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Réforme des retraites

Paroles de gréviste : « Je n'envisage plus ma vie en dehors de la lutte »

6 avril 2023 | Mise à jour le 7 avril 2023
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Paroles de gréviste : « Je n'envisage plus ma vie en dehors de la lutte »

Julien Lejeune, égoutier à la ville de Paris, en grève contre la réforme des retraites. Crédit photo : bapoushoo.

Alors que la CGT Filière Traitement Déchets Nettoiement Eau Égouts Assainissement de la Ville de Paris (FTDNEEA) a déposé lundi 3 avril un nouveau préavis de grève illimité pour les éboueurs parisiens à partir du 13 avril, Julien Lejeune, égoutier à la ville de Paris, en grève reconductible entre le 6 et le 22 mars, revient pour la Vie Ouvrière sur son expérience personnelle de la lutte. 

Quelle est ta profession et en quoi consiste ton travail ?

Je suis agent de maîtrise de travaux publics dans la section d’assainissement de la ville de Paris. Au quotidien, je réalise les entretiens courants des égouts. Je peux, par exemple, être amené à y faire des travaux de maçonnerie, en lien avec des entreprises privées, et à surveiller la bonne tenue du chantier. Je crée également des canalisations lorsqu’il y a un nouvel aménagement de voiries. Je réalise aussi des diagnostics d’amiante dans les égouts. Malgré le fait que je passe quatre heures par jour dans les égouts, je n’ai pas le statut d’égoutier, [qui relève de la catégorie « insalubre » et qui ouvre droit à un départ anticipé à la retraite après 32 ans de carrière]. Désormais, les agents de maîtrise n’ont plus accès au statut…

 

Le mouvement de grève a-t-il été largement suivi au sein de ta section ? 

La Section de l'Assainissement de Paris (SAP) regroupe environ 500 personnes (égoutiers, agents de maîtrise, ingénieurs, techniciens supérieurs et personnels administratifs), dont 200 égoutiers. Parmi ces agents, environ une centaine est entrée en grève le 6 mars. Certains pour seulement une journée, d’autres, moins nombreux, pour une grève reconductible. Parmi les égoutiers, la mobilisation a été moins suivie qu’en 2019/2020. Il faut dire qu’il n’y a plus d'embauche, ni concours et que les effectifs d’égoutiers baissent. Sur les piquets de grève, les égoutiers n’étaient environ qu’une dizaine. En revanche, sur les 5000 éboueurs de la ville de Paris, environ 80 % se sont mis en grève, avant que le mouvement ne s’érode, au fil des semaines. La grève fait très mal au portefeuille, surtout dans ce contexte d’inflation.

 

Quelles étaient vos revendications initiales ?

Le retrait de la réforme des retraites et le changement de la grille indiciaire : on demande la revalorisation de nos salaires. Par ailleurs, un tiers de notre salaire est versé en primes, et ne compte pas pour la retraite. On voudrait que ces primes soient transformées en salaire. C’est actuellement en cours de négociation. Nous avons déjà obtenu gain de cause sur plusieurs points : transformation de primes en points d'indice pour une partie du personnel, nouvelle grille indiciaire pour certains agents… La lutte paie !

 

Quelle était votre stratégie ?

On a commencé la grève un jour plus tôt que l’appel à la mobilisation nationale car la collecte du lundi est la plus grosse de la semaine : 4000 tonnes d’ordures collectées au lieu de 3000 en temps normal. Le 6 au soir, le personnel des incinérateurs s’est aussi mis en grève à Issy-les-Moulineaux et à Ivry-sur-Seine, le plus gros incinérateur d’Europe, qui alimente le chauffage urbain (à Saint-Ouen, l’incinérateur était en maintenance). À Ivry-sur-Seine, le personnel de l’usine d’incinération des déchets urbains (TIRU) était à 100 % grévistes. Le but, c’était de bloquer la filière déchet et de taper Suez  [l’exploitant de l’usine d’incinération] au portefeuille. Dès le départ, il a été décidé de bloquer et d’occuper 24/24h la TIRU d’Ivry-sur-Seine. Même si les camions ramassaient les ordures, ils ne trouvaient nulle part où les déverser. D’autant plus qu’un mouvement de grève appuyé par des blocages s’est engagé à la SYCTOM de Romainville (un lieu de stockage des déchets), de même qu’au centre d’enfouissement de Véolia à Claye-Souilly.

