23 février 2021 | Mise à jour le 23 février 2021
Milliardaires, multinationales, sportifs, criminels… et beaucoup de riches Français : l'enquête OpenLux menée par un consortium international de médias, dont Le Monde, révèle pour la première fois l'ampleur de l'évasion fiscale que dissimule le centre financier du Luxembourg, crise économique ou pas.
Au moins 6 500 milliards d'euros sont placés dans 140 000 sociétés immatriculées au Luxembourg. C'est beaucoup pour un si petit État. En 2014, une investigation journalistique internationale (LuxLeaks) avait déjà épinglé le troisième centre financier d'Europe (après Londres et Zurich) pour ses accords fiscaux attractifs accordés à des centaines de multinationales. Rebelote début février 2021.
Une nouvelle enquête, nommée OpenLux, menée pendant un an par un consortium international de médias avec l'OCCRP démontre ce que l'on soupçonnait fortement depuis longtemps : les pratiques fiscales du Grand-Duché permettent à des fortunes du monde entier d'échapper à l'impôt. 37 des 50 plus riches familles françaises et 266 milliardaires du classement du magazine Forbes possèdent au moins une société offshore dans le Grand-Duché.
Entre révélations et poids des lobbies
Famille Hermès, pègre russe, mafia italienne, prince saoudien… 90 % des sociétés immatriculées au Luxembourg sont détenues par des non-résidents
Les révélations d'OpenLux, publiées en France par le quotidien Le Monde, sont sans appel. 90 % des sociétés immatriculées au Luxembourg sont détenues par des non-résidents et une sur trois est une société de participation ou holding, autrement dit une société offshore (qui exerce ses activités ailleurs) comme il en existe aux Iles Caïman ou aux Iles Vierges britanniques.
« Ces sociétés fantômes sans bureau ni salarié ont été créées par des milliardaires, des multinationales, des sportifs, des artistes, des responsables politiques de haut rang et même des familles royales » affirme Le Monde. Le journal précise que dans cet État de 600 000 habitants et de seulement 2 586 km2, « Tiger Woods et la famille Hermès côtoient Shakira et le prince héritier d'Arabie saoudite. Des centaines de multinationales (LVMH, Kering, KFC, Amazon…) y ont ouvert des filiales financières ».
Le quotidien français affirme aussi que « plus surprenant, OpenLux révèle que des fonds douteux, suspectés de provenir d'activités criminelles, ont été dissimulés au Luxembourg. C'est le cas de sociétés liées à la Mafia italienne, la Ndrangheta, et à la pègre russe. La Ligue, le parti d'extrême droite italien, y a caché une cagnotte recherchée par les autorités transalpines. Des proches du régime vénézuélien y ont recyclé des fonds de marchés publics viciés. »
Le « coffre-fort de l'Europe » au Grand-Duché à moitié ouvert pour la première fois
En fait, c'est l'obligation de transparence imposée au Luxembourg qui a permis à seize médias internationaux dont Le Monde, de faire la démonstration que ce tout petit État, membre fondateur de l'Union européenne, est en fait un redoutable paradis fiscal, le « coffre-fort de l'Europe ».
Suite aux précédents scandales – notamment les Panama Papers – une directive européenne de 2018 a exigé la création de registres publics qui listent les propriétaires réels des sociétés dans tous les États membres de l'UE (le registre des bénéficiaires effectifs — RBE). Alors que pour les Panama Papers ou les LuxLeaks les journalistes avaient enquêté à partir des documents sortis par des lanceurs d'alerte, pour les OpenLux ils ont travaillé sur les extractions des immenses bases de données luxembourgeoises.
Mais la transparence est en « trompe-l'œil » note Le Monde. Non seulement il est fastidieux de fouiller dans les registres (même de façon automatisée) mais les sociétés ne déclarent pas forcément leurs bénéficiaires, utilisent des prête-noms, etc. Il aura ainsi fallu une année au consortium d'investigation pour réussir à identifier seulement la moitié des bénéficiaires de ces sociétés. Mais plus qu'un système – connu depuis très longtemps – l'enquête OpenLux vise à montrer l'ampleur de celui-ci en identifiant pour la première fois les propriétaires et la nature des actifs détenus par le Luxembourg.
Exiger la plus grande transparence fiscale
Un paradis fiscal près de chez soi… au cœur de l'Europe
Si les profils des bénéficiaires identifiés sont très divers, de même que leurs nationalités (157 ont été répertoriées), le Luxembourg s'avère être un véritable Eldorado pour les fortunes hexagonales. Prés de 15 000 ressortissants français ont ainsi été identifiés comme bénéficiaires de sociétés Offshore au Grand-Duché : célébrités, cuisiniers, médecins, écrivains, sportifs, hommes d'affaires, riches familles ou encore des personnes totalement inconnues mais aussi des grands patrons et leurs entreprises (JCDecaux, Décathlon, Hermès, LVMH, Yves Rocher…).
Les trois-quarts des groupes cotés au CAC 40 seraient présents au Grand-Duché à travers, au moins, 166 filiales, selon Le Monde. Au total, cela représenterait plus de 100 milliards d'euros d'actifs, soit 4 % du PIB de la France. « Ces nouvelles révélations sur l'évasion fiscale pratiquée massivement par les plus riches et les multinationales confirment qu'il serait injuste de demander des efforts supplémentaires aux “Premiers de corvée” quand ceux qui peuvent le plus contribuer à l'impôt y échappent », estime Raphaël Pradeau, porte-parole de l'association altermondialiste Attac.
« Plutôt que de vouloir faire des économies sur les allocataires des APL, les chômeurs ou les futurs retraités, le gouvernement devrait lutter vraiment contre l'évasion fiscale et faire payer à chacun sa juste part d'impôt ! » Et les dirigeants européens, lutter contre la concurrence fiscale – voire la prédation – entre États de l'UE.