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LIVRE

L’île aux enfants

28 octobre 2016 | Mise à jour le 30 novembre 2016
Par | Photo(s) : DR
L’île aux enfants

Lagon paradisiaque ou cimetière ? Entre Mayotte et le reste des Comores coulent des embarcations de fortune surchargées des migrants de l'archipel. Les rescapés abandonnent leurs enfants sur l'île française. Nathacha Appanah signe Tropique de la violence, terrible roman de cette réalité.

Mayotte est le cent-unième département français. Celui où l'immigration est la plus forte de tout le territoire national et où survit la plus forte concentration de mineurs isolés, qu'on estime à environ trois mille. Car la départementalisation n'a pas brisé les liens de parenté et culturels qui unissent tous les habitants de l'archipel, mais elle a créé une profonde fracture sociale et économique entre l'Union des Comores et Mayotte.

Archipel et union des Comores L'archipel des Comores forme un ensemble d'îles situées au sud-est de l'Afrique, à l'est du Mozambique et au nord-ouest de Madagascar. Elles sont partagées entre deux pays indépendants, l'Union des Comores à l'ouest, et la République française, dont le département d'outre-mer de Mayotte forme la partie la plus orientale.

Moïse est enfant de ce contexte. Né différent (il a les yeux vairons) d'une mère trop jeune et trop pauvre pour l'élever, débarquée d'un kwassa-kwassa – le bateau de pêche traditionnel – utilisé par les passeurs entre le reste de l'archipel et Mayotte. Sans autre forme de procès, la jeune mère confie l'enfant à Marie, qui avait suivi à Mayotte un amour envolé. « Toi l'aimer, toi le prendre », dit-elle à Marie, infirmière en mal d'enfant, avant de disparaître comme elle était venue. Car ce regard bicolore est ici synonyme « d'enfant du djinn », celui qui porte malheur.

 

Élevé avec amour par cette mère adoptive seule, Moïse le bien nommé est heureux. Il a un livre préféré, un chien recueilli par Marie, il chante L'aigle noir de Barbara avec sa mère dans la cuisine de leur maison. Lorsque Marie pense qu'il est prêt, elle conte à Moïse l'histoire de son arrivée sur un canot et le peu qu'elle sait de ses origines. Mais l'adolescent qu'il est devenu vit mal cette révélation et, lorsque Marie meurt brutalement, Moïse découvre la violence de l'univers des milliers d'enfants isolés de Mayotte.

Le roman de Nathacha Appanah prend alors une autre tournure, qui n'est pas sans rappeler Allah n'est pas obligé, d'Amadou Kourouma. Une descente aux enfers, une découverte de la profonde misère où sont plongés ces enfants délaissés, dommages collatéraux du « visa Balladur » institué en 1993, obligatoirement délivré par la France pour se rendre à Mayotte depuis les Comores. Mayotte où l'on peut espérer se faire soigner, recevoir une éducation, avoir un toit et un avenir, ce qu'espèrent tous les migrants du monde. Mais Mayotte qui abrite aussi « Gaza », un bidonville – bien réel – où règne une misère indigne d'un territoire français…

 

L'écriture de la romancière est puissante, simple, mais incisive, détaillée et parfois lyrique. Elle ne laisse rien dans l'ombre et l'on sent que l'auteure et journaliste mauricienne parle d'expérience. L'injustice est ici poussée à son paroxysme, sur un territoire minuscule mais administrativement divisé sans que l'humain ait été pris en compte. Un livre aussi beau que rude, qui témoigne d'une réalité trop occultée que ce roman contribue, à sa manière, à faire connaître. Un prix littéraire serait bienvenu pour l'y aider.

 

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Tropique de la violence, de Nathacha Appanah.

Gallimard, 192 p., 17,50 €.

Extrait :

« J'ai pensé à un garçon né il y a quinze ans sur une île des Comores et qui aurait pu avoir une autre vie s'il était né avec deux yeux noirs. Je me suis demandé ce qu'il aurait pu faire ce gamin-là pour briser ses chaînes, pour contourner son chemin commencé dans la violence, l'ignorance et le dégoût.

Je me suis demandé si, en réalité, il n'était pas foutu d'avance, ce garçon-là, et, avec lui, tous les garçons et les filles nés comme lui, au mauvais endroit, au mauvais moment. »