Muriel Pénicaud battue par le Togolais Gilbert Houngbo, premier Africain à la direction de l'OIT
Le monde du travail a tremblé entre les deux tours de cette élection initiée en janvier et qui s’est finalement soldée le 25 mars sur un « happy end » pour les travailleurs et leurs représentants (syndicats, associations, ONG..): la nomination de Gilbert Houngbo à la tête de l’organisation internationale du travail. L’ex-premier ministre Togolais, largement soutenu par le groupe de travailleurs à l’OIT ainsi que par les syndicats du monde entier, l’a emportée haut la main par 30 voix contre 23 pour sa principale rivale, Muriel Pénicaud.
Présentée par le gouvernement français et très soutenue par le bloc des 27 pays européens pour succéder à l’actuel directeur général de l’OIT, le britannique Guy Rider (qui avait atteint la limite des deux mandats), l’ex-ministre du Travail française a donc échoué à s’imposer à la direction de l’organisation onusienne. Avec immense soulagement pour le monde du travail, mais aussi pour l’avenir de l’OIT dont la mission fondatrice de 1919 est de défendre la justice sociale, les droits de l’homme et les droits au travail, afin de parvenir à une paix durable et universelle.
Après l'annonce de la défaite de Muriel Pénicaud au profit du candidat Togolais, la CGT du ministère du Travail a immédiatement tweeté : « C'est une bonne nouvelle pour les travailleur.se.s dont elle a piétiné les droits et pour les inspecteur.trices du travail qu'elle a cherché à museler !»
Interrogé par la NVO, Bernard Thibault, membre sortant du bureau de l’OIT, s’est réjoui de l’élection de Gilbert Houngbo. A plus d’un titre: « C’est d’abord le résultat attendu par le groupe des travailleurs contre le groupe des employeurs qui, pour la première fois de l’histoire de l’OIT, soutenaient des candidats issus de leurs rangs en les destinant à asphyxier l’activité de l’OIT » , a-t-il affirmé.
A propos de Gilbert Houngbo, l’avis de l’ancien syndicaliste CGT est sans réserves: « Il a siégé dans d’autres organisations internationales, il a des convictions, il connaît bien l’ADN de la maison ainsi que l’état des rapports de force entre groupe des travailleurs et groupes patronaux ».
L’imposture d’une candidature issue du groupe patronal à l’OIT
Un CV aux antipodes de celui de la candidate malheureuse, Muriel Pénicaud, qui, elle, s’est distinguée pour avoir œuvré sans relâche à dédouaner les multinationales de leurs responsabilités sociale et environnementale. Et qui s’est particulièrement appliquée, lors de son passage au ministère du Travail, à détricoter les droits des travailleurs. Avec par exemple le plafonnement des indemnités prudhommales en cas de licenciement abusif; les accords de performance collective qui institutionnalisent la baisse des salaires et l’augmentation du temps de travail en contrepartie du maintien de l'emploi; la très contestée réforme de l’assurance chômage entrée en vigueur le 1er octobre qui pénalise les plus précaires avec une dureté sans précédent, etc. Bref, autant d’antécédents susceptibles de porter préjudice au devoir de neutralité du dirigeant de l’OIT, notamment pour faire reconnaître les violations du « devoir de vigilance » [sociale et environnementale, ndlr] attendu des multinationales.
« Le fait d’avoir pour la première fois porté une candidature issue des rangs des employeurs traduisait la volonté [du groupe employeurs] de franchir un nouveau degré dans l’offensive patronale contre les travailleurs » , analyse Bernard Thibault.
Bonne joueuse, mauvaise perdante, Pénicaud « wokise » sa défaite
S’affichant « bonne joueuse » sur les réseaux sociaux, Muriel Pénicaud s’est elle aussi fendue d’un tweet où, se « réjouissant de la nomination du premier Africain à ce poste à un moment clé où les enjeux de justice sociale, du futur du travail et du multilatéralisme vont être plus importants que jamais » , elle s’essaie à retourner l’opinion publique contre le choix du « premier Africain » . En soulignant que, pour la première fois depuis plus de cent ans, » 27 pays unanimes étaient prêts à confier la direction de l’OIT à une femme » . Sous-entendant par là que sa défaite serait imputable non pas à son passif antisocial, mais à son genre. « Mâle » lui a pris de recourir à un argument que ses propres soutiens à l’OIT n’hésitent pas à qualifier de « wokiste » chaque fois qu’il s’agit de discréditer les revendications du monde du travail relatives aux inégalités de classe, de race et de sexe.
Animé d’une ambition humaniste moins opportunément « genrée », Gilbert Houngbo prône pour sa part « un nouveau contrat social mondial centré sur les valeurs humaines, environnementales, économiques et sociétales, pour insuffler un nouvel élan à l'OIT, la repositionner au cœur de l'architecture sociale mondiale et atténuer le risque de voir sa stature s'éroder » . Dès sa prise de fonctions, qui interviendra en octobre 2022, le nouveau directeur général de l’OIT entend promouvoir un « ambitieux programme mondial de justice sociale».
Audio – Bernard Thibault réagit au grand oral de Muriel Pénicaud devant l’OIT