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Féminisme

Mouvements sociaux : les femmes en première ligne

7 mars 2021 | Mise à jour le 5 mars 2021
Par | Photo(s) : Alejo Manuel Avila / Le Pictorium – Hannah ASSOULINE/Leemage
Mouvements sociaux : les femmes en première ligne

Argentine/Buenos Aires – Aux petites heures du matin du 11 décembre et après des heures de débat, les députés approuvent en première lecture la légalisation de l’IVG qui est ensuite passé au sénat, le 30 décembre.

Pour Michelle Zancarini-Fournel, historienne et professeure émérite à l'université Lyon 1, nous vivons un moment d'insurrection féministe généralisée. Droit à l'IVG, lutte contre les féminicides et les violences sexuelles… Les femmes sont aussi omniprésentes dans les cortèges protestant contre l'injustice économique et sociale. Rencontre.
NVO - La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGTEn France, en Inde, en Pologne, en Argentine… Différentes luttes de femmes à travers le monde donnent à penser qu'elles sont plus visibles que précédemment. Qu'en pensez-vous ? Quelle est, selon vous, l'évolution en cours ?

Les luttes de femmes dans le monde sont à la fois plus visibles et plus importantes depuis quelques années, particulièrement en Amérique du Sud, mais également en Pologne, en Inde ou bien en France. Plus visibles par la diffusion, via les réseaux sociaux, des images de manifestations incarnées dans des objets symboliques, par exemple le foulard vert triangulaire en Argentine dans la lutte pour le droit à l'avortement.

Et des mots d'ordre ou des chants repris et traduits dans différentes langues – comme la chanson chilienne « Un vialodor en tu camino » [Un violeur sur ton chemin, NDLR] reprise en créole, à Fort-de-France, en Martinique, le 8 mars 2020. Nous sommes dans un moment d'insurrection féministe généralisée pour le droit à l'avortement en Argentine, en Pologne… Contre les féminicides et les violences sexuelles au Chili, en Inde, en France…

Le succès de ces revendications, dépend aussi de la réaction des gouvernements et des parlements. Les Argentines ont obtenu un vote favorable à la loi sur l'avortement, les Polonaises, au contraire, malgré leur mobilisation, subissent un gouvernement réactionnaire qui interdit tout avortement.

Depuis l'automne 2017, l'affaire Weinstein, producteur de cinéma à Hollywood accusé de harcèlement sexuel et de viols à l'encontre de jeunes actrices, déclenche un mouvement qui, par le biais de la communication numérique, devient planétaire et inaugure le « moment #MeToo », cycle de mobilisations contre les violences sexuelles. Des manifestations de rue contre les violences faites aux femmes regroupent des milliers de jeunes femmes et aussi de jeunes hommes. Certains syndicats et partis politiques appellent à côté des groupes féministes à la marche du 23 novembre 2019 qui rassemble des dizaines de milliers de personnes dans toute la France.

À la veille du 8 mars, la CGT a consacré une journée d'étude au féminisme

Qu'impriment ces mouvements de femmes dans les mouvements sociaux, en termes de contenus revendicatifs incluant des spécificités comme celle du droit à l'avortement, à l'égalité au travail, ou bien encore des modes d'organisation particuliers ?

Dans le livre Ne nous libérez pas, on s'en charge ! – Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours, coécrit avec Bibia Pavard et Florence Rochefort, nous montrons comment le personnage de Rosie la Riveteuse, figure imaginée par le gouvernement des États-Unis pour appeler les femmes au travail dans les usines d'armement pendant la Seconde Guerre mondiale, a été repris dans les manifestations en France, dans une chorégraphie politique de groupes féministes, avec une danse en tenue de « Rosies » comme symbole de toutes les « travailleuses invisibles ».

Il faut rappeler toute une série de grèves dans le monde du travail impliquant de nombreuses femmes. Les infirmières comme les salariées du nettoyage ont mené des luttes extrêmement fortes et déterminées et, pour un certain nombre, victorieuses. Cela a été aussi le cas dans les grands hôtels, notamment des femmes de chambre. Le mot d'ordre des féministes des années 1970 « Mon corps est à moi » est repris et appliqué y compris dans des collectifs de travail pour la prise en compte des questions de santé, de contraception et de lutte contre les violences sexuées et de harcèlement au travail.

