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TRAVAIL DÉTACHÉ

Une lutte gagnante pour le respect des droits

10 juillet 2017 | Mise à jour le 10 juillet 2017
Par | Photo(s) : Bernard Rondeau / Photo Sociale
Une lutte gagnante pour le respect des droits

20 ouvriers détachés en France de l’entreprise espagnole Criptana se sont mis en grève à l’occasion du rassemblement contre la loi travail 2, organisé aux Invalides par la CGT et Force ouvrière.

Après un mois de grève, une vingtaine de travailleurs roumains, exploités par une entreprise de construction espagnole sur des chantiers publics français, ont obtenu le paiement de leurs arriérés et l'amélioration de leurs conditions de travail conformément au droit français. Une victoire dans laquelle l'intervention de la CGT a été déterminante. Reportage.

Ils détonnaient presque. Le 28 juin, sur l'esplanade des Invalides, en ce jour symbolique de rentrée parlementaire, la foule des militants CGT et FO acquiesce devant les prises de parole des leaders syndicaux et politiques venus dénoncer la destruction du code du travail programmée par le nouveau président de la République. Mais eux sont plantés là, vissés au gazon, à l'arrière de l'Assemblée. Ils sont une vingtaine de grands gaillards presque mutiques, à faire grappe malgré la pluie derrière leur banderole : « Salariés détachés roumains de Criptana Espagne, en grève avec la CGT » Devant eux, André Fadda, responsable du collectif des travailleurs migrants CGT explique, traduit leurs réponses à certains députés curieux, et à la presse intriguée. « Nous sommes devant un cas de travail illégal. La fédération de la construction et le collectif migrant CGT les organise depuis quatre mois pour réunir les preuves et les protéger d'éventuelles représailles. Ils étaient quatre grévistes au départ, ils sont désormais vingt. Et à peu près le même nombre ont été rapatriés en Espagne en catastrophe dans la nuit, il y a quatre jours, pour dégonfler leur mouvement ».

Conditions de travail indignes

Car ces travailleurs roumains sont dans leur grande majorité des salariés de l'entreprise espagnole Criptana, une PME de la région de Ciudad Real. Ils étaient une petite cinquantaine à travailler en France, sur de grands chantiers de construction publics au premier rang desquels le ministère de la Défense à Balard à Paris, celui de la Justice à Porte de Clichy, ainsi que celui de Engie Axima à Boulogne-sur-mer, celui du Forum des Halles également au coeur de Paris, et pour des hôpitaux comme à Amiens ainsi que des polycliniques, notamment la polyclinique Courlancy de Reims.

C'est là que travaille Marius Maris, 33 ans, l'un des premiers à s'être mis en grève avec trois collègues. Ils installent les systèmes de ventilation et les gaines d'aération qui servent à la climatisation et au chauffage. Et sont corvéables à merci et à moindre coût : des heures travaillées à n'en plus finir – parfois dix heures par jour samedi et dimanche matin compris –, des heures supplémentaires non payées à la pelle, des salaires réglés au lance-pierre, des taux horaires qui varient, des qualifications non reconnues, des contrats qui s'arrêtent et reprennent pour esquiver les obligations imposées par la directive européenne sur le détachement… sans parler de l'absence d'indemnités des paniers repas de déplacement et des conditions de logement, indignes et à leurs frais.

Dumping social organisé par les majors du BTP

Or, certains sont là depuis cinq ans. En 2013, déjà, une mobilisation interne avait permis d'obtenir la réduction de leurs frais de logement de 150 à 75€ par personne. « Criptana est un classique du dumping social, observe Serge Pléchot, secrétaire général de la fédération CGT des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement (FNSCBA CGT). Ce cas révèle la traite de la main-d'œeuvre européenne organisée par les majors du BTP, Bouygues, Vinci, Eiffage, Engie, Fayat… car tous les grands donneurs d'ordre sont des utilisateurs à profusion de cette main-d'œuvre détachée, moins chère et plus malléable ». Nul besoin d'être sans papier ou totalement démuni pour entrer dans le cercle de l'exploitation. « Ces gens ne sont pas des manœuvres de base, précise-t-il. Ils sont qualifiés, compétents, mais on ne le reconnaît pas, afin de ne les payer qu'au salaire minimum français. Sauf que notre salaire minimum est quatre fois supérieur à celui de la Roumanie et deux fois supérieur à celui de l'Espagne ».

