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BANQUES

Monnaie fiduciaire : le cash fait de la résistance

23 novembre 2021 | Mise à jour le 23 novembre 2021
Par | Photo(s) : PHILIPPE HUGUEN / AFP
Monnaie fiduciaire : le cash fait de la résistance

De confinement en confinement, le comportement des Français a évolué par rapport à l'argent liquide. La manipulation de l'argent étant soupçonnée (à tort) de favoriser la propagation du Covid-19, le paiement par carte bancaire « sans contact » a explosé, érigé au rang de « geste barrière » et boosté par Bercy et les banques qui, le 11 mai 2020, ont accéléré le relèvement de son plafond de 30 à 50 euros.
1 Les atouts de la monnaie.
La monnaie fiduciaire, c'est-à-dire les pièces et billets de banque, présente d'incontestables atouts : la sécurité, la gratuité et la confidentialité. C'est le mode de paiement le plus sûr, dans le sens où les billets sont des condensés de technologie très difficiles à contrefaire et où les transactions ne nécessitent ni branchement électrique, ni connexion à Internet. Elle est gratuite – même si dans certains cas les banques font payer des commissions interbancaires lors des retraits au DAB. Elle garantit la protection des données, abondamment utilisées par les moyens de paiements numériques, l'anonymat des transactions et la liberté individuelle (le conseiller bancaire ne peut plus s'introduire dans la vie privée et les choix budgétaires en cas de difficultés financières).
2 Les espèces sont un bien public.
Seule forme de monnaie émise par les banques centrales, elles sont largement accessibles, universellement acceptées et faciles d'utilisation. Elles sont un moyen de paiement inclusif pour ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques (20 % de la population française) ou qui n'ont pas de compte bancaire (30 millions de personnes en Europe). Pour ces personnes qui ont souvent des petits moyens financiers ou sont parfois surendettées, les espèces sont primordiales. À l'inverse d'une carte bancaire qui nécessite de surveiller le compte bancaire, les espèces leur permettent de visualiser le prix des choses, de mesurer plus facilement le coût de la vie, la somme contenue dans le porte monnaie ne pouvant être dépassée.
3 La Suède est le seul pays à avoir mené une politique active d'éradication des espèces, mais elle a dû faire marche arrière.
En 2010, 40 % des achats dans le commerce se réglaient encore par cash en Suède, 15 % en 2016. Mais cette éradication du liquide a laissé des personnes sur le bas-côté : personnes âgées, handicapés, migrants. Tous les régulateurs bancaires et monétaires ont désormais cette expérience en tête et les discours sur une société sans cash ont perdu de leur vigueur.

Dans les premières semaines du confinement annoncé le 16 mars 2020, les retraits aux distributeurs de billets ont baissé de 60 % en valeur par rapport à 2019, note la Banque de France et sur l'année 2020, le paiement « sans contact » a représenté la moitié des transactions, cette dernière tendance se confirmant en 2021. Même la réticence du boulanger, à la vue d'une carte bancaire pour payer une baguette, est tombée. Dès lors, le débat sur l'avenir du cash a été relancé.

« Le paradoxe du billet de banque »

En juin 2017, le comité « cap 2022 » mis en place par le gouvernement a réveillé les craintes sur la disparition des espèces. Il préconisait d'aller « vers une société “zéro cash” » pour simplifier les paiements tout en luttant contre la fraude fiscale. Théoriquement, cela se tient. La multiplication des modes de paiement a fait reculer mécaniquement la part de l'argent liquide dans les transactions. Le chèque d'abord, puis la carte bancaire, le virement bancaire, les systèmes de transfert d'argent (PayPal…), le paiement par téléphonie mobile mais aussi les cryptomonnaies (Bitcoin…) devaient ainsi sonner le glas de nos pièces et billets de banque. Mais on en est loin. Les espèces demeurent le moyen de paiement le plus utilisé dans la zone euro, en magasin et entre particuliers. En France, elles représentaient 59 % des transactions en 2019 (73 % en zone euro) contre 35 % pour les paiements par carte (24 % en zone euro), indique la Banque de France. De plus, alors que nous perdons l'habitude d'avoir de la monnaie sur nous, le nombre de billets de banque en circulation ne cesse d'augmenter, les banques centrales devant en produire davantage chaque année. La Banque centrale européenne (BCE) appelle cela « le paradoxe du billet de banque ».

