10 décembre 2019 | Mise à jour le 11 décembre 2019
Depuis le 5 décembre 2019, le pays est en ébullition sur les retraites, mais pas seulement. À l'échelle d'un territoire mi-urbain, mi-rural, comme celui de Château-Thierry (15 000 habitants), des actions multiformes éclosent, telles que celle des agents des impôts qui dorment sur leur lieu de travail. Démanteler le système de retraites, fermer les services publics… : toute une politique que rejettent les militants.
« Au moins demain matin, nous serons à l'heure au bureau » s'amuse une agente du centre des impôts de Château-Thierry (Aisne). C'est en effet une action surprise qu'ont menée une cinquantaine de salariés centre des impôts en décidant symboliquement d'aller dormir sur leur lieu de travail à partir du 9 décembre 2019.
Les voici donc devant les grilles armés d'un sac de couchage et prêts pour une soirée pizza. Ce sont dans de tels moments de partage qu'émergent les sentiments de fraternité. « On restera jusqu'à ce qu'on gagne ou que les CRS nous virent. » dit l'une d'entre elles. Mais pour le moment, c'est plutôt bon enfant. Seule une policière en uniforme et un agent des RG sont venus pointer le bout de leur nez.
« Nous respectons notre outil de travail et seuls les agents des impôts pourront entrer », rassure une salariée. Bien que quasiment aucun train ne circule, les personnels n'ont pas eu trop de mal à venir. « Ici, nous sommes à la campagne et tout le monde habite à proximité ou vient en voiture. C'est justement ça qui ne va pas, puisqu'ils veulent fermer nos service et nous proposent des postes à l'autre bout du département », précise une autre fonctionnaire des impôts.
Rendez-vous était donné à 19 heures devant le centre des impôts afin d'y entrer… après la sortie. Par erreur (ou pas ?), l'alarme se déclenche qui indique bien à tout le quartier que quelque chose est en train de se produire.
L'action est menée à l'appel de l'intersyndicale CGT-Solidaires-Unsa-FO et CFDT.
Yann Ruder, membre du bureau du syndicat CGT des finances publiques se saisit du mégaphone : « Ce soir, nous avons décidé d'occuper pour montrer notre volonté de ne pas fermer nos services. On veut des vrais services sur les territoires qui travaillent pour le territoire avec de vrais emplois pérennes statutaires. On ne veut ni du télétravail au service de Paris, ni du back office. L'Etat se désengage et ils veulent fuir le Sud de l'Aisne. Nous ne l'acceptons pas. »
« On fait de la proximité en fermant la proximité »
En octobre dernier, Yann était déjà interrogé par la NVO sur la mobilisation en cours « A Château-Thierry, c'est 31 agents auxquels on a expliqué qu'on allait fermer d'ici 2022 pour faire plus de proximité. Cette » proximité « consiste à remplacer les centres des impôts par des points d'accueil, Maisons de service public (MSAP) ou Maisons France Service, mais sans nécessairement qu'il y ait des agents des finances publiques. Bref, on fait de la proximité en fermant la proximité ! ».
Dans l'Aisne, c'est quasiment toutes les trésoreries rurales qui disparaissent. A Château-Thierry, ce sont les services du centre des impôts qui sont visés ; le cadastre, la publicité foncière, le service des impôts aux particuliers (SIP), le service des impôts aux entreprises (SIE), et qui seront relégués en back office. Une note de service interne de l'administration explicite joliment le projet : « il faut désintoxiquer l'usager du guichet ».
Les élus n'assument pas à trois mois des municipales
Depuis octobre 2019 rien n'a vraiment évolué explique encore Yann Ruder : « Nous continuons à nous battre pour montrer notre mécontentement, mais nous ne sommes pas entendus. Ils ne comprennent pas que l'on ne veut pas du travail à distance », s'insurge la représentante de l'Unsa.
« Pour l'heure, aucun élu local du département n'a signé de convention avec la délégation générale de la DGFIP. Le maire de Guise (Nord de l'Aisne) a eu des velléités, mais nous avons organisé une conférence de presse et ça a bloqué le scénario.. Avec cette convention, le maire accepte le nouveau maillage territorial, et reçoit en échange une subvention de 30 000 euros pour une hypothétique “Maison France Service”, et parfois aussi quelques heures d'accueil par un agent DGFIP. En fait, ils attendent les signatures des élus locaux pour pouvoir fermer dès 2020, lesquels attendent les élections municipales… ».
Peu avant que les personnels ne s'enferment pour la nuit, le maire Château-Thierry, Sébastien Eugène (Radical soutenu par LR) et quelques uns de ses adjoints viennent serrer les mains et poser devant la presse locale avec leur écharpe. L'accueil est poli, mais le scepticisme règne.
C'est bien le plan Darmanin qui prévoit la suppression 5800 d'emplois et la fermeture de trésoreries et de centres des impôts…
Comment ces élus locaux Macron-compatibles peuvent-ils déplorer les conséquences locales d'une politique nationale qu'ils soutiennent ? Devant les grilles du centre des impôts, les militants de la liste LFI-PCF avec leur candidate aux municipales, Isabelle Lambert, viennent quant à eux pointer la contradiction. En tout cas, on peut compter sur les syndicalistes pour prolonger le débat autour des pizzas que vont se partager les agents des impôts cette nuit et peut-être les suivantes.