 

Comment as-tu vécu la présence des blocages ?

C’est fabuleux ! Ces blocages ont rassemblé des personnes issues de toutes les couches de la société, opposées à la réforme des retraites, au 49-3, au président Emmanuel Macron et à son autoritarisme. Des instits, des intermittents du spectacle, des chômeurs, les territoriaux d’Ivry, des étudiants… sont venus nous soutenir. C’est la société qui se relaie pour discuter, échanger… La poubelle est devenue le symbole de la rébellion : le siège de Renaissance a même été visé par des poubelles !

 

La CGT a décidé de suspendre la grève le mercredi 29 mars. Pourquoi ?

Nous n’avions plus assez de forces pour maintenir le mouvement : nous n’étions plus qu’une centaine de grévistes éboueurs et égoutiers confondus. Cela ne servait plus à rien de continuer à se serrer la ceinture. Dans la foulée, on a suspendu notre présence sur le blocage de la TIRU d’Ivry, notamment en raison de notre départ pour le congrès de la CGT à Clermont-Ferrand. Le mouvement de grève s’était aussi étiolé au sein du personnel de la TIRU, et suite à notre départ, la police s’y est présentée avec des ordres de réquisition pour forcer les grévistes à reprendre le travail. Une précision cependant : la grève n’est pas arrêtée, elle est suspendue. Beaucoup de camarades sont déterminés à repartir rapidement : lorsqu’ils seront d’attaque, on reprendra. On ne lâchera rien. Non seulement, on ne veut pas de la retraite à 64 ans, mais on demande la retraite à 60 ans, 55 ans pour les métiers pénibles.

 

Comment as-tu vécu cette grève ?

Jusqu’à présent, lorsque je faisais grève, je restais chez moi un jour, ou deux. C’est la première grève où je m’implique à fond et je suis ravi de l’avoir fait. Je pourrai dire à mes neveux et nièces que l’on s’est battu pour eux. Je suis fonctionnaire et je suis habitué à ce que l’on soit perçu comme des fainéants. Là, les gens soutiennent notre lutte, c’est beau, et très motivant. Nous avons reçu tellement de soutiens : des gens qui venaient nous apporter à manger sur le piquet de grève à la TIRU, des remerciements de la part d’inconnus… Depuis six ans, Emmanuel Macron divise les actifs contre les chômeurs, les riches contre les pauvres, les vieux contre les jeunes. Là, cette grève nous a fédérés.

 

Tu as également été amené à prendre la parole publiquement à la Bourse du travail le 14 mars devant une salle comble…

J’avais rencontré un étudiant lors d’une AG au CROUS qui m’a demandé de faire une intervention devant d’autres camarades en lutte à la Bourse du travail. C’est un lieu que je connais bien, je me suis dit qu’il y aurait 20 ou 30 personnes et que ce serait gérable… En fait, la salle était pleine à craquer. En temps normal, je serai reparti en courant ! Je ne suis pas doué pour la prise de parole, mais la grève a dû débloquer un truc ! Je me suis fait violence, et ce qui m’a sauvé c’est que lorsque j’ai été présenté, toute la salle a applaudi. Là j’ai compris que notre mouvement était populaire, que ce n’était pas une grève comme les autres. Quand on est en lutte et que toute la population est derrière soi, c’est beaucoup plus facile. Si on part tout seul, ça ne peut pas marcher.

 

Dirais-tu que cette grève t’as transformé ?

Oui ! Maintenant, je n’envisage plus ma vie en dehors de la lutte. Il faut arrêter de vivre pour soi, travailler pour pouvoir s’acheter un nouveau téléphone portable, des nouvelles chaussures…  Ce n’est pas ça la vie. C’est vivre bien, ensemble. Je travaille dans la fonction publique, je vois que tout s’écroule. Il faut revenir aux bases, aux jours heureux et au programme du CNR. Et si les syndicats pouvaient reprendre la main sur les retraites et les caisses de la Sécu, ce serait encore mieux !