Rencontre avec la CGT et découverte des droits

Mais en début d'année, certains salariés de Criptana, présents sur le chantier d'Eurocopter Airbus, voient débarquer l'inspection du travail. Ils ont reçu la consigne de rester discrets et de mentir sur leurs horaires de travail. Ils se taisent, mais s'informent sur Internet de leurs droits et trouvent le contact d'André Fadda, du collectif des travailleurs migrants de la CGT, ancien syndicaliste de l'intérim, connu comme le loup blanc dans les grands chantiers industriels.

« Quand je les ai rencontrés en mars 2017, il a fallu comprendre l'envergure du dossier, relever toutes les irrégularités et les vérifier avant de se lancer dans la bataille, se rappelle-t-il. Pour assurer nos arrières et faire pression sur l'employeur, nous avions également coordonné notre action avec les CCOO de Ciudad Real et de Madrid qui se tenaient prêts à médiatiser l'affaire ».

La grève est décidée. Le mois de grève sera long et usant. L'UD du 77 organise la solidarité avec le Secours Populaire qui livre 100 kilos de nourriture… Et après un début de bras de fer au cours duquel la direction exige que le syndicat sorte du jeu, les négociations s'engagent, le 3 juillet, avec la fédération de la construction et le collectif migrants CGT. En coulisse, on attend, on se ronge les ongles, on fume. « Mais on n'en pouvait plus, lâche Viorel Stir, jeune responsable de chantier, en France depuis cinq ans. C'étaient des journées de travail interminables, de longs trajets en camionnette, presque pas de congés, des conditions d'hébergement dans la promiscuité…  et au bout du compte à peine plus de 2 000 € mensuels et 1 800 pour les ouvriers. ». Pour Serge Pléchot, « le problème de fond reste la pression qu'exercent les donneurs d'ordre sur les coûts et les délais que supportent les sous-traitants. Il faut travailler vite pour pas cher et il est plus facile de faire travailler 50 heures par semaine des détachés qui ne connaissent pas leurs droits ».

« Une victoire à double titre »

Puis l'employeur qui argue avoir été mal conseillé par un cabinet de conseil français spécialiste du détachement, finit par accorder – à travers un avocat mandaté – une enveloppe conséquente pour signer un accord de fin de conflit. C'est le soulagement. Les grévistes obtiennent le paiement de leurs arriérés, échelonné sur sept mois, et percevront entre 5 000 et 40 000 € selon les cas. Les jours de grève seront payés. Les indemnités de déplacement (de repas et de séjour) seront réglées sous forme calendaire (c'est-à-dire tous les jours de la semaine, dimanche compris).

Surtout, l'entreprise s'engage à respecter à l'avenir le droit du travail français, la convention collective et à basculer progressivement les salariés dans la nouvelle filiale Criptana France. « C'est une victoire à double titre, résume le syndicaliste. D'abord, ces salariés se sont levés, ce qui est rare ; souvent ils ne parlent pas, ils ont peur et certains se font même la chasse entre eux. Ensuite, le conflit a connu une issue favorable et rapide alors qu'au pénal, l'employeur risque à peine plus d'un million d'euros d'amende au bout de 5 ou 6 ans de procédure, ce qui est très long ».

Et d'ajouter : « nous ne sommes pas là pour faire fermer des PME mais pour faire respecter le droit de tous les travailleurs, qu'ils soient locaux ou venus d'ailleurs, afin qu'il n'y ait pas de dumping social, de concurrence déloyale mais du boulot pour tous ». Dans le BTP, 10 000 recrutements ont eu lieu depuis le début de l'année et l'activité va connaître une montée en puissance avec les chantiers du Grand Paris, d'Iter, du Canal Seine Nord et de la liaison Lyon-Turin… Nul doute que le réseau REDER (réseau européen pour un détachement équitable et responsable) créé en 2015, et qui coordonne l'action de neuf organisations syndicales et inspections du travail de neuf pays européens, va elle aussi avoir du travail. En attendant de voir comment se traduit l'accord signé avec leur employeur, Marius, Viorel et les autres grévistes demeurent vigilants et se sont syndiqués à la CGT…