sur les réseaux sociaux, les photos et vidéos d’Extinction Rebellion ou de ReAct font le buzz et relaient les mobilisations. Un article publié dans le numéro #05 de la Vie Ouvrière.

Ces dernières années, les exemples de mouvements sociaux ou de soulèvements populaires déployés grâce aux possibilités de connexions qu'offre Internet se sont multipliés. Dans son remarquable ouvrage Twitter & les gaz lacrymogènes, la chercheuse et activiste turque Zeynep Tufekci montre que l'usage des outils numériques et leur démocratisation (applications, réseaux sociaux…) permettent non seulement d'atteindre rapidement une masse critique de citoyens agissants mais en a fait des alliés incontournables des luttes actuelles.

En l’espace de quelques semaines, le mouvement des Soulèvements de la Terre, menacé de dissolution sur décision du ministère de l’Intérieur, a rassemblé plus de 90.000 soutiens, notamment grâce aux milliers de partages sur les réseaux sociaux. Des relais qui ont permis de faire converger le 25 mars sur le terrain à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, près de 30.000 personnes venues pas seulement de France mais de toute l’Europe pour s’opposer au projet de méga-bassine.

Les médias numériques améliorent la visibilité d'une cause, mais ils créent aussi une communauté, un sens de la camaraderie, explique Zeynep Tufekci dans son essai. Ils permettent à un mouvement de dépasser l'espace du site d'occupation en créant un sentiment d'appartenance : on peut se sentir zadiste sans terres à défendre, se revendiquer d'Occupy Wall Street sans être américain…

L'exemple le plus marquant en France est bien sûr celui des Gilets jaunes : le 26 décembre 2018, un mois après l'explosion du mouvement social, le compteur officiel des Gilets jaunes revendiquait sur Facebook 2 861 133 membres. Une sphère publique connectée devenue rapidement une ressource capable de se mobiliser, la colère et l'indignation en ligne se transformant en démonstration de force dans la rue, avec l'occupation visuellement spectaculaire de l'Arc de triomphe, le 1er décembre 2018.

« Internet change la nature des mobilisations, observe Divina Frau-Meigs, professeure émérite à la Sorbonne et spécialiste de la communication. Le mouvement des Gilets jaunes, c'est grâce aux médias sociaux. Des gens désaffectés du politique, qui pensaient qu'ils n'avaient pas d'impact, se disent qu'ils peuvent agir à leur mesure. L'horizontalité, le sentiment de proximité – ce que j'appelle le “contrat de partage” –, ressensibilisent au politique, redonnent de la confiance et le goût de l'engagement. »

Retwitté c’est gagné

Ces outils connectés, les structures militantes – ONG, associations, syndicats, partis politiques… – les ont progressivement intégrés et en ont fait des leviers pour agir. En 2020, pour construire le collectif McDroits et développer en France sa campagne contre le harcèlement sexuel qui a fait plier le géant McDonald's, l'ONG ReAct Transnational a d'abord lancé un appel aux témoignages en ligne sur Facebook.

« En quelques mois, on a récolté plus de 200 témoignages. Ça a été un gros moteur de prise de conscience », relate Sophie Strauss-Jenkins, chargée de l'innovation syndicale chez ReAct. Inspirés du mouvement des colleuses, les membres du collectif McDroits se sont alors associés à des militants CGT pour placarder ces témoignages sur le siège social français, en envoyant sur la sphère connectée des photos de leur action. Résultat : 30 000 retweets à la clef en une seule journée. « Quand McDo a vu ça, ils ont eu tellement peur qu'ils ont envoyé quelqu'un en bas de l'immeuble pour négocier avec nous », relate la membre de ReAct.

C'est aussi par le biais d'actions relayées sur les réseaux sociaux que le mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion popularise ses luttes. « Notre mode d'action, c'est “l'artivisme”. On capte l'attention des médias avec des belles actions ou des choses spectaculaires. On capture l'imaginaire du public afin de mobiliser des gammes d'émotions et dérouler une narration », explique Erwan *, chargé des réseaux sociaux d'Extinction Rebellion (XR).