Les banques ne veulent plus traiter les espèces

Comme le dollar, l'euro est une valeur refuge – dans la zone euro ses billets sont conservés pour constituer une épargne de précaution et dans de nombreux pays en grande difficulté économique ils se substituent à la monnaie locale. La discrétion des billets de banque est également prisée pour quantité d'activités illicites. Tout ceci explique leur succès. Mais si 80 % des Français sont opposés à la disparition du cash, c'est d'abord en raison de la menace qu'elle ferait peser sur la liberté individuelle, tout autre moyen de paiement étant enregistré et donc repérable et traçable. Du moins à l'échelle de la vie courante d'un ménage car, pour lutter contre l'évasion fiscale ou le blanchiment, la traque de l'argent dématérialisé se heurte déjà à l'ultra rapidité d'opérations qui se répercutent de serveurs en serveurs. En résumé, l'argent liquide est loin d'être ringardisé. Alors, d'où vient la hantise de le voir disparaître ? Probablement de l'expérience quotidienne. Il y a bien longtemps que les banques ont éjecté les clients de leurs agences – peu à peu remplacées par une application sur smartphone – et qu'elles se sont désengagées du traitement des espèces. Or, désormais, c'est au tour des distributeurs automatiques de billets (DAB) de s'éloigner des citoyens.

Loin des clients
Trois questions à Valérie Lefebvre-Haussmann, secrétaire générale de la fédération CGT Banques et assurances (FSPBA CGT).Avant le « zéro cash », la question n'est-elle pas la difficulté d'accès aux espèces ?

Effectivement. Après avoir habitué les clients à se ravitailler à l'extérieur de l'agence, au DAB, les banques ont externalisé l'exploitation des distributeurs. Ils sont désormais remplis par les transporteurs de fonds (Brink's, Loomis…). Aujourd'hui, les banques suppriment agences et DAB jurant que tous les Français en sont à moins de 15 minutes. Or, cela pose problème à la campagne, vu le prix de l'essence, pour les personnes âgées… Et si une commune veut quand même garder son distributeur, elle doit passer un contrat avec la banque et payer un loyer. Des établissements, comme la BPCE, ont même vendu leur parc de DAB aux transporteurs de fonds. Dernier épisode : Loomis a signé un accord avec les buralistes et un premier DAB a été installé dans un bureau de tabac breton.

Quelle est la logique et les conséquences de cette politique ?

La logique est financière et court-termiste. C'est un système qui, pour faire des économies, détruit les emplois – l'informatique n'a servi qu'à cela – et transfère le risque à d'autres – jusqu'aux buralistes. Après que les banques les ont mis dehors, les clients ont dû payer un forfait avec leur carte bancaire (CB) pour faire eux-mêmes leurs opérations bancaires par Internet. Pour accéder au cash, il faut payer plusieurs fois : du forfait CB pour le simple retrait à des commissions interbancaires, en passant par le DAB lui-même, via ses impôts, pour le conserver dans la commune. La Banque de France a adopté cette logique privée, qui sous-traite le tri des billets aux transporteurs de fonds et ferme des caisses. Non sans conséquences pour les publics les plus fragiles et les transporteurs de fonds davantage exposés aux attaques.

Que préconise la fédération CGT ?

Les banques doivent vraiment redéfinir des missions d'intérêt général comme l'accès gratuit aux comptes et aux espèces. Nous demandons aussi une vraie séparation entre l'activité de banque de financement et celle de banque de détail. Aujourd'hui cette séparation ne concerne que les comptes de la banque, pas ceux des clients.