L’humanité questionnée

À la tête d'une armée de Finnois, Berdoa, le « Nègre », débarque pour en découdre avec les Suédois. Salement blessé, sa haine des Européens qui l'ont asservi le portera pour mener à bien le combat. Esclave venu d'Éthiopie, à qui l'on a dénié toute humanité du fait de sa couleur de peau, il va user de stratagèmes pour faire voler en éclat la dynastie des Gothland : le vieux duc et ses trois fils, Théodore, Friedrich et Manfred.Alors que ce dernier vient de mourir d'une apoplexie, Berdoa va défigurer son cadavre pour faire croire à un meurtre commis par son frère Friedrich. Dès lors, la famille va se déchirer.

Le noble duc Théodore, aveuglé par sa soif de vengeance, va peu à peu se transformer en monstre et se déshumaniser. Toutes ses valeurs morales – amour fraternel comme conjugal, respect filial, foi – volent en éclats. Qui est alors le barbare ? Le « Nègre » ou le duc ?

C'est la force de la première pièce de Christian Dietrich Grabbe (1801-1836) – dramaturge allemand du XIX^e siècle peu connu malgré un talent reconnu par ses pairs –, Théodore, duc de Gothland (le titre original), que de montrer la fragilité de l'ordre moral, social et politique d'une civilisation. En « démoralisant » une société, on la mène assurément à sa perte.

Le texte est puissant – un court entracte aurait toutefois permis de mieux le savourer durant trois heures –, servi par une mise en scène efficace et deux comédiens, Denis Lavant (Berdoa) et Matthieu Marie (Théodore), hors pair.

Duc de Gothland, de Christian Dietrich Grabbe, mise en scène de Bernard Sobel.

Jusqu'au 9 octobre, à l'Épée de bois. Route du Champ-de-Manœuvre – Paris 12^e.