Le 8 mars 2020, un appel à une « grève féministe contre le patriarcat » affirme : « Stop à la précarité, à la surexploitation, aux bas salaires, aux discriminations, au racisme. Stop d'assumer seules les tâches domestiques, l'éducation des enfants, le soin aux plus anciens et anciennes. Stop au capitalisme néolibéral qui fait disparaître nos services publics : hôpitaux, maternités, écoles… Stop aux injures, aux coups, aux violences gynécologiques et obstétricales, au harcèlement, aux viols, aux assassinats, aux féminicides. Stop aux fermetures des centres d'interruption volontaire de grossesse et aux attaques incessantes contre l'avortement… »

Le propos est clair, sinon suivi d'effets. Huit jours plus tard, le confinement généralisé sonne l'arrêt des manifestations.

Vidéo – 8 mars : Grève féministe et manifestations des « premières de corvées » de la crise

Gilets jaunes, « réforme » des retraites… En France, les femmes étaient en première ligne dans plusieurs luttes sociales. Quel est l'apport du prisme féministe aux mouvements sociaux ?

Au cours de l'automne et de l'hiver 2018, les barrages et les manifestations démontrent, en effet, une présence importante des femmes, une constante dans l'histoire des mouvements populaires, en général occultée. Les femmes Gilets jaunes sont là pour affirmer leurs protestations contre les difficultés financières et l'injustice fiscale.

« Plus prolo que le prolo, il y a la femme du prolo », lance Louise au nom du groupe des femmes Gilets jaunes d'Île-de-France, un groupe créé « pour porter les revendications spécifiques des femmes isolées dans les Gilets jaunes ». En janvier 2019, des centaines de « femmes en jaune » se sont rassemblées, un dimanche, dans plusieurs villes de France. Leur but était de manifester pacifiquement et de donner une image différente du mouvement.

Adeptes de la non-violence, ces femmes ont mis en avant une conception traditionnelle des rôles féminins. Certaines refusent de se considérer comme « féministes », mais comme « féminines ». Sophie, 40 ans, une mère isolée avec deux enfants à charge, au RSA depuis deux ans et demi, explique : « C'est très difficile pour nous d'être mises en lumière dans la société en tant que femmes. Or, nous sommes plus pacifiques que les hommes et on veut mobiliser de façon pacifique. On est très nombreuses dans les manifestations, sur les ronds-points, car on est plus touchées par le travail précaire. »

Entretien : 40% de femmes dans les CA des grandes entreprises, une vitrine insuffisante

À Toulouse, près de 300 femmes Gilets jaunes affirment, elles, des mots d'ordre féministes derrière une grande banderole sur laquelle on pouvait lire : « Précarisées, discriminées, révoltées, femmes en première ligne ». Aujourd'hui 31 % des femmes contre 8 % des hommes travaillent à temps partiel. Même si les temps partiels ont également permis à certaines femmes une entrée ou un retour dans l'emploi, au risque de la précarité.

Les chômeuses à temps plein ont laissé leur place aux femmes précaires, à temps partiel et bas salaires. La « réforme » du Code du travail, dans le cadre des ordonnances Pénicaud de septembre 2017, en accroissant la flexibilité de l'emploi, a été considérée par plusieurs associations féministes comme très pénalisante pour les femmes salariées. Quand vient l'âge de la retraite, les pensions sont faibles et l'on voit nombre de retraitées sur les ronds-points avec leur gilet jaune.

Elles démentent les affirmations du gouvernement et du président Macron selon lesquelles les « femmes seraient les grandes gagnantes dans la réforme des retraites ». Avec 22 % d'écart de salaire en moyenne, les femmes consacrent par ailleurs chaque jour 3 h 26 aux tâches domestiques, contre 2 heures pour les hommes. Les féministes ont démontré il y a plusieurs décennies que le travail recouvrait aussi bien la sphère professionnelle que la sphère domestique, et qu'il faut les penser ensemble pour mettre en lumière l'articulation entre travail et famille, les mécanismes de domination et les processus d'émancipation à la fois individuelle et collective.

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