21 mai 2019 | Mise à jour le 21 mai 2019
Suite aux mobilisations menées avec la CGT de Seine-Saint-Denis en mars et avril, les ex-employés de Pinault-Gapaix viennent de gagner une première bataille: la délivrance par la préfecture d’un titre de séjour d’un an renouvelable. Un sésame qui les autorise à travailler en toute légalité sur le territoire français. En attendant les suites de l’enquête judiciaire ouverte par le parquet de Seine-Saint-Denis sur leurs conditions d’exploitation inhumaines.
Ils ont appris la nouvelle ce week-end, par SMS, et se sont rassemblés à l’union locale CGT de Bobigny pour la photo de la victoire. Derrière leurs sourires radieux, ces mêmes sourires qui leur avaient valu des invectives racistes lors de l’envahissement des locaux de leur ex-employeur, Pinault-Gapaix, en mars dernier, ils expriment la joie d’avoir gagné non pas des papiers – qui ne sont que provisoires – mais la reconnaissance de leur droit à la dignité. Un droit arraché par la CGT 93 au préfet de Seine-Saint-Denis qui, suite aux mobilisations successives de mars et avril, a décidé d’accorder leur titre de séjour à ces quinze travailleurs devenus lanceurs d’alerte de leurs propres conditions d’exploitation sur des chantiers amiantés.
Le sésame du titre de séjour d’un an renouvelable n’est d’ailleurs qu’une reconnaissance minimale de la part des services de l'État. Mais elle est décisive pour ces quinze travailleurs illégalement exploités pendant des années comme « chair à chantier » dans les poussières et les fibres d’amiante des travaux de démolition. Depuis une dizaine d’années, pour certains d’entre eux, et sans avoir jamais bénéficié du moindre suivi médical ni du moindre contrôle post-professionnel.
Mise en danger d’autrui, traite des être humains et conditions de travail indignes
Dénoncée auprès de la CGT de Seine-Saint-Denis en mars 2018, après leur brusque licenciement par l’agence d’intérim RSI qui les recrutait pour le compte du donneur d’ordres, Pinault-Gapaix, leur situation d’exploitation a fait l’objet d’une enquête approfondie menée par l’inspection du travail. En rendant ses conclusions, le 28 février 2019, l’inspecteur du travail a saisi le procureur de la République pour des infractions pénales, à savoir : mise en danger de la vie d’autrui, traite des êtres humains, soumission de personnes vulnérables et dépendantes à des conditions de travail indignes. À la suite de quoi le parquet a ouvert une enquête préliminaire où les quinze ex-employés de Pinault-Gapaix sont susceptibles d’être entendus en qualité de témoins et de lanceurs d’alerte sur leurs conditions d’exploitation.
Obtenir la reconnaissance de l’exploitation passée
Informés par courrier des conclusions de l’enquête de l’inspecteur du travail, les quinze, soutenus par la CGT, ont alors décidé de se rappeler au bon souvenir de leur ex-employeur. Le 18 mars au matin, accompagnés de toutes les organisations de la CGT impliquées dans leur dossier (construction, intérim, union départementale 93 et union locale), ils ont envahi le siège de l’entreprise de Bobigny dans le but d’obtenir un dialogue social en vue d’une reconnaissance des conditions de leur exploitation passée et, bien sûr, des dédommagements.
Où est le chien Kiki ?
Mal leur en a pris. Alerté par son épouse de cette visite impromptue, le patron a déboulé en trombe sur sa moto dans la cour de l’entreprise. Manifestement emporté par la fureur, l’ex-employeur s’est d’abord posé en victime: pour la fuite de son chien Kiki, (retrouvé en fond de cour quelques heures plus tard), puis en refusant de s’entretenir avec l’un de ses ex-employés au motif qu’il se sentait menacé. Enfin, en s’abritant derrière les conseils de son avocat, joint par téléphone, qui lui a recommandé de ne « surtout pas dialoguer avec la CGT« .
Face à cette impasse et craignant des représailles y compris physiques au vu des injures racistes et haineuses proférées par certains employés de Pinault-Gapaix durant l’occupation du local, les quinze ont alors renoncé à leur projet initial d’occupation de l’entreprise et activé leur plan B: mettre les services de l'État face à leurs responsabilités.
La préfecture assume la protection des témoins
Invitée par la CGT à déclencher une procédure de régularisation express afin de protéger ces travailleurs en situation irrégulière appelés à témoigner dans le cadre de l’enquête judiciaire, la préfecture de Bobigny a décidé de donner suite à cette demande. Et d’accorder un titre de séjour d’un an renouvelable aux quinze victimes. En cas de victoire en justice, les quinze Maliens et Sénégalais pourront par la suite prétendre à la délivrance d’une carte de résident.