En 2021, les activistes ont fait irruption au milieu des mannequins d'un défilé Louis Vuitton afin de dénoncer l'impact climatique de la mode. Un happening militant qui a fait un énorme buzz sur les réseaux sociaux. La même stratégie digitale a été employée, en octobre 2022, quand d'autres militants ont collé leurs mains sur des voitures haut de gamme sous les yeux du public du Mondial de l'auto.

« Quatre cents personnes nous ont filmés et ont mis en ligne la scène sur Instagram et TikTok. Ça a fait des millions de vues. Là, le public était lui aussi vecteur de diffusion, même si tu ne contrôles plus le message », commente le militant d'XR dont l'organisation ne communique que sur réseaux cryptés (Signal, Mattermost), afin de préserver le secret de ses actions et l'anonymat de ses membres.

Le virtuel c’est réel

Pour mener la campagne contre la « réforme » des retraites, l'intersyndicale a décidé de s'emparer du numérique avec le lancement sur Twitter de hashtags communs (#grève7mars), ainsi qu’avec des kits de contenus partageables en ligne, à l’image de l’affiche « On est la CGT! » téléchargeable en accès libre pour le 1er mai. « Les stratégies sur les réseaux sociaux permettent un gain de temps et d'efficacité pour les syndicats. C'est aussi dans les luttes que la créativité apparaît », estime Damien Ramage, anciennement responsable communication de l'Ugict-CGT (devenu directeur de la communication de la CGT).

En témoigne le buzz sur TikTok du refrain « On est la CGT » destiné à ambiancer les manifestations et popularisé par un cheminot DJ à Paris. Repris sur le réseau social par des jeunes de tous horizons, ce chant de cortège est devenu un véritable hymne.

@brutofficiel C’était un simple refrain lancé par un DJ de la CGT pendant un de nos directs, et c’est devenu un hymne sur TikTok. On a retrouvé le DJ de la CGT dans le cortège parisien et on est monté avec lui. #manifestation #manif #cgt ♬ son original – Brut.

À la pointe du militantisme connecté, l'Ugict-CGT a quant à elle développé de nombreux outils mis à disposition de ses militants. L'organisation a notamment créé Syndicoop.info, une plateforme syndicale coopérative de services. « On y propose des outils de renforcement et on cherche à enrichir l'activité syndicale grâce au numérique, notamment en partageant les bonnes pratiques et en favorisant l'entraide. Ainsi, on explique comment créer un syndicat, monter une campagne, on met à disposition des tracts modifiables… », détaille Caroline Blanchot, secrétaire nationale de l'Ugict chargée de la vie syndicale.

L'organisation, très présente sur les réseaux sociaux, utilise le numérique à la fois pour propager ses idées mais aussi pour se déployer dans les déserts syndicaux.

« Il y a encore trop de camarades qui pensent que si l'on est sur les réseaux sociaux, on n'est pas sur le terrain. Non seulement cela ne s'oppose pas, mais l'un enrichit l'autre. Si chaque organisation avait un compte LinkedIn et Twitter, cela faciliterait notre présence sur le terrain », Caroline Blanchot, secrétaire nationale de l’Ugict en charge de la vie syndicale.

Et pour son camarade Damien Ramage, il existe des stratégies de contenus propres à chaque réseau social. « On pousse nos militants à utiliser LinkedIn, car c'est un espace dédié au travail où l'on retrouve des collègues. Mais Twitter permet de toucher les journalistes, les politiques… Et sur Instagram, il y a aussi une dimension militante, avec la possibilité d'atteindre les plus jeunes. Il faut démultiplier les canaux et s'assurer de parler le même langage que notre cible », détaille le communiquant de la CGT. Ce qui demande du temps et des moyens.

« On s'est battu par le passé pour des locaux et du temps syndical, il y a maintenant urgence à négocier des moyens technologiques pour les syndicats », conclut ce dernier. À l'ère des combats connectés, la maîtrise du numérique et des stratégies digitales s'impose en effet comme un incontournable dans la bataille des idées.

Cyrielle Blaire

* Son prénom a été changé.

Cet article enrichi pour le web est à retrouver dans le numéro #05 « Réinventer les luttes » de la revue la Vie Ouvrière.

Numéro #05 de la Vie Ouvrière, la revue du travail et des luttes sociales.